Camille Moinet en 1939 © Odette Moinet

Matricule « 45 882 » à Auschwitz

Camille Moinet : né en 1901 à Laifour (Ardennes) ; domicilié à Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne) ; cheminot ; communiste ; arrêté comme otage communiste le 19 octobre 1941; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 14 janvier 1943.

Camille Moinet est né le 3 août 1901à Laifour (Ardennes). Il habite au 67, avenue Edouard VII, à Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Laloux, 37 ans, garde barrière et de Charles Moinet, 37 ans, fileur en laine puis poseur de voie aux Chemins de fer de l’Est, son époux. Il a 5 sœurs (Marie, 1887-1978 ; Marie 1892-1974 ; Marie Anna et Suzanne, nées en 1893 et 1897, décédées en bas âge) et un frère, Charles 1890-1914, mort pour la France.
Le 4 septembre 1916, fils de cheminots, il est embauché à la Compagnie des chemins de fer de l’Est.
Il a quinze ans.
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 78, a les cheveux châtain clair et les yeux marron. Il possède un niveau d’instruction n° 3 (possède une instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1921, Camille Moinet est classé dans la 5è partie de la liste pour « faiblesse ». Il est classé dans la première partie des incorporations de 1922. Il est incorporé le 10 mai 1922 au 154è Régiment d’infanterie. Nommé caporal le 1er novembre
1922, il passe au 18è Régiment de tirailleurs Algériens le 30 mars 1923. Il est nommé sergent le 13 juin 1923.
Il est mis en disponibilité le 10 novembre 1923 et « se retire à Vaux-aux-Marne » (Vaires-sur-Marne).
Camille Moinet est cheminot (matricule 40 077), cantonnier, puis il sera surveillant au service électrique SNCF de Vaires au moment de son arrestation.
En 1924 il habite Saint-Maur-des-Fossés (Seine-Val-de-Marne).

Le 19 avril 1924 à Saint-Maur-des-Fossés, Camille Moinet épouse Augustine Gérardin
. Elle est née le 17 février 1902 dans cette commune.
Le couple a deux enfants : Odette, née le 5 octobre 1925 à Saint-Maur, et Claude, né le 24 avril 1933 à Vaires-sur-Marne.
En 1925, Camille Moinet est « Affecté spécial » au titre de la Réserve militaire dans les Chemins de fer de l’Est.
En 1927 il est cantonnier aux chemins de fer de l’Est à Joinville-le-Pont.
En 1929, il est rayé d’office de l’affectation spéciale (décision du général commandant la 6ème Région militaire).
Sa fille Odette pense qu’il était secrétaire de la cellule communiste de Vaires (réponses à mon questionnaire, le 04/04/1992). Selon les archives de police, il est effectivement adhérent au Parti communiste en 1935, secrétaire de la cellule des cheminots de Vaires en 1937.
Il est candidat sur la liste présentée par le PCF aux élections municipales de Vaires. Nous n’avons pu retrouver de documents permettant de savoir si cette liste fusionne au deuxième tour avec la liste d’action antifasciste et de défense des intérêts des travailleurs le 12 mai 1935, et qui est élue (le Maire est Charles Pérot, puis Constant Melet, SFIO, à la suite du décès de Charles Pérot).
Camille Moinet est secrétaire adjoint du syndicat des cheminots de Vaires, puis en mai 1938, il est président de la Coopérative des cheminots de Vaires-triage.

Le 17 octobre 1939, sollicité par la direction de la Sureté nationale, le Préfet de Seine-et-Marne, Pierre Jean Paul Voizard qui a été nommé en juin, transmet au ministère de l’Intérieur une liste de « fonctionnaires et agents des services publics mobilisables appartenant au parti communiste et maintenus à leur poste », dont les noms de Camille Moinet et Georges Vinsous, tous deux cheminots à Vaires.
Camille Moinet, déjà rayé de l’affectation spéciale en 1929, est « rappelé aux armées le 30 novembre 1939 » au dépôt DI 81 et affecté à la 608è Compagnie de Pionniers le 11 janvier 1940.

Le 14 juin 1940, la ligne de progression allemande va de Provins à Rambouillet, les troupes allemandes sont à Meaux ; le 15 juin à Brie-Comte-Robert et à Melun. Le dimanche 16 juin 1940, des éléments motorisés de la Werhmacht franchissent la Seine à Valvins sur un pont de bateaux. Ils traversent Avon avant d’entrer dans Fontainebleau, précédant le gros des troupes. Le 14 juin, l’armée allemande était entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

« Non prisonnier », selon le jargon du registre matricule militaire, Camille Moinet est démobilisé le 14 juillet 1940 à Lavaur (Tarn).
Il « se retire » à Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne) au 64,  avenue Edouard VII qui deviendra à la Libération l’avenue des Fusillés.

Camille Moinet est arrêté comme otage le 19 octobre 1941
par des policiers allemands et français, le même jour que Georges Vinsous (militant communiste, chef de train nommé à Vaires-sur-Marne en 1941), ainsi que M. Chiron de Vaires (que cite sa fille).
De nombreux élus ou militants communistes du département sont arrêtés les 19 et 20 octobre. Parmi eux, 42 seront déportés à Auschwitz.
Lire dans le site : la rafle des communistes en Seine-et-Marne, octobre 1941.

Camille Moinet et ses camarades de Seine-et-Marne sont transférés par cars au camp de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), les 19 et 20 octobre 1941.
A Compiègne, il reçoit le matricule « 1781 », et se retrouve dans la baraque A3.
Le 6 juillet 1942, « un petit mot nous est parvenu, ramassé par des cheminots, mon père signalait son départ en wagon, destination inconnue. Nous n’avons pas eu d’autres nouvelles ensuite » (Odette Moinet).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il est en effet déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Camille Moinet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 882″Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Camille Moinet meurt à Auschwitz le 14 janvier 1943, d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 3, page 824). Cette date a été reprise à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du 27-08-1996). Lire dans le site :  Les dates de décès à Auschwitz.

Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué. Il a été déclaré « Mort pour la France ».
Son nom figure sur une plaque commémorative de la SNCF.
Une rue de Vaires-sur-Marne (une impasse qui donne dans la rue Clémenceau) porte son nom.

Sources

  • Registre matricule militaire. Archives en ligne des Ardennes.
  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par sa fille Madame Odette Moinet (avril 1992).
  • Division des archives des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté en 1991 et juillet 1992).
  • Etat civil de Vaires-sur-Marne (1992).
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Archives départementales de Seine-et-Marne, Dammarie-les-Lys, cabinet du Préfet et dossier individuel.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.

Notice biographique installée en 2011, complétée en 2022 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) .  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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