Gaby Lejard après la Libération
Plaque au square Gabriel Lejard, 2019

Matricule « 45 772 » à Auschwitz

Rescapé

Gaby Lejard : né en 1901 en Côte d'Or ; domicilié à Dijon ; ajusteur, forgeron, serrurier ; cégétiste et communiste ; résistant ; arrêté le 22 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Sachsenhausen, Kochendorf et Dachau: rescapé ; décédé le 2 novembre 1988.

Gabriel (Gaby) Lejard est né le 5 juillet 1901 à Barges (Côte d’Or). Il habite à Dijon 10, rue du Creux d’Enfer au moment de son arrestation.

Il est le fils de Jeanne, Augustine Chevalier, 25 ans, domestique, et d’Auguste Lejard, 31 ans, employé au PLM. Ses parents sont libres penseurs (Le Maitron).  Son père a eu les deux jambes sectionnées dans un accident du travail et sera “pensionné”.
Devenu épicier à Barges, il est élu conseiller municipal de cette commune sur la liste socialiste, sans adhérer au parti.
Gabriel Lejard a une sœur cadette, Andrée, née en 1903, et deux frères aînés : Ernest né en 1893 et Albert (1895-1915).
« Gaby apprend le métier d’ajusteur. Albert et Ernest (ses frère aînés) sont dans les tranchées, en première ligne. Leurs parents Jeanne et Auguste tremblent en lisant les nouvelles du front.

Ernest, Gabriel et Andrée Lejard

Dès le début de la guerre, un jeune d’un village voisin est tué. Peu de temps après, ils apprennent avec émotion la mort du fils Rebuillot, le maire de Barges. Albert, né en 1895, est tué sur le front d’Alsace le 18 juin 1915. Gaby en est très marqué : il militera alors contre la guerre et le militarisme).  La mort de son frère Albert à la guerre, et les souffrances de son frère Ernest lui inspirent très tôt l’horreur de la guerre et des réflexions personnelles (confiées au journaliste, Gérard Desprez). « La guerre, c’est une machine que l’on met en marche longtemps à l’avance ; ce sont ces sales « mécaniciens » qu’il fallait trouver, leur casser les bras. Foutre leur sacrée machine en l’air,… je ne sais pas moi… » « Et ce Gustave Hervé qui voulait la « grève militaire »… et la « grève des mères » ! … Vraiment. il y en avait qui ne tournaient pas rond ». « Mais l’argent, l’argent pour la guerre. On leur a donné. » « Le 4 août, on enterrait Jaurès, on l’enterrait deux fois car le même jour, tous les députés, Tous … votaient les crédits pour la guerre. Aujourd’hui, on est tous dans la boue, dans la pourriture. On crève comme des chiens ! Albert était mort là-bas. Dans un éclat d’obus, comme des milliers de jeunes… au temps d’aimer » (Saura Janelli-Lacaze).

Gabriel Lejard devient ajusteur après des études à l’Ecole Pratique de la ville.
D’abord adhérent des Jeunesses socialistes, puis d’un groupe libertaire, il part l’été 1919 pour Alger où il est nommé membre du bureau du syndicat des métaux et où sa participation à une grève en mars-avril 1920 lui vaut d’être poursuivi en correctionnelle et d’être rapatrié en France.
En novembre 1919, il est embauché à Dijon à la fabrique de motocyclettes Terrot.

Conscrit de la classe 1921, son registre matricule militaire indique qu’il habite Dijon au 35, rue Pasteur au moment de son conseil de révision et qu’il travaille comme ajusteur mécanicien.  Il mesure 1m 58, a les cheveux châtain foncé et les yeux bruns, le front haut, le nez « légèrement convexe », le visage ovale. Il a un niveau d’instruction « n° 3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Gabriel Lejard est appelé au service militaire en avril 1921. Le 6 avril 1921, il est incorporé au 1er Régiment d’artillerie hippomobile. Gabriel Lejard dit avoir été changé quatre fois de régiment « par mesure disciplinaire ».  Le 1er novembre, il « passe » au 37ème régiment d’artillerie. Le 20 janvier 1922, il passe au 8ème bataillon d’ouvriers. Le 16 février, il est affecté au 121ème escadron du Train auto. Son régiment fait partie des troupes d’occupation de la Ruhr.

Gabriel Lejard nous dira avoir fraternisé avec les mineurs en grève pendant cette période. Le 15 mai 1923, il est « renvoyé dans ses foyers », «certificat de bonne conduite accordé ».
A sa démobilisation en 1923, il retourne chez Terrot et adhère au syndicat de la métallurgie de la CGTU dont il est élu secrétaire adjoint. Au moment de son mariage, son père victime d’un accident du travail au PLM, est épicier.
Le 10 novembre 1923, à Lyon 2, il épouse Léa, Antoinette Echailler. Elle a 22 ans, coiffeuse, née le 7 novembre 1901 à Arnas (Rhône), elle est domiciliée au 19, rue Auguste Comte à Lyon. Les jeunes mariés vont habiter au 76, rue de la Vannerie, où Léa tient une boutique de coiffure.

Usine Terrot de Dijon © Terrot.org

Le couple a une fille, Jeannine, qui naît le 31 août 1927 à Dijon (1).
En 1935, Gabriel Lejard donne son adhésion au Parti communiste et assume une série de responsabilités syndicales : secrétaire général du Syndicat des Métaux en 1934, il fonde plusieurs sections affiliées.  Il rentra au conseil syndical du syndicat et devint secrétaire de la section unitaire Terrot en 1927. En 1934, il conduisit un mouvement de grève qui déboucha sur l’obtention d’une semaine de congés payés.
Élu secrétaire adjoint de son syndicat la même année, il adhéra au Parti communiste au début de 1935 en même temps que 
Jean-Baptiste Thibeau et Henri Carrière, dirigeants du syndicat des métaux de Dijon, et participa à toutes les manifestations antifascistes de 1934-1935 à Dijon. En 1935, il fut envoyé par le syndicat à l’usine Cheveau de matériel électrique pour y organiser une section syndicale, perdant ainsi la prime d’ancienneté et la semaine de congés payés dont il bénéficia chez Terrot. La section syndicale fut créée un mois après. L’usine Cheveau fut la première à être occupée à Dijon par les ouvriers en juin 1936 et la direction céda en vingt-quatre heures. Gabriel Léjard dirigea l’extension du mouvement à tous les établissements de la métallurgie dijonnaise, prit très souvent la parole dans les meetings et les usines occupées, s’occupa de la création de nouvelles sections syndicales.

Le Courrier de Saône et Loire 10/02/1939. Montage Pierre Cardon

Secrétaire général adjoint en 1936, en décembre 1937, il succéda à Jean Thibeau, appelé à des responsabilités fédérales, et devint secrétaire général du syndicat des Métaux de Dijon et membre de la commission administrative de l’Union départementale de la Côte-d’Or. Il fut l’un des principaux organisateurs de la grève du 30 novembre 1938 (Le Maitron).
« En 1936, il est élu secrétaire des Syndicats unifiés avec Thibaut. Il entre à la commission administrative de la Bourse du Travail en 1937 » (2).

Lors de la grève générale du 30 novembre 1938 lancée par la CGT, il participe au blocage des usines Terrot, rue André Colomban. Et comme dans la plupart des usines en France, il subit comme les responsables grévistes, les poursuites judiciaires lancées dès le lendemain des grèves par le patronat pour « entrave à la liberté du travail ». Les plaintes déposées à son encontre aboutissent à sept inculpations pour ce motif.

« Il fut licencié de l’usine Cheveau et passa alors trois fois en correctionnelle pour entraves à la liberté du travail, et ne fut réembauché que le 20 février 1939 dans une autre entreprise de la métallurgie dijonnaise, Roux-Léger, grâce à Eugène Foulon, inspecteur du Travail et ancien dirigeant de la CGT« . in Le Maitron.

A la veille de la guerre, il appartient à la Commission administrative de l’Union départementale.  En septembre 1939, la CGT nationale (tendance Jouhaud, majoritaire) exige des militants de l’ex-CGTU qu’ils désavouent le Pacte germano-soviétique sous peine d’exclusion.
En Côte d’Or, les 10 membre majoritaires exigent la même chose des 5 ex-CGTU, dont Gaby Lejard.
« Après la déclaration de guerre, Lejard, poussé à la démission du secrétariat général du syndicat des métaux de Dijon, resta secrétaire général, réélu par 3 fois de suite, lors d’une Assemblée Générale, en présence de la police, contre Marcel Bardollet, tendance confédérée. Il continua à militer malgré les pressions constantes de la préfecture. Finalement, le syndicat fut dissout par le préfet et, quand il se reconstitua en décembre 1939, Léon Seux, nouveau secrétaire général refusa sa présence, et l’ordre fut donné de ne pas renouveler sa carte syndicale » Le Maitron

Le 17 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Dijon et s’y installent. Interdictions, réquisitions, couvre-feu : l’armée allemande contrôle la ville. Dijon est durement touchée par la politique antisémite et les arrestations orchestrées par les troupes allemandes et l’administration de Vichy.
Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Mobilisé dans l’artillerie antichars, Gaby Lejard se retrouve à Pau pendant la débâcle. Il parvient à se faire démobiliser, et regagne Dijon en août 1940.
Sa famille le croyait prisonnier.

A Dijon, il constitue des groupes clandestins composés de cheminots et de métallos, qui s’occupent de faux papiers et de récupération d’armes. « La police française nous harcèle » écrit-il. « A ce moment là, il n’y avait que les purs prêts à entrer dans la clandestinité« .

Membre du Front National selon ses dires (le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France), il est arrêté par la police allemande le dimanche 22 juin 1941 à 10 h du matin : « depuis 6 h, la guerre à l’URSS est commencée« . Gabriel Lejard est persuadé qu’il a été livré à la Gestapo par la Préfecture, ainsi que 9 de ses camarades (voir la note 3).
Ce qui est certain c’est que le 22 juin 1941,  jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom  » d’Aktion Theodorich », les Allemands arrêtent dans la zone occupée et avec l’aide de la police française», plus de mille communistes. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (les prisons de Dijon et de Vesoul pour la Côte d’Or), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.

Le camp de Royallieu à Compiègne administré par la Wehrmarcht

Le 22 juin à 11 h 30 Gabriel Lejard est amené à la prison de Dijon à 11 h30 « interrogatoire d’identité, deux ou trois coups de pieds au derrière, et çà y est, en cellule !« . « Le lendemain soir nous étions une quinzaine. Le troisième jour, départ pour la prison de Vesoul. Puis le 3 juillet départ pour le camp d’internement de Compiègne, où nous arrivons le 5 juillet 1941, le jour de mes 40 ans« .
A Compiègne, il reçoit le matricule n° « 1001 ». Il dit en 1984, qu’il devait faire partie de la deuxième vague d’évasion (celle-ci n’a pas eu lieu après la découverte du tunnel et de l’évasion de 19 militants et responsables nationaux communistes). Lire dans le site : 22 juin 1942 : évasion de 19 internés

Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Gabriel Lejard est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes comme Gabriel Lejard, dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 772 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a été pas retrouvée parmi les 522 photos que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

A Auschwitz I, il est affecté d’abord au Block 22, avec Paul Charton et Pierre Longhi (« un block de tueurs » écrit-il, où les kapos assassinent journellement « battus, battus tous les jours, battus à ne pouvoir se relever« ), puis il est affecté au Block 17 A (« un des plus mauvais » écrit-il), puis à un Kommando de déchargement des wagons, aux Kommandos Sablière, Ski et Béton-Colonne.  Il a raconté publiquement la mort de Paul Charton lors de l’inauguration de la salle de Club de l’Union Sportive Ouvrière Dijonnaise (USOD), fondé par celui-ci en 1935.
Lire dans le site : 
Gabriel Lejard : la mort de Paul Charton 

Il participe activement à la Résistance clandestine au sein du groupe français .
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants.
Lire l’article du site « les 45000 au block 11.  Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".
Marche de la mort croquis au charbon

Le 28 août 1944, on le transfère à Sachsenhausen, puis aux mines de sel de Kochendorf dans la région du Neckar , un camp dépendant de Natzweiler. Il y reçoit le matricule N° 33 834 et y travaille comme Schlosser (serrurier).
Puis, par une terrible « Marche de la Mort » qu’il décrit avec une grande précision, il est transféré depuis Kochendorf au camp de Dachau (8 avril 1945).

Sa carte d’immatriculation à Kochendorf, sous camp de Natzweiler. On note la date d’arrivée à Dachau le 8 avril 1945.
Immatriculation à Dachau

Lire dans le site : Gabriel Lejard. Récit : d’Auschwitz à Kochendorf et les marches de la mort de Kochendorf à Augsburg, puis Dachau.

Il s’agit de son discours à Dijon lors des cérémonies du 35ème anniversaire de la libération des camps. Il avait choisi de parler des autres camps qu’il avait connu.
Gabriel Lejard est libéré à Dachau le 29 avril 1945 par les troupes américaines

Ci dessous extraits d’une lettre de Gabriel Lejard du 9 mai 1945, envoyée a son épouse et à sa fille dont il ignore la disparition tragique à Ravensbrück. Si le camp de Dachau a été libéré le 29 avril 1945, le retour des déportés est lent et dans cette lettre on mesure bien l’état d’esprit des déportés.
« Dachau le 9 mai 45. Mes deux chéries. Je vous envoie ces quelques mots pour vous donner de mes nouvelles qui sont toujours bonnes, à part un rhume de cerveau qui me dure depuis 3 ans et pour le moment la chiasse. Je vous avais dit que j’espérais être parmi vous cette semaine. Mais hélas il faut déchanter. Car nos libérateurs n’ont pas l’air bien pressé. Après nous avoir fait des promesses précises, nous nous rendons compte
qu’au train où vont les choses, à la fin du mois nous serons encore ici. Un véritable vent de révolte commence à souffler parmi les Français. Nous avons décidé d’écrire à de Gaulle et de vous demander que vous en fassiez autant ainsi que des pétitions, faites le de suite. Rien n’a été fait de sérieux pour l’hygiène, il y a toujours des poux, des puces. Depuis 5 cinq semaines que je suis ici nous n’avons pas encore changé de linge, nous n’avons même pas de mouchoirs, nous couchons toujours à trois par lit d’une personne, les malades sont pour la plupart mélangés encore à nous [.. .]. La semaine qui vient de s’écouler a vu encore 800 morts. C’est un véritable scandale, le plus gros travail de nos libérateurs est de faire de la photo et des prises de vue pour le cinéma. Nous avons aussi une invasion d’aumôniers français, qui nous prodiguent de bonnes paroles et c’est tout. […] Nous attendons le général Leclerc et nous allons lui communiquer nos plaintes. Hier nous avons fêté la fin de la guerre »
.
Document d’archives du Fonds Gabriel Lejard (ADIAMOS). Ces archives ont été versées à ADIAMOS par Maurice Voutey, professeur d’Histoire-Géographie, vice-président de la FNDIRP et neveu de Gabriel Lejard.
Scandalisé par les conditions d’hygiène et le refus de laisser les rescapés français s’embarquer dans des camions de l’armée de Lattre, il s’évade du camp avec un petit groupe de cinq camarades, et le 13 mai 1945, regagne la France « en wagon à bestiaux« , via Strasbourg.
Il a la douleur d’apprendre la mort de sa fille Jeannine à Ravensbrück, déportée comme agent de liaison dans la Résistance (1).

Gabriel Lejard et son épouse Léa

Gabriel Lejard est homologué comme Résistant, au titre des Forces Françaises combattantes (FFC) et comme Déporté Résistant (DIR), comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 358299.

M. José Tomas, chef du bureau de la gestion des ordres nationaux et de la Médaille militaire nous a aimablement communiqué le texte suivant : « Gabriel Lejard né le 05 juillet 1901 à Barges (Côtes d’Or) a été nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 14 avril 1975, publié au journal officiel du 15 avril 1975 en qualité de capitaine de la résistance intérieure française. Puis, promu officier de la Légion d’honneur par décret du 29 avril 1983, publié au journal officiel du 4 mai 1983 en qualité d’ancien capitaine de la résistance intérieure française. Il n’a pas été trouvé trace d’une concession de la Médaille militaire le concernant. »
Il témoigne à Valenciennes, au procès de deux kapos, un Français et un Polonais, «qui maltraitaient les déportés dans les mines de sel de Kochendorf» : ils sont condamnés à mort et fusillés.

Plainte du 11/06/1945

Dès son retour, Gabriel Lejard dépose plainte le 11 juillet 1945, auprès du commissaire de la République, Claude Guyot, président du Comité départemental de Libération, contre son dénonciateur (et de ses camarades) présumé, Pierre Napoléon P…, commissaire à la police des Chemins de fer, et voit à sa grande tristesse l’affaire classée après un non lieu délivré par le juge V… (4).
Il cite outre les noms de quatre de ses camarades déportés avec lui à Auschwitz (Jean Bouscand, Jean Mahon, Ernest Repiquet, Jean Josselin), ceux d’autres militants : Jean Tibeau, mort à Mauthausen, Leblanc, mort à Sachsenhausen, Chalon Marcel mort à l’hôpital, André Benaïm, fusillé à Lyon (le 23/09/1943), Golotte déporté, sans nouvelles, Maxime Couhier, Jean Humbert, Cadoux Roger, Butigag et Faucillon internés à Compiègne.

Gabriel Lejard retrouve ses activités syndicales et politiques : il est membre de la  commission administrative de l’UD-CGT, secrétaire fédéral du Parti communiste (responsabilité qu’il exerce jusqu’en 1946 et qu’il abandonne lorsqu’il devient secrétaire général de l’UD-CGT de Côte d’Or, jusqu’en 1970).
Il est président de l’ADIRP Côte d’Or (Association des déportés internés résistants et patriotes) et membre du Comité national de la FNDIRP.

Extrait d’un journal local pour son départ en retraite

« La haine de la guerre, conçue dès l’adolescence, Gabriel Lejard la conservera tout au long de son existence. Il sera de toutes les luttes, de tous les combats pour la Paix ! C’est ainsi que dans les années 50 l’appel de Stockholm (mars 1950) et la collecte de millions de signatures sera l’occasion pour l’UD-CGT sous la houlette de Gaby d’organiser la Course pour la Paix. Un flambeau enflammé traversera le département depuis Avallon ; il sillonnera la France entière. Gaby est du convoi de voitures et de motos. Prise de paroles, distribution de tracts, collecte de signatures à chaque village. Nous remettrons la flambeau aux amis de Saône-et-Loire (…) Ce fut une belle journée pour la Paix… » Saura Janelli-Lacaze.

Le 19 juin 1951, il signe une lettre au Président de la République Vincent Auriol – au nom de l’UD-CGT de Côte d’Or – pour protester contre la grâce « du vieux traître Pétain » et lui « exprimer le dégoût que nous inspire votre geste » (le Général De Gaulle avait en 1945 commué la peine de mort de Pétain en réclusion à perpétuité. Le président de la République, Vincent Auriol, qui préside le Conseil supérieur de la magistrature a autorisé par décret du 8 juin 1951 «l’élargissement» du prisonnier dont la fin est proche et son assignation à résidence «dans un établissement hospitalier ou tout autre lieu pouvant avoir ce caractère». Son transfert dans une maison privée de Port-Joinville a lieu le 29 juin 1951, où Philippe Pétain meurt le 23 juillet 1951).

Gaby Lejard est de tous les combats : pour la paix au Vietnam, contre la guerre d’Algérie, l’OAS.

Réponse à Darquier de Pellepoix

En 1978, lorsque le sinistre Darquier de Pellepoix, journaliste antisémite (créateur en 1936 du « Rassemblement anti-juif » et collabo nommé en 1942 à la tête du Commissariat général aux questions juives, à la demande des occupants qui jugeaient trop modéré son prédécesseur, Xavier Vallat), ayant fui à la Libération une condamnation à mort par contumace et réfugié en Espagne franquiste, accorde un entretien à L’Express (le ) où il déclare notamment : 

« Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz . On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux », Gabriel Lejard prend la parole dans la presse départementale : « En réponse à Darquier de Pellepoix : Ni oubli, ni pardon« .
Lors de son départ à la retraite, le journal local a rappelé sa vie et ses combats.
Gabriel Lejard est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) et DIR (Déportés et Internés Résistants) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.

Gaby Lejard est homologué Déporté Résistant (n° 1-016-02288). Il a reçu la Médaille de la Résistance et la rosette d’officier de la Légion d’Honneur.

Gabriel Lejard disparaît le 2 novembre 1988.  Un square de Dijon porte désormais son nom.
Son épouse Léa décède en 1991.

Lire sur Adiamos (21300 Chenôve), la notice biographique rédigée par Pierre Lévèque.

« Gabriel Lejard a laissé de nombreux récits, lettres et témoignages écrits. Je l’ai rencontré peu de temps avant son décès, chez son neveu, l’historien Maurice Voutey.
Il avait accepté que j’enregistre son témoignage sur cassette audio. Un témoignage publié dans ce site, en plusieurs articles… » Claudine Cardon-Hamet.

Le 14 mai 2019, à l’occasion du 52ème congrès confédéral de la CGT,François Rebsamen, maire et président de Dijon Métropole, et Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, ont dévoilé une plaque en hommage à Gabriel Lejard, au square Gabriel-Lejard à Dijon. 

  • Note 1 : Jeannine, Marie Lejard : alors que son père a été arrêté et déporté, elle rejoint les jeunesses patriotiques à 15 ans, puis  « elle rejoint les FTP en février 1943.
    Jeannine Lejard, dessin

     

    12, rue d’Enfer, chez les Lejard. Une plaque à la mémoire de  Jeannine  est apposée sur le pilier

    Chargée de la diffusion de tracts et journaux, elle devient rapidement agent de liaison à l’échelon départemental.
    Elle assure notamment des transports d’armes et de documents.
    Au début de l’année 1944, elle est nommé à l’état-major régional comme responsable des liaisons inter régionales FTP. En mars 44, elle passe dans la région de Bordeaux avec le grade de sous-lieutenant FTP (validé par le COMAC). Arrêtée le 18 juin 1944 au cours d’une mission à Paris à l’hôtel de la Boule d’Or, rue de Chalon, elle ne parle pas malgré la torture. Elle est incarcérée à Bordeaux au fort du Hâ
     » (in Musée de la Résistance en ligne).
    Elle est déportée le 3 juillet 1944 depuis Toulouse (le fameux « train fantôme ») et arrive le  28 juillet 1944 au KL Dachau. Elle est transférée au Camp de Ravensbruck elle meurt le 15 avril 1945.
    Elle a été décorée de la  Légion d’Honneur, de la Croix de guerre avec citation. Son nom a été donné à une caserne de Dijon, avenue Garibaldi dans le quartier Vaillant. Une rue de Talant porte également son nom. Des plaques commémoratives et celle apposée sur son domicile orthographient son prénom Jeanine avec 2 n. Mais les documents officiels et sa famille orthographient bien Jeannine avec 3 n. Elle est homologuée Sous-Lieutenant au titre des Forces Française de l’Intérieur (FFI) et DIR (Déportés et Internés Résistants) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.

  • Note 2 : Philippe Texier, secrétaire général de l’UD CGT de Côte d’Or, in Le Travailleur de Côte d’Or 2001, un 4 pages spécial édité à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Gabriel Lejard. Ce journal comprend en outre un bel hommage de son camarade de déportation André Montagne, de son successeur à l’ADIRP 21 Henri Soustelle, la contribution de Jean Vigreux et Stéphane Paquelin (historiens / ADIAMOS), un rappel de sa haine de la guerre par Saura Janelli-Lacaze, et un hommage de Marcel Harbelot (PCF) qui a milité à ses côtes pendant 10 ans.
  • Note 3 : Un témoignage de Maurice Voutey (neveu de Gabriel Lejard, historien) en date du 21 août 1996 corrobore cette affirmation. En effet, il révèle qu’un instituteur, Mr. T., dont il a été l’élève en 1937-1938, avait été révoqué parce que Franc-maçon et avait été employé à la Préfecture pendant la guerre. Après l’arrestation de Gaby Lejard, ce Mr. T. était allé trouver le père de Maurice Voutey pour lui dire que si Gaby, son beau-frère, avait été arrêté, c’est parce qu’il figurait sur une liste élaborée par le commissaire Poinsot. Mais à la Libération, Mr. T. s’est rétracté devant le juge d’instruction.
  • Note 4 : Le juge V… a exercé ses fonctions de 1940 à 1945. Il a en outre manifesté un zèle certain dans la « poursuite des militants communistes entre l’interdiction de leur parti et la débâcle de juin 1940« , chargé qu’il est alors de la “liquidation du Parti communiste”. D’après un paragraphe de la thèse de Claude Guyot, thèses.univ-lyon2.fr/

Sources

  • Témoignages : Georges Gourdon (1972) et Maurice Voutey, professeur, historien, le neveu de Gabriel Lejard (1988).
  • Mémorial d’Oranienburg-Sachso (page 254).
  • Dictionnaire international des militants anarchistes.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. tome 34, page 193 et version électronique.
  • Registres matricules militaires de Côte d’Or.
  • ADIAMOS: Association créée en mai 1993 à l’initiative d’enseignants chercheurs de l’Université de Bourgogne et de militants des mouvements sociaux.
  • Les photos de Gabriel, Ernest et André Lejard, le dessin de Jeannine, ainsi que de précieuses précisions généalogiques, proviennent de plusieurs envois de M. Jean-Paul Cilly, que je remercie vivement. Son épouse, qui a reçu le prénom de Jeannine en mémoire de la fille de Gaby, est une des petites cousines de celui-ci.
  • Cartes d’immatriculation à Kochendorf et Dachau : © International Center on Nazi Persecution, Bad Arolsen Deutschland

Notice biographique rédigée en février 1998 (mise à jour en 2016, 2017 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *