Matricule « 45 286 » à Auschwitz

Agrandissement d’un envoi de © Emmanuelle Lebeau
René Boulanger  © Nicole Dilly D.r.
René Boulanger : né en 1897 à Saint-Sauveur-lèz-Amiens (Somme) ; domicilié à Abbeville (Somme) ; cheminot, facteur aux écritures ; communiste ; arrêté le 23 octobre 1941,  écroué à la prison d’Abbeville, puis à la citadelle d’Amiens ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 3 octobre 1942.

René Boulanger est né le 25 février 1897 au domicile de son grand père à Saint-Sauveur-lèz-Amiens (Somme).
Il habite au 2, Grande rue de Thuison, à Abbeville (Somme) au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Isabelle, Noémie, Marie Clémence Carpentier (1875-1949), 37 ans, couturière et d’Edouard, Auguste Boulanger (1867-1952), 30 ans, chauffeur aux chemins de fer du Nord, son époux. Il a deux sœurs cadettes : Marie-Thérèse (1901-1989)  et Roberte (1905-2011).
Au moment du conseil de révision, René Boulanger habite Abbeville (Somme), où il travaille comme mécanicien.
Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 62, a les cheveux blonds foncé, les yeux bleu foncé, le front petit vertical et le nez rectiligne, le visage long.

René Boulanger, militaire, au volant d’une « Zèbre » Envoi de Madame © Emmanuelle Lebeau

Conscrit de la classe 1917, René Boulanger est mobilisé par anticipation (le 8 janvier 1916) comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre, et il est incorporé le lendemain au 120è régiment d’infanterie.
Il est classé « service auxiliaire » par la commission de réforme d’Ancenis le 13 mai 1916 pour des problèmes de vue (myopie, astigmatisme). Le 30 mai, il est détaché « jusqu’à nouvel ordre » comme tourneur à la Manufacture d’armes de Châtellerault. Ce détachement est confirmé en septembre.  Mais le 6 novembre 1916 il est affecté au service auto du 13è régiment d’artillerie. Le 30 décembre 1916, il passe au 20è escadron du Train des équipages. Le 5 septembre 1918, il passe au 16è escadron du Train, puis au 4è escadron du Train le 2 septembre 1918. Il passe dans la réserve de l’armée active le 7 janvier 1919, mais est maintenu au corps en raison du décret de mobilisation générale.
Il est démobilisé le 8 septembre 1919 (certificat de bonne conduite accordé) et « se retire » à Abbeville.

René Boulanger se marie le 23 juillet 1921 à Abbeville avec Victorine, Clémentine, Joséphine Deloubrière. Elle est née le 29 mars 1903 à Lanchère (Somme). Elle est décédée en 1995 dans le Lot. Le couple a une fille (1), Ginette, née le17 avril 1924 à Etaples-sur-mer (Pas-de-Calais), Elle est décédée en 2019.
René Boulanger a été embauché comme employé permanent à la compagnie des chemins de fer du Nord, équipe d’Abbeville, 36 chaussé d’Hocquet. Il sera ensuite facteur aux écritures aux chemins de fer du Nord à Abbeville (le facteur aux écritures fait le relevé de la taille et du poids des wagons).
Cheminot, il est classé dans l’« affectation spéciale » en janvier 1923 pour la réserve de l’armée active comme « employé permanent aux chemins de
fer du Nord (…) » . En 1936, la famille (les parents Victorine et René Boulanger, Ginette et Isabelle) habite au 11 ter, Grande rue de Thuison, à Abbeville.
Comme la majorité des « affectés spéciaux » (en particulier les cheminots) connus comme communistes ou syndicalistes, il est rayé de l’affectation spéciale (par décision du général commandant la région militaire de Paris le 22 février 1940) et affecté le 19 mars 1940 au dépôt du 19è régiment du Train. René Boulanger est en effet membre du Parti communiste.

Troupes allemandes dans Abbeville © Somme-Photos

La « drôle de guerre » prend fin le 10 mai 1940 avec l’attaque allemande aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. Après la percée allemande à Sedan, les troupes allemandes se ruent vers Amiens, située sur la Somme elle est le dernier obstacle naturel avant la Seine et Paris. Abbeville est le théâtre de contre-attaques de troupes blindées françaises commandées par le colonel de Gaulle et anglaises.
Abbeville est prise par les Allemands de la 2e Panzerdivision le 20 mai 1940. L’armistice est signé le 22 juin 1940. Les conditions d’occupation sont très dures.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).Dès 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy.
Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures sont opérationnelles à l’automne 1940.

René Boulanger est arrêté le 23 octobre 1941 (les Picards de la vallée du Vimeu sont arrêtés en octobre 1941, dont René Maquenhen, cheminot au dépôt du Tréport). René Boulanger est conduit à la prison d’Abbeville, puis à celle de la citadelle d’Amiens. De là, il est interné sans jugement, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, René Boulanger est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau

Immatriculation le 8 juillet 1942

René Boulanger est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le matricule « 45 286 ».  Ce numéro figurait comme incertain (2) dans les deux premières éditions de mon livre sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000).
La publication récente sur le site Internet «Genweb» (A.D. Amiens 22.J.90, fonds Vasselle) d’une photo de René Boulanger soldat, me permet d’avancer le visage d’un déporté, porteur de lunettes, dont l’âge et les traits correspondent à ce numéro.
Cette photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

René Boulanger meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 123).

Sa fiche d’état civil établie en France après la Libération porte toujours la mention «décédé le 20 septembre 1942 à Auschwitz (Pologne)». Il est regrettable que le ministère n’ait pas corrigé cette date, à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du 21 novembre 2009). Ceci était pourtant rendu possible depuis la parution de l’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.

Le nom de René Boulanger est inscrit sur le monument commémoratif de l’école des Poulies et du Pilori d’Abbeville (aux « Déportés – Fusillés » 1939/1945 place du Pilori « A nos patriotes, Martyrs, Déportés, Fusillés Victimes de la barbarie Nazie« , ainsi que sur les plaques commémoratives de la Gare d’Abbeville.
Site «Les plaques commémoratives, sources de mémoire» © Photo Jacques Fouré.

  • Note 1 : Nous avons trouvé mention d’une Ginette, Cécile Léonie Boulanger, née à Etaples  le 25 juillet 1926, sans pouvoir retrouver s’il s’agit de la même filiation.
  • Note 2 : Ces numéros matricules avec un point d’interrogation correspondaient à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Elle n’avait pu aboutir en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Par ailleurs, il y a eu 3 déportés du convoi nommés Boulanger, dont 2 étaient cheminots !

Sources

  • «Death Books from Auschwitz», Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Paris 1995 (basés essentiellement sur les certificats de décès, datés du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, relatifs aux détenus immatriculés au camp d’Auschwitz. Ces registres sont malheureusement fragmentaires.
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb. Photo de René Boulanger militaire X DR.
  • © Site Internet « Rail et mémoire ».
  • © Site www.mortsdanslescamps.com
  • © The Central Database of Shoah Victims’ Names
  • Archives en ligne de la Somme, état civil et registre matricule militaire.
  • Courriel de madame Emmanuelle Lebeau, novembre 2018.

Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2015, 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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