Auguste Cabartier © Club Mémoire 52
Auguste Cabartier à Auschwitz le 8 juillet 1942

Matricule « 45 321 » à Auschwitz

Auguste Cabartier : né en 1894 à Rachecourt-sur-Marne (Haute-Marne), où il habite ; lamineur, militant communiste, arrêté comme otage communiste le 22 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt.

Auguste Cabartier est né le 9 octobre 1894 à Rachecourt-sur-Marne (Haute-Marne). Il habite aux « Petites cours » à Rachecourt-sur-Marne au moment de son arrestation.

Il est le fils de fils de Laure, Eugénie Warin, 32 ans, sans profession et d’Alexandre Cabartier, 32 ans, forgeron, son époux. Auguste Cabartier a 9 sœurs et frères : Augustin, né en 1884, Eugénie, née en 1886, Louis, né en 1887, Marie-Eugénie, née en 1889, Joséphine, née en 1891, Henri, né en 1893, Jeanne, née en 1897, Marie-Denise, née en 1900 et une autre sœur née en 1901.
Une de ses sœurs, Joséphine, Henriette Cabartier, a épousé Antoine Muel, 20 ans, ouvrier d’usine. Leur fils Louis Muel, né en 1909 à Rachecourt sera déporté avec Auguste Cabartier à Auschwitz.

Selon sa fiche matricule militaire Auguste Cabartier pèse 57 kg, a les cheveux blonds et les yeux bleus, le front droit et le nez ordinaire, le visage ovale. Au moment du conseil de révision, il travaille comme ouvrier d’usine et habite à Rachecourt. Il a un niveau d’instruction « n° 2 » pour l’armée (sait lire et écrire et compter, instruction primaire). Conscrit de la classe 1914, Auguste Cabartier est « ajourné pour faiblesse » en mars 1914 étant « boiteux ». Mais la déclaration de guerre le mobilise le 18 décembre 1914 (séance du 21 octobre), et le 19 décembre 1914, il arrive au 2ème bataillon de Chasseurs à Pieds, caserné à Lunéville. Il est chasseur de 2ème classe. Après 6 mois d’instruction militaire, il part « aux armées » le 2 juin 1915. A cette date le 2ème BCP est cantonné au nord d’Arras. À partir du 25 septembre 1915, le bataillon est engagé dans l’offensive meurtrière de Champagne. Le 30 septembre lors des combats en direction de Ripont pour la reprise l’ouvrage dit « de la Défaite » Eugène Cabartier est « porté disparu, présumé grièvement blessé » (le bataillon est décimé : après une seule journée de combat, il a perdu 631 chasseurs et 14 officiers).  Il a en fait été fait prisonnier. C’est un avis du maire de Rachecourt, en date du 20 septembre 2016, qui le mentionne aux autorités militaires, à partir d’une correspondance reçue par sa famille depuis le Stalag de Ratisbonne (principal camp de prisonniers de guerre de Bavière), baraque VII, compagnie 2. 

Auguste Cabartier est rapatrié le 24 décembre 1918 et réaffecté au 10èmeBataillon de chasseurs à pieds le 27 janvier 1919. Il rentre en retard au dépôt le 26 février et il est alors placé « en prévention de conseil de guerre » du 1erjuin au 12 juillet 1919. Sans suite, car il est envoyé en congé illimité de démobilisation le 9 septembre et « se retire » à Rachecourt, avec la mention « certificat de bonne conduite accordé ».

Auguste Cabartier en 1933

Le 11 février 1924 à Rachecourt-sur-Marne, il épouse Marthe, Augustine Lefranc née le 15 avril 1889 à Thonnance-lès-Joinville. Elle est veuve de Jean Baptiste Maurice, tué sur le front en 1914. Elle est déjà mère de cinq garçons (Germain, Raymond, Serge, Maurice et Marcel. Sur la photo en fin de notice, prise lors du mariage de Serge Maurice en 1933 on y voit trois d’entre eux).
Le couple Cabartier a
trois enfants (Gilbert né en 1921, Daniel né en 1926, Christian né en 1929, tous trois à Rachecourt).

Les forges de Rachecourt

Auguste Cabartier est ouvrier métallurgiste, lamineur aux forges de Rachecourt. Il est militant CGT, secrétaire de la cellule du Parti communiste de Rachecourt. En février et avril 1932, la Commission de réforme militaire de Troyes lui accorde un taux d’invalidité imputable au service (- 10 %) pour blessure en séton (par balle ou arme blanche)  en haut de la cuisse droite et cicatrice sus épineuse droite. Le 4 mai 1938, il est condamné à 58 francs d’amende pour « coups et blessures » par le tribunal correctionnel de Wassy (Haute-Marne) : on se situe dans une période où les bagarres entre adversaires politiques sont fréquents.

1933 : Marthe, Christian , Daniel et Auguste Cabaretier

 

Ci contre, agrandissement de la photo du mariage de son beau-fils, Serge Guy Maurice. A sa gauche, Marthe et deux de leurs garçons Christian et Daniel. Gilbert est un peu plus haut à gauche sur la photo générale.
Son épouse Marthe décède durant l’exode en 1940, au cours du mitraillage d’un train de réfugiés.

Le 10 mai 1940, la Luftwaffe bombarde le terrain d’aviation de Saint-Dizier et la ville de Joinville.
Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Saint-Dizier. Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 15 tout le département de la Haute-Marne est occupé.  Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. La Haute-Marne est coupée en deux : l’est devient « zone interdite », destinée au repeuplement allemand comme le veulent les nazis, ou à la création d’un Pays Thiois ou Grande Flamande (comme le revendiquait le mouvement irrédentiste flamand), l’ouest se transforme en territoire de stationnement des troupes de la Wehrmacht. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

René Bousquet et à sa droite Carl Oberg, Gruppenführer, chef de la SS et de la Police pour la France

Le 28 août 1941 René Bousquet, Préfet de la Marne nommé par Pétain en 1940, est nommé Préfet régional de la région de Châlons-sur-Marne (Marne, Haute-Marne et Aube). Il donne des instructions très précises pour la surveillance des « menées communistes ». En septembre 1941, avec l’institution de la « politique des otages », les autorités allemandes se font remettre les notices individuelles des communistes arrêtés et incarcérés par la police française. On lira sur le net les articles consacrés à Bouquet par Jean-Pierre et Jocelyne Husson : « René Bousquet et la politique vichyste d’exclusion et de répression ».
Le 10 septembre 1941, c’est le début de la « politique des otages ». Lire dans le site l’article : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942).

Identification incertaine, le 27 juin 1941 à Compiègne 122- ZI – 1114  (ZI = Zivil Interniert, interné civil).

Auguste Cabartier est arrêté le 22 juin 1941 à son domicile par des Feldgendarmes, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich », les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. Une soixantaine de Hauts-Marnais, syndicalistes et/ou communistes connus sont arrêtés dans cette opération.

D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (La maison d’arrêt de Chaumont,  27, rue Val Barizien pour la Haute-Marne), Auguste Cabartier est envoyé, comme ses camarades, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.

11 juillet 1941, lettre de Compiègne

Ci-contre une lettre de Compiègne envoyée à ses enfants le 11 juillet 1941 (la date que l’on peut lire « 1942 » est incontestablement erronée, car il s’agit d’une lettre écrite sur le format officiel. Or le 11 juillet 1942, Auguste est à Auschwitz). Adressée à Daniel et Christian, il y donne de ses nouvelles à ses enfants, souhaitant avoir l’adresse de Gilbert, son aîné pour pouvoir lui écrire. Il décrit la misère de sa vêture et demande s’ils peuvent lui envoyer une culotte, une veste, une paire de chaussures et sa brosse à cheveux. Il voudrait recevoir du tabac et des feuilles de cigarettes.
Il demande à Daniel de « mettre de l’ordre chez nous et de prendre soin de Christian« .
Depuis le camp de Compiègne, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation :
La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Auguste Cabartier est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Auguste Cabartier le 8 juillet 1942

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 321 ».

En l’absence de références aux registres du camp, ce numéro «probable» compte tenu de l’ordre des listes alphabétiques, a été identifié en comparaison avec le portrait civil plus haut.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (1) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date exacte de son décès à Auschwitz. Mais il y a bien été immatriculé (cf. ci-dessus). Dans les années d’après-guerre, l’état civil français a écrit « à la date du 4 ou 6 juillet 1942, il a été dirigé sur le camp d’Aushwitz et mourut de dysenterie durant son transfert dans ce camp». Ce que l’arrêté du 26 juin 2004 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès paru au Journal Officiel du 12 mars 2005 a transcrit en « décédé le 6 juillet 1942 en Allemagne ». On trouve par ailleurs une une indication erronée sur le par ailleurs excellent site de l’association « Mémoire 52 », qui le présente comme décédé pendant le transport.
Auguste Cabartier a été déclaré « Mort pour la France« . Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
Son nom figure sur le monument aux morts de Rachecourt.

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz.
    A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
1933, photo du mariage de son beau-fils , Serge Guy Maurice

Sources

  • Correspondance avec Jean-Marie Chirol, animateur du « Club Mémoires 52 » (5 octobre 1994) : communication de ses recherches aux archives départementales et auprès de l’état civil des mairies (1992-1994), et ses rencontres avec la famille, qui lui confient une lettre de Compiègne.
  • Blog du club Mémoires 52, association de recherches historiques consacrées au département de la Haute-Marne, créée, en 1991, par Jean-Marie Chirol (1929-2002).
  • Site internet Mémorial «GenWeb » informations complétées par Catherine Nadine Lefranc- Persechini le 06-02-2009.
  • Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté en 1994).
  • Registres matricules de Haute-Saône et des Vosges. 
  • Photo forges de Rachecourt © inventaire général du patrimoine Culturel / Champagne-Ardenne
  • Photo de mariage 1933, envoi de madame Catherine Lefranc (mars 2018) que je remercie vivement.

Notice biographique rédigée en novembre 2010, complétée en 2015, 2018, 2021 et 2023 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corrige, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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