Matricule « 46 006 » à Auschwitz
Émile Poupleau : né en 1907 à Bourges (Cher) ; domicilié à Puteaux (Seine) ; menuisier ; communiste ; peut être arrêté le 1er février 1940 et évadé en juin ; arrêté le 27 janvier 1941 ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 17 août 1942.
Émile, André, Pierre, Joseph Poupleau est né le 7 juillet 1907 au domicile de ses grands-parents maternels, 37, rue Française à Bourges (Cher).
Il habite au 36, rue Arago à Puteaux (ancien département de la Seine), au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Amélie Zolg, 24 ans, couturière à Bourges et d’Émile, Pierre, Albert Poupleau, 25 ans, ajusteur, son époux (le couple est domicilié à Saint-Denis au moment de la naissance de son fils. Son père décède à Asnières-les-Bourges, rue des Chênes, en août 1913). En 1929, il s’inscrit sur les listes électorales de Puteaux, domicilié au 163, rue Jean Jaurès, où habite également Georges Poupleau, tourneur, né le 26 avril 1884 à Bourges (vraisemblablement son oncle).
Le 29 août 1931, à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), Émile Poupleau épouse Noëlle Gabrielle Huss à Suresnes. Ebéniste, Emile Poupleau a 24 ans, domicilié au 163, rue Jean Jaurès à Puteaux. Ses parents sont décédés au moment du mariage. Employée, Noëlle Huss a 18 ans, née le 28 septembre 1912 à Malo-les-Bains (Nord), domiciliée chez ses parents au 9, rue Emile Duclaux à Suresnes.
Le couple a une fille, Renée, qui naît le 9 septembre 1934.
Emile Poupleau est menuisier-ébéniste aux Etablissements Lelorieux de Suresnes, adhérent à la CGT. En 1936, la famille est domiciliée au 163, rue Jean Jaurès à Puteaux. Il est membre du Parti communiste depuis 1938, et militant.
Puis il est embauché comme modeleur sur bois à l’usine du Moulin Noir à Nanterre.
Conscrit de la classe 1927, Emile Poupleau est mobilisé le 26 août 1939. Travaillant pour l’usine du Moulin Noir à Nanterre, une des premières entreprises à fabriquer de l’aluminium, et donc vitale pour la défense nationale (en particulier l’aviation), il y est de ce fait « affecté spécial » sur son poste de travail à partir du 14 novembre.
Il semblerait (sources : documents PCF à la Libération) avoir été arrêté le 1er février 1940 pour « distribution de tracts« . Comme Raphaël Manello de Puteaux (lui aussi né à Bourges), il aurait alors été incarcéré au Dépôt de la Préfecture, puis écroué à la Santé le 13 février 1941, puis « évacué » .
En effet, peu avant l’arrivée des Allemands à Paris, la Prison militaire de Paris (les prisons de la Santé et du Cherche-Midi) est évacuée sous escorte armée entre le 10 et le 12 juin 1940, sur ordre de Georges Mandel, ministre de l’Intérieur (1). Mais nous n’avons pas trouvé trace de cette incarcération.
A moins d’une confusion avec un homonyme, il semble qu’Emile Poupleau ait été soit évacué vers le camp de Gurs, puis jugé à Périgueux, puis libéré, ou qu’il se soit évadé au moment des bombardements allemands du camp des Groües, comme Raphaël Manello.
Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Revenu à Puteaux, Emile Poupleau « participe à la lutte clandestine« (« L’Eveil »).
Professionnel hautement qualifié, il retrouve du travail chez Charles Mochet, au 68, rue Roque-de-Fillol à Puteaux. Y travaille également un autre putéolien, lui aussi ancien militant communiste : Lucien Pairière.
Devant la recrudescence de l’activité de propagande clandestine (inscriptions à la craie, collage de papillons gommés et diffusion de tracts), le commissariat de police de Puteaux et les Renseignements généraux intensifient les surveillances, filatures et enquêtes de voisinage.
En janvier 1941, une structure communiste clandestine d’une trentaine de membres est découverte.
26 militants, dont André Bisillon, Louis Leroy, Lucien Pairière et Emile Poupleau, sont arrêtés à partir du 26 janvier et inculpés d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste), pour : « recrutement d’éléments susceptibles de participer d’une manière particulièrement active à l’organisation de la propagande communiste clandestine à Puteaux » et « confection, répartition et diffusion du « matériel de propagande (tracts, papillons, placards) ».
Emile Poupleau est arrêté sur son lieu de travail le 27 janvier 1941. Il est écroué à la Santé le 1er février 1941.
Le 16 avril 1942, il est transféré de la permanence du Dépôt au sein d’un groupe de 60 prisonniers de la Santé au « Centre de séjour surveillé » de Voves. 38 d’entre eux seront par la suite déportés à Auschwitz.
Lire dans le site : Le camp de Voves. Il y reçoit le n° 67.
Le 10 mai 1942 il est transféré avec 80 autres internés de Voves au camp allemand (le Frontstallag 122) de Royallieu à Compiègne à la demande du MBF (Militärbefehlshaber in Frankreich), commandement militaire en France jusqu’en juin 1942 – installé à Paris (hôtel Majestic). Cinquante-six d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
Il est enregistré à son arrivée à Compiègne sous le numéro matricule « 5753 ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Emile Poupleau est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 46 006 ». Sa photo d’immatriculation à
Auschwitz (1) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz. Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8
juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale«
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Emile Poupleau meurt à Auschwitz le 17 août 1942, d’après les registres du camp.
Leur fille, Renée Poupleau « est envoyée par camion (comme d’autres enfants qui subissaient les bombardements des usines Dassault (3) à l’autre bout de la France, en Haute-Saône, à la campagne et confiée à une famille. A dix ans à peine, elle apportait des messages aux hommes qui étaient entrés en résistance. Son point de vue sur cette période et ses souvenirs sont passionnants, elle est une mémoire vivante » (mail de la fille de Renée Poupleau, madame Valérie Favennec, le 3 janvier 2024).
Le titre de « Déporté politique » a été attribué à Emile Poupleau. L’association Nationale des anciens FFI-FTP l’a proposé pour la médaille commémorative, remise le 14 juillet 1949.
En mai 1970, son nom est gravé sur le monument à la mémoire des Martyrs de la Résistance. Une plaque était prévue, avec le nom des « 3 de la rue Cartault » : mais elle n’a pas été apposée à notre connaissance.
- Note 1 : Evacuation de la Santé : Ils sont 1865 au départ de Paris. Le repli a pour but de transférer les détenus « dangereux » de la « prison militaire de Paris » au camp de Gurs (arrondissement d’Oloron) puis à Mauzac. Emile Poupleau et ses co-détenus sont évacués par autobus de la TCRP, le 10 juin 1940. A Orléans, les gardiens du convoi apprennent que la maison d’arrêt est bondée ; le convoi repart donc jusqu’au camp des Grouës, proche de la gare des Aubrais, où 825 prisonniers, sont débarqués. Prisonniers et gardiens y resteront quatre jours, du 11 au 15 juin. Le séjour au camp des Grouës est marqué par les raids incessants de l’aviation allemande qui terrorisent détenus et gardiens. C’est pourquoi, le 15 juin, tout le monde repart. Mais cette fois, plus question d’autobus, le transfert se fera à pied et de nuit. Ils rejoignent le lendemain à Jouy-le-Potier des camions qui les conduisent à la base aérienne 127 d’Avord, près de Bourges. Ils y retrouvent un autre groupe d’Ile de France venu du camp de Cépoy, près de Montargis (Loiret). (…). Gardiens et détenus n’y restent que quelques heures, puis repartent en autobus jusqu’à Bordeaux, Mont-de-Marsan, Orthez et Gurs. Ils arrivent au camp en deux groupes, les 21 et 23 juin. Ils y resteront plusieurs mois, jusqu’au début de l’hiver (L’histoire du camp de Gurs, in © Amicale du camp de Gurs).
- Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la
Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés. - Note 3 : Les usines Renault à Billancourt ont continué à fonctionner, au profit de l’armée allemande. Elles sont bombardées en mars 1942 et en avril et septembre 1943.
Sources
- Plaquette mai 1981, « La Résistance à Puteaux, Juin 1940 à Août 1944« . Témoignages vécus et recueillis par Jean Nennig,
- Buyle Philippe, Le P.C.F. à Puteaux à la Libération : des hommes pour un pouvoir, Maîtrise d’histoire, Université de Paris X Nanterre, 1984 (Dir. René Rémond), 189 p
- Mlle Chabot, archiviste (juin 88 et février 1991).
- Témoignage de Mme Marie-Louise Pairière, veuve de Lucien Pairière, un des « 45000 » de Puteaux, juillet 72.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Archives de la Préfecture de police (Pré-Saint-Gervais) :
dossiers des RG. - Comité du souvenir du camp de Voves : Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Mail de sa petite fille madame Valérie Favennec, le 3/01/2024.
Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2016, 2019, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) . Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Je suis la petite-fille fille d’Emile Poupleau, ma maman a été très émue lorsque nous avons découvert par hasard le site avec la photo de son père en uniforme de prisonnier. En effet, ma grand-mère n’avait pu conserver qu’une seule photo, elles ont tout perdu lors des inondations de la Seine dans les années 50. Ma maman est également un témoin de son temps, puisqu’elle fut envoyée par camion (comme d’autres enfants qui subissaient les bombardements des usines Dassault) à l’autre bout de la France, en Haute-Saône, à la campagne et confiée à une famille. A dix ans à peine, elle apportait des messages aux hommes qui étaient entrés en résistance. Son point de vue sur cette période et ses souvenirs sont passionnants, elle est une mémoire vivante.
Nous vous remercions pour votre travail, il nous a permis de faire des démarches pour honorer la mémoire de mon grand-père et au cours de ces démarches nous avons pris contact avec l’association qui s’occupe des familles de déportés, ma maman a pu bénéficié d’une pension dont nous n’avions pas connaissance, ma grand-mère ayant toujours refusé toute compensation et notamment sa pension de veuve de guerre, par fierté sans doute.
Merci beaucoup pour ce commentaire : nous sommes heureux que notre travail ait pu contribuer au souvenir de votre grand-père dans votre famille. Vous écrivez que votre grand-mère n’avait pu conserver qu’une seule photo de son mari. Si vous avez cette photo, et si vous le souhaitez, nous pouvons l’installer dans la notice biographique. Par ailleurs, nous allons ajouter ce que vous écrivez sur le rôle de votre maman.