Matricule « 45 700 » à Auschwitz
François Juvin : né en 1891 au Petit-Auverné (Loire-Atlantique) ; domicilié à Orvault (limitrophe de Nantes) au moment de son arrestation ; médaillé militaire ; cheminot retraité ; candidat communiste aux municipales ; trésorier régional du PC ; héberge Marcel Paul et Charles Tillon en 1940 ; arrêté comme otage communiste le 23 juin 1941 ; déporté et mort à Auschwitz le 8 aout 1942.
François Juvin est né le 23 avril 1891 au Petit-Auverné (Loire-Atlantique). Il habite au Val d’Or dans le quartier de la Close, à Orvault (limitrophe de Nantes) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Philomène Maillard, 23 ans, domestique. Il est reconnu et légitimé par le mariage de sa mère avec François Juvin le 27 juin 1895.
Son registre matricule militaire indique qu’il habite à Boussay et qu’il est cultivateur, puis garde, au moment du conseil de révision.
Il mesure 1m 62, a les cheveux châtain et les yeux « châtains verdâtres » (!). Le front et le nez moyens, le visage rond. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1911, classé soutien de famille, il est n’est incorporé que le 10 octobre 1912 au 67è régiment d’infanterie pour un service militaire de 2 ans. En août 1913, celui-ci est prolongé à 3 ans. Lors de la déclaration de guerre, il est maintenu aux armées par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914. Il part aussitôt au front, le 5 août. Il est blessé à la cuisse gauche lors de la retraite de Bulson, le 1er septembre 1914, par un éclat d’obus. Il n’est pas évacué. Il est nommé soldat de 1ère classe en février 1915. Blessé à nouveau le 2 mars 1915 par un éclat d’obus (plaie à la figure), il est évacué.
Il est nommé caporal le 26 avril 1915. Il rejoint son régiment le 20 janvier 1916. François Juvin est grièvement blessé au visage (fracture du maxillaire) à Ostières (Belgique) le 1er juillet 1916, au début de l’offensive de la Somme.
Il est cité à l’ordre du régiment (O/j 208) : « Très bon caporal mitrailleur, brave et courageux a été grièvement blessé auprès de sa pièce sur la ligne de feu ».
Il reçoit la Croix de guerre avec étoile d’argent. Il est réformé temporaire et proposé n°1 avec gratification par la commission de réforme de Nantes en novembre 1917 pour « néphrite chronique, hématurie, anévrisme artéro-veineux de la fémorale gauche ».
En 1918, il est domicilié au 5, rue Lavoisier à Nantes.
Le 7 juin 1918, à Nantes, François Juvin épouse Marguerite, Marie Nicolas. Elle est domestique, née à Saint-Nazaire (Loire-Inférieure) le 10 juin 1890. Le 20 juillet 1918, ils habitent dans son logement au 21, rue de la Motte Picquet à Nantes. Il est maintenu à nouveau « réformé temporaire » par la Commission de réforme de Nantes en juillet 1918, avec gratification de 234 francs.
Classé « service auxiliaire » le 28 décembre 1918 par la Commission de réforme de Nantes, il est « rappelé à l’activité » au 1er régiment d’artillerie le 1er janvier 1919. Le 20 mars 1919, il est définitivement démobilisé. Il touchera à partir de 1921 une pension de 367 Francs.
En 1921 il est membre du Comité syndicaliste révolutionnaire. Il adhère très tôt à la section nantaise du Parti communiste.
Cheminot, il travaille en février 1921 comme cantonnier à la Compagnie du Paris-Orléans (il est à ce titre « affecté spécial » au titre de la réserve de l’armée. Puis comme garde-barrière à la suite d’une blessure en 1927.
Il est candidat du Parti communiste aux élections municipales du 3 mai 1925 sur la liste « Bloc ouvrier et paysan ».
Le couple Juvin habite toujours au 21, rue de la Motte Picquet à Nantes en août 1927.
Il est retraité des Chemins de fer. En 1930, il est trésorier de « l’Etoile prolétarienne » (une association qui organise fêtes, concerts et réunions de propagande).
En octobre 1934, il est candidat du Parti communiste au Conseil d’arrondissement (2ème canton de Nantes).
Cette même année, il est trésorier régional du Parti communiste et responsable pour les cheminots communistes de la région.
En 1936 il reçoit la médaille militaire (décret du 2 février).
En 1937, il est candidat pour le Parti communiste dans le canton de Nozay.
Cette même année, il est membre de la commission de contrôle financier de la fédération et responsable à la propagande. « Après la dissolution du PC et de la CGT, François Juvin fit partie des principaux militants répertoriés comme révolutionnaires et communistes surveillés par le commissariat central. Ce fut chez lui que se tinrent les premières réunions de la direction du PC clandestin de Loire-Inférieure en 1940. Il hébergea Charles Tillon puis Marcel Paul ». (Le Maîtron).
Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées.
La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Nantes est occupée le 19 juin 1940 à midi. La Kommandantur juge l’esprit de collaboration » (Zusammenarbeit) de la mairie SFIO insuffisant et exige chaque jour 20 otages… Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Fin 1940, François Juvin héberge Marcel Paul : «Conseiller municipal de Paris et conseiller général de la Seine, Marcel Paul, démobilisé cherche à prendre contact avec ses amis communistes, mais ces derniers sont dispersés et le voilà parti au Mans. De là, la femme d’un cheminot contacte le responsable interrégional à Rennes. Ce dernier lui donne l’adresse, à Nantes, d’une militante sûre : Many Ballanger, la secrétaire des Jeunes filles de France et l’épouse du secrétaire régional adjoint dont elle est sans nouvelle depuis l’encerclement de son unité à Dunkerque. Marcel Paul rejoint la cité des ducs de Bretagne, à vélo, en juillet 1940, et frappe à la porte des Ballanger ; Many Ballanger a déjà rassemblé les militants encore présents. Parmi eux, François Juvin, un cheminot auquel elle demande d’héberger Marcel Paul dans sa maison du Val d’Or dans le quartier de la Close » (in « La répression anticommuniste en Loire-Inférieure» Op cité).
Comme ses camarades communistes, François Juvin est arrêté le 23 juin 1941, par la Geheime Polizei, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, (François Juvin est incarcéré à la prison du Champ de Mars de Nantes), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.
Les nantais, d’abord incarcérés à la prison du Champ de Mars sont transférés le 13 juillet 1941 au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le Frontstalag 122.
A Compiègne, il reçoit le matricule « 1258 ». Il est un otage « fusillable » : le 20 avril 1942, son nom est inscrit sur une des 2 listes de 36 et 20 otages envoyés par les services des districts militaires d’Angers et Dijon au Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF), après l’attentat contre le train militaire 906 à Caen et suite au télégramme du MBF daté du 18/04/1942. Le Lieutenant-Général à Angers suggère de fusiller les otages dans l’ordre indiqué (extraits XLV-33 /C.D.J.C).
Les noms de cinq militants d’autres départements, qui seront déportés à Auschwitz, figurent également sur ces 2 listes (André Flageollet, Jacques Hirtz, Alain Le Lay, René Pailolle, André Seigneur). 17 militants de Loire-Inférieure internés à Compiègne sont déclarés otages «fusillables ». 10 d’entre eux seront déportés à Auschwitz : Alphonse Braud, Eugène Charles, Victor Dieulesaint, Paul Filoleau, André Forget, Louis Jouvin, André Lermite, Antoine Molinié, Gustave Raballand, et Jean Raynaud. Les sept autres internés déjà à Compiègne sont Maurice Briand (déporté à Sachsenhausen / décédé en 1943), Roger Gaborit (déporté à Buchenwald / rescapé), Jules Lambert (déporté par le convoi du 24 janvier 1944), François Lens (déporté à Sachsenhausen / décédé lors de l’évacuation en 1945), Jean-Baptiste Nau (déporté à Buchenwald où il décède), Raoul Roussel (mutilé de guerre). L’Abwehr-Angers confirme cette liste, dans un courrier du 19 mars 1942 (n° 6021/42 II C3).
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site :
La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages
Depuis le camp de Compiègne, François Juvin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est photographié (1) et enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 700 ».
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
François Juvin meurt à Auschwitz le 8 août 1942, un mois jour pour jour après son arrivée dans ce camp d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz ; in Death Books from Auschwitz, Tome 2, page 525).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Il est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Il est homologué « Déporté politique » et déclaré « Mort pour la France ».
Son nom est honoré sur une plaque commémorative SNCF (à la gare Gare SNCF de Nantes-Orléans, quai n°1 : « A la mémoire des agents S.N.C.F. des arrondissements de Nantes tués par faits de guerre« ) et sur le monument aux morts d’Orvault.
- Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Témoignages de Gustave Raballand et d’Eugène Charles.
- «La répression anticommuniste en Loire Inférieure» Dominique Bloyet et Jean Pierre Sauvage, Geste éditions. P 35.
- « Death Books from Auschwitz », Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français » Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, Tome 31, page 338, CD-Rom 1997 et version 2011, note de Claude Geslin
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Registres matricules militaires de Loire Atlantique.
Notice biographique rédigée en janvier-février 2011 pour la conférence organisée par l’AFMD de Nantes, modifiée en 2016, 2018, 2021 et 2022, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000»« , éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com