Matricule « 45 685 » à Auschwitz Rescapé

 

Robert Jarry © ARMREL
Auschwitz le 8 juillet 1942
Robert Jarry : né en 1920 au Mans (Sarthe) ; domicilié à Boulogne-Billancourt (Seine) ; ajusteur ; communiste ; arrêté en août 1941, condamné à 6 mois de prison à la Santé ; puis le 26 avril 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Mauthausen, Vienne ; rescapé ; décédé le 6 février 2003.

Robert Jarry est né le 21 août 1920 au Mans (Sarthe).
Il habite au 103, rue de Bellevue à Boulogne-Billancourt (Seine / Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.

Il est célibataire. Robert Jarry suit des cours du soir à l’École des Arts et Métiers.
Ajusteur-outilleur aux usines d’aviation Farman (où il a connu René Aondetto), il s’engage volontairement en mars 1940 pour la durée de la guerre.  

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes défilent sur les Champs-Élysées. Elles occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.

Démobilisé en septembre 1940, Robert Jarry s’est fait engager dans une entreprise de travaux publics à l’aéroport de Chartres : avec Serge Ladevèze (1), ajusteur et Jean Clos, il prend des relevés des emplacements où sont stockés avions et matériels et sabote des engins servant à la construction de la nouvelle piste d’envol (1). 

Lettre de Robert Jarry (1987) retraçant son arrestation

En février 1941, ils sont prévenus qu’ils vont être convoqués par la Feldkommandantur de Chartres à propos des sabotages.
Serge Ladevèze et lui s’enfuient dans des directions opposées.
Revenu en région parisienne, il 
retrouve du travail chez Farman à Boulogne.
Au bout de 6 mois de recherche, la Feldkommandantur de Montrouge arrête Robert Jarry en août 1941, ­ chez Farman à Boulogne-Billancourt. Il est écroué à la Santé : 3° Division allemande.
Libéré le 6 janvier 1942, il est arrêté à nouveau le 28 avril 1942, toujours par la Gestapo. Il est interné le soir même au camp allemand de Compiègne (le Frontstalag 122) en vue de sa déportation comme otage.

Le 15 juillet 1942 sa famille reçoit une lettre-carte de l’administration du camp de Compiègne postée le 16 juillet 1942 Par décision de nos services, le détenu susnommé a été transféré dans un camp pour y travailler. Sa destination étant inconnue, il vous faudra attendre pour avoir de ses nouvelles».

Carte – correspondance du Frontstalag 122

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Robert Jarry est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Robert Jarry est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45.685 ». 

Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

A Auschwitz, au block 17, d’abord affecté aux kommandos « Union » et Strassenbau, il tombe malade le 21 décembre 1942, est hospitalisé et connaît alors une aventure très rare : Il demeurera jusqu’en avril 1944 au block 19 du « Revier ». « Planqué – écrit-il- pendant 14 mois, grâce au coiffeur juif Cassandi » qui le cache au moment des contrôlesEntre février 1943 et avril 1944.  Au block 19, Robert Jarry assiste à la mort de Marcel Dubeaux, âgé de 18 ans. Au moment du départ de Compiègne, son frère, interné avec eux, lui avait demandé de veiller sur lui : « Hélas, je n’ai rien pu faire, vu le contexte » – commente sobrement Robert Jarry.

A Auschwitz le 8 juillet 1942

« Affecté au kommando « Strassenbau », à la suite d’un refus de travail, j’ai été pris à partie par le kapo et frappé sauvagement. Des camarades dont un « 45.000 », Georges Gourdon, m’ont aidé à rentrer au camp. J’ai été admis au Revier, bras gauche très endommagé, plusieurs plaies au dos et au visage, dents cassées. Le bras gauche a été opéré au block 20 du Revier ; plusieurs cicatrices depuis l’épaule jusqu’au poignet en attestent. Là, j’ai subi une première sélection mais, étant au troisième étage d’un châlit, je me suis planqué sous la paillasse. Je suis donc passé au travers de cette sélection, ce qui n’a pas été le cas d’un camarade « 45 000 » qui était dans le Revier avec moi. J’ai donné l’alarme à un déporté qui a réussi à le sauver en le cachant dans le local de douche. (…) Ce jour-là, dans la chambre où nous étions, il n’est resté que cinq ou six détenus. Renvoyé au kommando, j’ai été affecté au transport, à dos d’hommes, de planches, de cloisons et de sacs de ciment. Après avoir intentionnellement laissé tomber quelques sacs qui se sont éventrés, j’ai été à nouveau bastonné par un SS qui m’avait vu faire. C’était en février 1943. Retour au Revier, cette fois-ci au block 19, où j’ai subi une autre sélection. Je me suis dissimulé derrière les corps de camarades décédés, placés près de la porte. Un kapo polonais m’a trouvé, mais heureusement pour moi, il parlait parfaitement le français. On a discuté, j’ai plaidé ma cause, car les Polonais nous reprochaient, à nous Français, de ne pas les avoir soutenus en 1939, lors de l’invasion nazie. Mais je lui ai expliqué que je m’étais engagé pour aller combattre les Allemands et il m’a pris en sympathie. Il m’a planqué dans la salle d’opération du block en me disant de nettoyer les instruments chirurgicaux. Par la suite, j’ai continué à travailler dans cette salle. Au mois de mai 1944, le kapo ayant changé, on est venu me chercher pour m’affecter au kommando « Union ». Sur les 30 mois passés à Auschwitz, j’ai vécu 14 mois au Revier, soit comme malade, soit comme clandestin. Robert Jarry, in « Mille otages pour Auschwitz », page 361-362, lettre du 6 février 1990).

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".

Le 21 janvier 1945, il subit le sort du dernier groupe de « 45 000 » qui est transféré à Mauthausen, où il reçoit le matricule (117 867).
En février 1945, il est affecté à une usine de camions (Saurer) à Vienne, puis ramené à Mauthausen où les troupes américaines le libèrent le 5 mai 1945.

Le 19 mai 1945, il est à Paris.  Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué, mais le titre de Déporté résistant lui a été refusé à trois reprises.

Robert Jarry le 6 juillet 2002 à Montreuil,  pour l’inauguration de l’allée des « 45 000 ».

Il a rempli le questionnaire envoyé aux familles par Roger Arnould en 1972 et au mien en 1987.
Cette même année, il me faisait parvenir quelques documents et souvenirs, s’excusant de ne pas pouvoir apporter plus de précisions « ayant passé plus de 14 mois dans le Block 19″.

Robert Jarry est mort le 6 février 2003.

  • Note 1Tous trois seront arrêtés. Serge Ladevèze, né le 18 février 1921 à Paris est fusillé sommairement à Romorantin le 23 août 1944 (voir la notice du « Maitron des fusillés », accessible sans abonnement depuis 2018), Jean Clos est arrêté et déporté en 1943.
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

    • Photo de Robert Jarry avant-guerre : © ARMREL : Association de Recherche pour la Mémoire de la Résistance en Eure-et-Loir.
    • Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel) en décembre 1992
    • Robert Jarry a signé son questionnaire biographique en 1987.
    • Il a fait le récit de ses actions à l’aérodrome de Chartres, et de son étonnante aventure à Auschwitz (lettres, cassette audio).
    • Dans une lettre de René Aondetto à Lucien Monjauvis, on trouve confirmation de ce fait exceptionnel: « Durant des mois, il n’a jamais été affecté à un kommando » (22 janvier 1947).
    • © Photo de Robert Jarry le 6 juillet 2002, in « Mémoire Vive » n° 19 de juin 2003 page 9, lettre de l’association des 45 000 et des 31 000 d’Auschwitz-Birkenau.

Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2015 et 2019) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette biographie. Pour compléter ou corriger cette biographie, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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