Matricule « 45 348 » à Auschwitz
Roger Cerveaux : né en 1901 à Reims (Marne) ; domicilié à Breteuil-sur-Noye (Oise) ; typographe à l’Humanité ; socialiste puis communiste ; arrêté le 20 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 10 août 1942
Roger Cerveaux est né le 3 novembre 1901 à Reims (Marne). Il habite 60, rue Voltaire à Breteuil-sur-Noye (Oise) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Irma, Alphonsine, Mathilde Picard, 29 ans, née en 1872, couturière et de Alphonse, Jules, Alfred Cerveaux, 32 ans, né en 1869, cocher, son époux.
Il a deux sœurs aînées, Renée, née en 1895 et Yvonne, née en 1898 et un frère cadet, Raymond, né en 1903.
Il épouse Raymonde Denelle le 14 octobre 1924, à Paris 14°. A cette date, ses parents sont décédés. Son épouse travaille comme brocheuse, elle est née le 20 septembre 1904 à Paris 6°. Le couple habite au sentier de Bourg-la-Reine à Fontenay-aux-Roses. Elle y décède le jour de ses 22 ans, le 10 septembre 1926.
Devenu veuf, Roger Cerveaux se remarie à Breteuil (Oise) le 9 juillet 1927 avec Madeleine, Léonie, Eugénie Denant. Elle est née le 10 juillet 1899 à Breteuil, fille de Gabrielle Auger et de Napoléon Denant. Elle a été mariée le 16 juin 1924 avec Aimé Humbert à Breteuil (elle est décédée en 1990).
Roger Cerveaux organise à Breteuil « les Jeunes Socialistes« . Il est adhérent de la section SFIO de Breteuil en 1931, dont il est membre du bureau comme trésorier général (in Le Populaire du 8 mars 1931).
Puis il adhère au Parti communiste et crée une cellule du Parti communiste. Il travaille alors comme typographe à l’Humanité : «il semble qu’il ait effectué quotidiennement le trajet Breteuil embranchement – Paris par chemin de fer, son épouse le menait en voiture à la gare de départ » écrit le maire de Breteuil.
Il est candidat communiste au conseil d’arrondissement le 10 octobre 1934 (il obtient 390 voix), puis aux élections cantonales de 1937. A Breteuil même, il obtient 24 % des voix. Les Renseignements généraux le décriront ultérieurement ainsi : « Propagandiste ardent, militant convaincu, agent de liaison du Parti entre la capitale et l’Oise« .
Il se retrouve sans travail après l’interdiction de l’Humanité en 1939. Il est alors saisonnier dans plusieurs fermes de Breteuil, puis il est employé chez monsieur Huchez, dont la quincaillerie, détruite en 1940, était réinstallée au « Bonnet Rouge », rue d’Amiens, près de l’actuel « Cap Nord » (Adrien Roger in bulletin municipal).
« Dès le début juin 1940, l’Oise est envahie par les troupes de la Wehrmacht. Nombre de villes et villages sont incendiés ou dévastés par les bombardements. Département riche en ressources agricoles, industrielles et humaines l’Oise va être pillé par les troupes d’Occupation. Ce sont les Allemands qui disposent du pouvoir réel et les autorités administratives françaises seront jusqu’à la Libération au service de l’occupant » (Françoise Leclère-Rosenzweig, « L’Oise allemande »). Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ».
C’est dans le magasin du « Bonnet rouge » que Roger Cerveaux est arrêté le 20 octobre 1941 : « les Allemands qui le cherchaient s’adressèrent à l’hôtel de ville. Monsieur Taton, secrétaire de mairie, refusa courageusement de leur fournir un quelconque renseignement, ce qui les rendit furieux. C’est alors que la gendarmerie intervint et découvrant son lieu de travail procéda à son interpellation sous le prétexte d’un simple contrôle d’identité » (Adrien Roger). Roger Cerveaux est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le Frontstalag 122.
Le 13 avril 1942, le commissaire principal aux renseignements généraux transmet au préfet de l’Oise soixante-six notices individuelles concernant des présumés communistes internés au Frontstalag 122 à Compiègne, dont dix-neuf futurs “45000”. Sur celle qui le concerne, à la rubrique « Renseignements divers », Roger Cerveaux est qualifié de « très dangereux », n’ayant « rien renié des théories moscoutaires ». Le 29 juin 1942, le Préfet Paul Vacquier écrit à la Feldkommandantur 580 pour essayer d’obtenir la sortie du Frontstalag 122 de 64 ressortissants de l’Oise – dont Roger Cerveaux – au motif « qu’aucun fait matériel d’activité communiste n’a été relevé à leur encontre depuis l’arrivée des forces allemandes dans la région » , envisageant la possibilité d’interner certains d’entre eux « dans un camp de concentration français ». Son courrier restera sans réponse.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Roger Cerveaux est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
A Auschwitz il reçoit le matricule « 45.348 ». Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Roger Cerveaux meurt à Auschwitz le 10 août 1942, d’après son certificat de décès établi au camp pour l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau Tome 2, page 162).
Sa fiche d’état civil établie en France après la Libération porte toujours la mention «décédé le 15 septembre 1942 à Auschwitz (Pologne)». Il serait souhaitable que le ministère corrige ces dates fictives qui furent apposées dans les années d’après guerre sur les état civils, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Cette démarche est rendue possible depuis la parution de l’ouvrage « Death Books from Auschwitz » publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995. Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz
Il a été déclaré « Mort pour la France » le 9 août 1946. Son nom figure paradoxalement sur le monument aux Morts parmi ceux des victimes civiles, mais son épouse a déposé une plaque au pied de ce monument : « anniversaire de déportation à mon mari« . La mention “Mort en déportation” est portée sur son acte de décès (J.O. du 20/11/1987). Dans le bulletin municipal n° 10 (mars 1993), M. Adrien Roger signe un article consacré à deux déportés du village, Roger Cerveaux et René Dechaumont (déporté en 1944 à Dachau, où il meurt la veille de la libération du camp).
Le 1er juin 1993 le conseil municipal unanime donne son nom à une rue de Breteuil (anciennement appelée route de Troussencourt, dans la partie supérieure de la rue Voltaire (courrier du Maire, M. Patrick Koster (PS, conseiller général), réparant ainsi m’écrivait-il le 4 juin, ce que nous appellerons un oubli.
Sources
- Bulletin municipal n° 1 de Breteuil, article d’Adrien Roger, conseiller municipal.
- Informations du maire de Breteuil, M. Patrick Koster (septembre 1991).
- Article de M. Adrien Roger, conseiller municipal, dans le bulletin municipal n° 10 (mars 1993).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Archives départementales de la Somme, Amiens, correspondance de la Préfecture sous l’occupation, cote 26w809.
Archives départementales de l’Oise, Beauvais ; cote 33W 8253/1, exécutions d’internés, camp de Royallieu, mesures contre les communistes ; cote 141w 1162, Internement administratif. - Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 21, page 364.
- « Livre des déportés ayant reçu des médicaments à l’infirmerie de Birkenau, kommando d’Auschwitz » (n° d’ordre, date, matricule, chambre, nom, nature du médicament) du 1.11.1942 au 150.7.1943.
Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2007 complétée en 2011, et 2018. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com