Jean Philibert : né en 1892 à Romans-sur-Isère (Drôme) ; domicilié à Clichy-la-Garenne (Seine) ; cantonnier ; militant CGTU, communiste ; arrêté le 6 décembre 1940, relâché ; arrêté le 24 juin 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 14 octobre 1942.
Jean Philibert est né le 17 décembre 1892 à l’hospice de Romans-sur-Isère (Drôme). Il est domicilié au 3, rue du Docteur Albert Calmette à Clichy-la-Garenne (département de la Seine, aujourd’hui Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Mélanie Philibert, 26 ans, domestique, née à Courcouron (Ardèche) et domiciliée à Valence.
Le 25 février 1919, Jean Philibert épouse Anne, Marie, Léocadie Pinon, à Puteaux (Seine). Elle est journalière, née le 23 juin 1898 à La Bosse de Bretagne (Ille-et-Vilaine). Lui est boulanger : ils habitent tous deux au 31, rue Edgar Quinet à Puteaux.
Le 15 janvier 1921, il est nommé concierge titulaire à la ville de Puteaux.
Le 27 juin 1925 à Puteaux, Jean Philibert épouse en secondes noces Louise, Marie Hinault, née le 20 janvier 1899 à Trégeux (Côtes-du-Nord). Elle est née le 20 février 1899 dans ce département.
Le couple a deux enfants : Ginette, née le 18 juillet 1926 à Paris 8è, et Serge, né le 2 juin 1932 à Paris 18è.
Le 21 avril 1926, Jean Philibert est nommé cantonnier titulaire à la ville d’Ivry (Seine / Val-de-Marne).
Le 1er août 1926, il est nommé cantonnier à Clichy-la-Garenne, et son épouse est femme de service en 1929, faisant fonction de concierge à l’école Paul Bert (source J.P. Favrel). Le couple est logé à l’école Paul Bert, 3, rue Gobert, renommée rue du Docteur Calmette après le décès du médecin immunologiste en 1933 (l’ancienne école est aujourd’hui l’espace Henry Miller).
« Dès 1927, il fit l’objet d’une note de la Direction générale des Renseignements généraux, comme membre de la CGTU des employés communaux de la Seine, adhérent à la cellule n° 399 sous-rayon de Clichy, du 7e rayon du parti communiste. Après la déclaration de guerre, le commissaire de Clichy le considérait : « comme un propagandiste acharné des théories moscoutaires et dangereux par son activité politique » (in Le Maitron)« .
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Militant communiste connu des services de police, Jean Philibert est arrêté une première fois à Clichy le 6 décembre 1940 par la police française pour « reconstitution de ligue dissoute » (activité communiste). Le 28 janvier 1941, son domicile est perquisitionné. « Les communistes lançaient nuitamment des tracts à la volée, en collaient quelques-uns sur les murs. Jean Philibert fut soupçonné de participer à ces actes militants. Une perquisition eut lieu à son domicile le 28 janvier 1941. Des livres et brochures furent saisies, mais ils étaient antérieurs au décret de dissolution du parti communiste du 26 septembre 1939. Au cours de la perquisition, il ne resta pas sans voix, il dit tout haut à sa femme : « Laisse-les chercher, nous aurons notre revanche et alors les rôles changeront ». Puis à l’adresse des policiers il déclara : « Ce n’est pas en perquisitionnant chez moi que vous me ferez changer d’opinion » (in Le Maitron).
Il est arrêté de nouveau le 24 juin 1941 sur ordre des autorités d’occupation allemandes. Il est pourtant presque aveugle. Son arrestation a lieu dans le cadre d’une grande rafle concernant les milieux syndicaux et communistes. En effet, le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ici l’Hôtel Matignon), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht.
La liste des Renseignements généraux répertoriant les communistes internés administrativement le 24 juin 1941, mentionne pour Jean Philibert : « militant notoire de l’ex Parti communiste. Meneur des plus actifs. Élément dangereux ».Transféré au camp allemand de Compiègne (Frontstalag 122) le 27 juin 1941, il y reçoit le matricule « 386 ».
« Six épouses et une fille d’internés de Clichy dont Louise Philibert écrivirent collectivement au préfet le 17 février 1942. Elles demandaient la raison des arrestations et l’autorisation d’une visite. Dans un rapport du 4 juillet 1942, les Renseignements généraux concluaient à son sujet : « La libération de
Philibert ne semble pas opportune actuellement » (in Le Maitron).
Durant son internement à Compiègne, il est hospitalisé au Val-de-Grâce.
Selon le témoignage de René Petijean, rescapé clichois du convoi, il est presqu’aveugle.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Philibert est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi.
Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu. Le numéro matricule figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro (45 978 ?), quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
De plus, la photo du déporté portant ce numéro matricule prise à Auschwitz lors de la séance d’immatriculation le 8 juillet 1942, n’a pas été retrouvée, aucune comparaison avec sa photo d’avant-guerre n’est donc possible.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Jean Philibert meurt à Auschwitz le 14 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 924).
Il est homologué « Déporté politique » en 1954. Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la commune.
A Clichy, la cellule du centre ville du Parti communiste a porté son nom pendant de nombreuses années après la Libération (cellule Philibert, puis cellule Philibert-Casanova) selon le témoignage de Pierre Cardon, alors premier secrétaire de section.
Sources
- Témoignage de René Petijean, un des deux clichois rescapés du convoi.
- Témoignage de sa fille Ginette.
- Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier).
- Archives municipales de Clichy.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des
déportés d’Auschwitz (1946). - Envoi de courrier et photo de Jean-Pierre Favrel, son petit-fils (6 – 01 – 2010).
- Archives en ligne de Romans, état civil.
- Recherches dans les registres matricules du département (et des limitrophes) de son lieu de naissance.
- Notice biographique du Maitron, dictionnaire du Mouvement ouvrier.
Notice Biographique réalisée initialement pour l’exposition sur les 45000 de Gennevilliers de novembre 2005 (mise à jour en 2010, 2016, 2017 et 2019), par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, Paris 2005.
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