Télesphore Lalouette © Sigismond Lalouette

Matricule « 45 718 » à Auschwitz

Télesphore Lalouette : né en 1901 sur la péniche « Santa Fé », à d’Annay-sous-Lens (Pas-de-Calais) ; domicilié à Longueil-Anel (Oise) ; batelier ; communiste et syndicaliste ; arrêté le 20 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 21 août 1942

Télesphore Lalouette est né le 26 février 1901 sur la péniche « Santa Fé », stationnant sur le territoire d’Annay-sous-Lens (Pas-de-Calais). Il est domicilié à Longueil-Anel (Oise), au 158, avenue des Chantiers au moment de son arrestation.
Il est le fils de Joséphine Fichaux, 33 ans, ménagère et de Désiré Lalouette, 33 ans, batelier (son port d’attache est à Saint-Ghislain en Belgique). Télesphore Lalouette est lui aussi batelier.
Conscrit de la classe 1921, il est recensé dans le Nord, à Dunquerke. Mais sa fiche matricule est quasiment vierge, comme la plupart des fiches de ce département où les archives ont été détruites « par faits de guerre ».

Il se marie le 11 octobre 1924 à Dunkerque avec Aldegonde Dewulf. Il est veuf le 4 mai 1928.
Il se remarie le 9 janvier 1931 à Dunkerque avec Simone Vroilant En 1929, Télesphore Lalouette adhère au syndicat unique de la batellerie, dès sa création (Dunkerque).

Il est membre du conseil syndical rayonnant sur tout le Nord et y milite aux côtés de Roger Blankaert. «Télesphore Lalouette dirigeait plus particulièrement la section de Chauny (Aisne). Il y mena notamment, en 1933, l’action en faveur des bureaux de tour et pour la réglementation des heures, principaux problèmes corporatifs des mariniers à cette époque. Mais, après les négociations des accords Matignon de juin 1936, Lalouette fut exclu du SUB par Blankaert et fonda à Douai (Nord), où il s’était établi, une section du syndicat des bateliers artisans, affiliée à la CGT. Secrétaire général du SBA de Douai, il parvint à grossir les rangs de son organisation, dont les effectifs dépassèrent, dès 1937, ceux du syndicat concurrent» (Yves Le Maner et Michel Pigenet, in Maitron).

Après avoir divorcé de Simone Vroilant, il épouse, le 23 octobre 1939, à Longueil-Anel, Marcelle Orget, employée des Postes (qui sera sans doute révoquée, car elle est devenue employée de commerce pendant la guerre).
Télesphore Lalouette milite au Parti communiste depuis la fin des années 30 (il est secrétaire de la cellule du Parti communiste de la batellerie du Nord). Il est père de trois 3 enfants (Sigismond, Gilberte et Sigilberte).

Lettre de Daladier (président du Conseil) datée du 14 octobre 1939, remerciant Télesphore Lalouette de son engagement pour remplacer Maurice Thorez aux armées

Le 12 octobre 1939 Télesphore Lalouette réagit à l’exploitation tapageuse faite par le gouvernement de la désertion le 4 octobre 1939 de Maurice Thorez (ex-secrétaire général du Parti communiste dissous le 26 septembre), dont le régiment est cantonné à Chauny.
Télesphore Lalouette s’engage alors volontairement dans l’armée (il n’était pas mobilisable), pour prendre la place de Maurice Thorez.  Son acte d’engagement (D.M. 11.698/D du 12.10.39) est notifié le 13 .10.39 sous le n° 783 2/1. Cet épisode a été raconté par Henri Amouroux dans « la grande histoire des français sous l’occupation « Tome I, pages148 et 149, chapitre «La chasse aux communistes».

Le grand Echo du Nord

Conformément à la lettre de Daladier, il est incorporé au 3ème régiment de Génie, 4ème compagnie de navigation à Chauny (Aisne) (A/C du 27.10.39).
Il sert dans la Compagnie des sapeurs de la Navigation SN 321/4.
Il est blessé en service commandé le 20 mai 1940 au cours du bombardement de St-Waast-lez-Mélo (Oise).
Il est hospitalisé à l’hôpital complémentaire de Pontoise jusqu’au 1er juin 1940.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes défilent sur les Champs-Élysées. Elles occupent la banlieue parisienne les jours suivants.

Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Selon le Maitron, dictionnaire du Mouvement ouvrier (notice d’Yves Le Maner et Michel Pigenet), après sa démobilisation, Télesphore Lalouette «reprit son travail de marinier mais conserva ses fonctions syndicales et politiques. Devenu, en 1940, secrétaire de la section du SBA de Longueil-Annel (Oise), Lalouette continuait de militer ouvertement».
D’après son fils, Sigismond Lalouette «il avait arrêté de naviguer, le bateau avait été repris par mes grand parents» (lettre du 3 décembre 1992). Sous l’Occupation, une première perquisition a lieu à son domicile en septembre 1941. Le rapport d’enquête menée par la brigade de gendarmerie nationale de Choisy-au-bac le 29 janvier 1945, à la demande du Comité Départemental de Libération indique : «Au début de septembre 1941, des inspecteurs de la police judiciaire de Paris porteurs d’un ordre d’information contre X pour distributions de tracts ont demandé la collaboration du personnel de la brigade pour les assister dans leurs opérations. Des perquisitions furent effectuées à Thourotte et Longueil et chez Lalouette, des tracts et des insignes découverts chez certains militants. En accord avec l’inspecteur qui dirigeait les recherches, le commandant de la Brigade de Choisy fit brûler tracts et insignes et des procès verbaux de recherches infructueuses furent adressés ».

Le 20 octobre 1941, Télesphore Lalouette est arrêté à Longueil-Annel par deux gendarmes allemands (Feldgendarmen) et un gendarme français, et conduit directement au camp allemand de Compiègne (le Fronstalag 122). Trois jours après les gendarmes allemands reviennent : « Ils ont enlevé la machine à écrire appartenant au syndicat « , témoigne sa femme.
« En mai 1942, j’ai eu la visite d’un inspecteur de police de Paris qui est venu faire une enquête sur les antécédents de mon mari, et au cours de l’entretien, il m’a promis de le faire libérer. Il a ajouté qu’il avait peut-être été arrêté à l’instigation du nommé XX de Paris et employé à l’époque à l’office national de navigation».
A la Libération, selon le témoignage de M. Parent Hunold, agent de la Compagnie fluviale des Tritons, à Longueil, (enquête de gendarmerie du 29 janvier 1945), l’homme suspecté d’être à l’origine de son arrestation «Suivait le maréchal Pétain. Il avait même créé un journal («La Voix du Batelier») qui préconisait la collaboration». S’il perdit son emploi à la Libération, il n’y eut pas d’autres suites données par la commission d’épuration après l’enquête.
Il semble cependant que Télesphore Lalouette ait été arrêté dans le cadre d’une opération collective. Selon l’enquête de gendarmerie de 1945 «des gendarmes allemands rencontrés sur la route du Plessis Brion à Thourotte, ont intimé l’ordre à des gendarmes de la brigade de les conduire chez M. Lalouette et chez plusieurs militants des communes de Thourotte et Longueil, où ils ont procédé à l’arrestation de plusieurs d’entre eux. Ces Allemands étaient porteurs d’une liste mentionnant les noms d’une vingtaine de personnes dont plusieurs militants prisonniers de guerre, absents à l’époque. Il y a tout lieu de croire que les autorités occupantes s’étaient procuré les noms, soit auprès d’indicateurs, ou dans un service officiel chargé de surveiller l’activité des partis de gauche« .

En conclusion, l’arrestation a été facilité ou même occasionnée, comme pour la majorité des «45 000», par le fichage et la surveillance par la police française des militants syndicalistes et communistes.
Au camp allemand de Compiègne (Frontstalag 122), où il est transféré le 20 octobre 1941 et interné au camp A, baraque 1. Télesphore Lalouette reçoit à Compiègne le numéro matricule « 1849 ».
Le 19 février 1942, sa femme écrit à Brinon (Délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés) pour obtenir une intervention en sa faveur.

Réponse de la Croix Rouge allemande

En vain (réponses du 13 mars, 10 octobre et 18 novembre 1942).
Mêmes démarches de Marcelle Lalouette auprès de la Croix rouge allemande (lettre du 19 janvier 1943) avec cette réponse  : «nous vous demandons de bien vouloir patienter jusqu’à ce que l’intéressé se manifeste». Sigismond a pu voir son père une dernière fois (visite autorisée) le 4 avril 1942 à Royallieu.
Télesphore Lalouette est blessé lors du bombardement de représailles effectué par les Allemands dans la nuit du 22 au 23 juin 1942, à la suite de l’évasion le 22 juin, par un tunnel, de 19 responsables communistes du camp des politiques.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Télesphore Lalouette est déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942. 

Le 6 juillet, « en passant devant le passage à niveau de Longueil-Aunel, mon père a pu de son wagon, jeter des lettres dans de petits tubes destinés à ma belle-mère » écrit Sigismond Lalouette. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Télesphore Lalouette est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45718 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Robert Daune de Longwy, rapporte le surnom amical qu’on lui donnait à Auschwitz : « Lalouette des eaux« .
Télesphore Lalouette meurt à Auschwitz le 21 août 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 686). 

Témoignage de Robert Daune, rescapé

La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (arrêté du 10 août 1992 paru au Journal Officiel du 29 septembre 1992). Mais sa fiche d’état civil établie en France après la Libération porte toujours la mention «décédé le 30 septembre 1942 à Auschwitz (Pologne)».
Lire dans  le site :  Les dates de décès à Auschwitz.
Il est déclaré « Mort pour la France » et homologué « Déporté politique« ,
Une plaque commémorative a été inaugurée à la Bourse d’affrètement de Douai, le 15 janvier 1950.

Rue à Longueil-Anel

Une rue de Longueil-Anel porte le nom de Télesphore Lalouette.

Sources

  • De nombreux documents fournis par l’une de ses filles (Mme Gilberte Orget épouse Poutrelle), et transmis par M. Fernez, Maire de Longueil en octobre 1991.
  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par son fils Sigismond (le 10 mars 1992). Et rencontre le 3 décembre 1992.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P consultées en 1992).
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. 33, page 159 (notice Yves Le Maner et Michel Pigenet).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • © Site Internet «Légifrance.gouv.fr» 
  • © Site Internet «Mémorial-GenWeb». 

Notice biographique rédigée en octobre 2010 et modifiée en 2012, 2016 et 2020 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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