Maurice Mondhard © La Manche Libre

Matricule « 45 885 » à Auschwitz

Maurice Mondhard : né en 1899 à Caen (Calvados) ; domicilié à Saint-Aubin-sur-Mer (Calvados) ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage, suspect d’affinités communistes ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 22 octobre 1942 d'après le Death books d'Auschwitz
Un stolperstein (pierre mémorielle) a été apposé devant son domicile en 2023

Maurice Mondhard est né le 4 juillet 1899 à Caen (Calvados). Il habite rue des Tennis à Saint-Aubin-sur-Mer (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Deprey, 32 ans, servante à gages, née le 29 septembre 1867 à Tracy-Bocage (Calvados) et de Constantin Mondhard, 36 ans, garçon boulanger, journalier, son époux, né le 16 janvier 1863 à Caen où habitent ses parents au 23, rue Saint-Sauveur.  Il a deux sœurs aînées et un frère cadet (Léontine, née en 1887, Fernand, né en 1889 et René, né en 1905).
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1 m 67, a les cheveux châtain et les yeux marrons et qu’il possède un niveau d’instruction de niveau 3 (niveau primaire supérieur).

Conscrit de la classe 1919, Maurice Mondhard est mobilisé par anticipation, comme tous les jeunes hommes de sa classe.  Il arrive au 36è Régiment d’infanterie le 16 avril 1918. Affecté d’ambliopie à l’œil gauche (1/50), il passe devant la commission de réforme de Caen le 3 mai 1918. Malgré ce handicap visuel, il est déclaré apte au service armé, et il est  affecté au service auxiliaire du  3è escadron des équipages le 21 juin 1918. Il repasse au 36è Régiment d’infanterie le 21 juin 1918. La commission de réforme le maintient apte au Service armé et à l’armée d’Orient le 4 octobre 1918. Le 1er mai 1920, il passe au 119è RI.
Il est démobilisé le 21 mars 1921 et « se retire » à Caen, au 5, rue Saint-Sauveur.
En novembre 1925 et 1930, il habite Flers (Orne), au 48, route d’Athis.

« Au Lido », piscine sur l’Orne, d’Eugène Maës

Grand sportif, il joue au football dans des équipes de bon niveau et il est excellent nageur. Il fréquente la piscine-guinguette « Au Lido » d’Eugène Maës (1).

Maurice Monhard, agrandissement d’une photo de famille

Le 19 mai 1935, à Flers, il épouse Suzanne Lechevrel. Née à Flers le 10 mars 1903, elle est employée de banque et habite au 23, rue Nationale à Flers (elle est décédée à Caen en 1998).
Le couple a deux enfants (Hubert, né en octobre 1927 et Pierre, en novembre 1935, tous deux à Flers).
Maurice Mondhard est voyageur de commerce en bois à Caen (entreprise Saven selon le journal de Marcel Colin).
« Rappelé à l’activité », il est mobilisé en 1939. Maurice Mondhard est « Affecté spécial » dans une usine de munitions au Mans. Son affectation spéciale est radiée en décembre 1939, comme ce fut le cas de presque tous les militants syndicalistes, communistes ou soupçonnés tels. Il est alors affecté au 3è SIM (section d’infirmiers militaires) comme soldat de 2ème classe.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.

Maurice Mondhard est fait prisonnier à Mazé (Maine et Loire) le 20 juin 1940. Il est interné au Stalag X B selon son registre matricule militaire, à Sandbostel à 60 km au nord-ouest de Hambourg, un camp surpeuplé, aux conditions insalubres (deux grandes salles de 600 prisonniers). Toutefois, pour son fils Pierre, c’est au Stalag 17 qu’il est interné, un des plus grands camps de prisonniers de guerre du IIIè  Reich.
Maurice Mondhard est rapatrié en France le 26 juillet 1941. «Il était épouvanté – écrit son fils Pierre – par l’emprise du régime nazi sur les Allemands, d’où son attitude au moment de l’occupation, de ses idées trop clairement anti-hitlériennes« .

Maurice Mondhard est arrêté le 8 mai 1942, au matin, à son domicile, par des policiers allemands.
« à 7 h 30 – 8 heures du matin. Dans le plus grand calme. Mon père termina sa toilette, puis descendit. Embrassa ma mère, mon frère et moi-même. Un policier allemand lui conseilla de prendre manteau. Puis ils l’emmenèrent » écrit son fils Pierre.
Maurice Mondhard figure en effet sur la liste de 120 otages «communistes et Juifs» établie par les autorités allemandes.

Hubert Mondhard devant la maison où fut arrêté son père P 33, « De Caen à Auschwitz »

Son arrestation est ordonnée en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands.
Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43è régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht. 28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen.
Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du 43è RI.
Le 14 mai, 11 nouveaux communistes sont fusillés à Caen.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).

Il est suspect d’affinités communistes

Maurice Mondhard est amené à la maison d’arrêt de Caen. Puis il est remis aux autorités allemandes. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le Frontstalag 122, début mai, en vue de sa déportation comme otage.
A Compiègne, il est affecté dans une baraque de 52 hommes, avec les frères Colin, Emmanuel Desbiot et René Musset et 5 autres caennais.
C’est Gilbert Conrairie, un ancien des Brigades internationales, qui assure la répartition de la nourriture dans la baraque.

Marcel Colin le cite dans son journal de Compiègne.

Le jeune Marcel Colin tient un journal où il a noté les moindres détails de sa vie à Compiègne, et confié ses pensées. Il prie avec ferveur, trouve quelque réconfort auprès de prêtres du « camp américain », parle avec tendresse de ses parents. Il cite le député Jean Robert Philippot, Lucien Siouville. Il ne quitte guère son frère, et ses amis devenus proches : le professeur Desbiot, le doyen Musset et Maurice Mondhard.
« Notre chambre contient 52 types, dont les 8 de Caen, mais nous formons une bonne équipe de 5, Marcel et moi, Mr Musset, Mr Desbiot et Mr Mondhard, un représentant en bois de la maison Saven, ancien prisonnier de guerre de Saint Aubin, qui comme nous, ne sait pas trop pourquoi il est là, c’est un brave type et tous les cinq nous passons le temps ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Maurice Mondhard et est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule  « 45 885 » (listes FNDIRP).

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date

Maurice Mondhard meurt à Auschwitz le 22 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 826). La mention «Mort en déportation» apposée sur son acte de décès (arrêté du 8 juillet 1996 paru au Journal Officiel du 27 août 1996), portait initialement la date fictive du 13 septembre 1943 . Nous écrivions alors  « il serait souhaitable que le Ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil de la municipalité d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau) ».
Cette date a été modifiée en : 15 septembre 1942 … Ce qui est plus proche de la réalité, mais pour une raison inconnue sans reprendre la date du Death books d’Auschwitz du 22 octobre ! Et cette nouvelle date « officielle » a bien évidemment été reprise sur le Stolperstein.

Stolperstein in © Liberté

Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué. Son nom figure sur le Monument aux Morts de Saint-Aubin-sur-Mer. Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de  David
Badache
 et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de Maurice Mondhard est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année. 

En 2023, trois habitants de Saint-Aubin-sur-Mer, Jean-Paul Ducoulombier, Sibylle Hecht et Michel Charton voient leur objectif atteint : la pose d’une « stolperstein » ou pierre mémorielle a été scellée le 16 septembre 2023 devant son domicile en mémoire de Maurice Mondhard. © Ouest-France

  • Note 1 : Eugène Maës, né le 15 septembre 1890 à Paris et mort le 30 mars 1945 à Ellrich (Allemagne). Sur la vie de ce grand footballeur caennais, propriétaire de la piscine-guinguette du Lido, voir : https://www.cairn.info/revue-annales-de-normandie-2017-2-page-143.htm

Sources

  • Archives en ligne du Calvados, registre matricule militaire
  • Fiche FNDIRP établie par sa veuve (N°21428 / 8271). Elle cite le doyen de la Faculté de Caen, M. Musset, arrêté dans les mêmes conditions, mais qui ne fut pas dans le convoi du 6 juillet 1942.
  • Questionnaire rempli par son fils Pierre (16 mai 1989). Il y décrit l’arrestation de son père.
  • Journal de Marcel Colin, tenu à Compiègne du 9 mai au 4 juillet 1942, qui l’a côtoyé quotidiennement, et apprécié.
  • Liste des «communistes arrêtés par les soins exclusifs des Autorités Françaises dans la nuit du 3 au 4 mai et conservées par Elles».
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés.
  • Fichier national du Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, 1992, Caen.
  • Photo de famille.

Notice biographique rédigée en janvier 2001, complétée en 2017, 2020, 2023 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive« . Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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