Marius Amiel © Hélène Amiel-Vernet

Matricule « 45 170 » à Auschwitz

 Marius Amiel : né en 1913 à Tuchan (Aude) ; domicilié à Paris 13ème ; manœuvre à la SNCF ; communiste et syndicaliste ; arrêté le 23 juillet 1941, condamné à 8 mois de prison, effectués à la Santé, Poissy et Fresnes ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 5 août 1942.

Marius Amiel est né le 11 janvier 1913 à Tuchan (Aude).
Il habite au 58, rue de Clisson Paris 13ème au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Augustine, Molli, née en 1880 au Prat de Cest (Aude) et de Joseph, Jean-Baptiste Amiel, né en 1879 à Tuchan, son époux.
Ses parents sont cultivateurs.
Il a une sœur jumelle, Marcelle, et un frère Raymond.
Marius Amiel est employé comme chauffeur-livreur. Il habite au 5, rue de Brémont à Noisy-le-Sec, jusqu’en 1937.

Mariage de Marie Malosse et Marius Amiel, 3 avril 1936 à Enghien © Hélène Amiel-Vernet

Il se marie le 3 avril 1936 à Enghien-les-Bains avec Marie, Antoinette, Madeleine Malosse (dite Antoinette), manutentionnaire.
Marius Amiel est embauché comme manœuvre à la SNCF (Poste U à la gare d’Austerlitz).
Le couple vient habiter à Paris le 14 mai 1937, au 58, rue de Clisson (13ème), dans le quartier de la Gare (près de la gare d’Austerlitz). Il y réside au moment de son arrestation. Une fille, Hélène, naît de leur union, le 13 août 1939.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Au début de l’Occupation, il est receveur du syndicat officiel de Paris Sud-Ouest de la Fédération Nationale des Chemins de Fer (1). Il distribue des tracts du Parti communiste clandestin.
Les services de la Préfecture de police sont alertés par «La recrudescence de la propagande communiste clandestine ayant été constatée dans les milieux cheminots, notamment à la gare d’Austerlitz », des enquêtes et filatures minutieuses sont effectuées par des inspecteurs de la Brigade Spéciale des renseignements généraux. « Les inspecteurs sus nommés (« TH… » et « LE… »), ont acquis la certitude que le nommé Amiel s’occupait très activement de la diffusion de tracts communistes clandestins (…) ».
Marius Amiel est arrêté le mercredi 23 juillet 1941 à 10 h à son domicile par ces deux inspecteurs de la BS, qui perquisitionnent son logement et y trouvent 200 tracts, des listes de souscription et plusieurs carnets à souche à placer à des militants et sympathisants communistes. Lire dans le site : La Brigade Spéciale des Renseignements généraux.

Lors de son interrogatoire par le commissaire André Cougoule, chef de la BS, il reconnaît les faits.
Marius Amiel a pensé qu’il avait été dénoncé (c’est ce qu’il écrit dans la lettre reproduite ci-après, adressée à sa tante depuis la prison de La Santé). 

24 juillet 1941 : registre journalier de la BS1 des RG. Arrestation de Mariel, Amiel et Daudin

En fait il a été filé par les inspecteurs de la BS des RG qui ont enquêté sur tous les militants communistes connus des services de police
avant guerre.
Deux de ses camarades de travail, Maurice Daudin et Albert Mariel (2) ont d’ailleurs été arrêtés à la même date.
Inculpé par le commissaire André Cougoule d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste), Marius Amiel est conduit au Dépôt avec ses deux camarades, Maurice Daudin et Albert Mariel. 

Lettre depuis la Santé, 7 août 1941

Marius Amiel est écroué à la prison de la Santé (11ème division, cellule 4). Dans sa lettre de la prison de la Santé (7 août), Marius Amiel écrit qu’il a été jugé en flagrant délit le 25 juillet 1941 en même que deux autres du PO (l’ex Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans (PO) était une des six grandes compagnies privées de chemin de fer dont les réseaux ont été fusionnés en 1938 pour constituer la SNCF. Le dépôt des locomotives du PO était à Noisy-le-Sec).
L’un de ces cheminots est Maurice Daudin, arrêté le même jour et condamné à 8 mois de prison : il sera déporté à Auschwitz dans le même convoi. L’autre est Albert Mariel (1).

Marius Amiel est lui aussi condamné à 8 mois de prison pour propagande en faveur de la Troisième internationale. Dans cette même lettre, il craint d’avoir perdu sa place au Chemin de fer, et s’il ne s’en fait pas trop « après la guerre il y aura du travail pour tout le monde » c’est pour son père qu’il s’inquiète et il demande à ses proches de ne pas dire à ses parents qu’il est en prison et a perdu sa place « ils en feraient une drôle de vie, surtout avec avec la santé qu’il a« .

Le règlement de Poissy

Le 16 août 1941, il est transféré à la « Maison centrale » de Poissy (affecté à la papeterie 12, n° d’écrou 1861). Le 7 septembre il écrit à sa sœur jumelle (Marcelle) et à son frère (Raymond), qu’il espère voir sa femme Antoinette et sa fille Hélène le lendemain (elles sont alors hébergées à Enghien) Documents ci-contre et ci-dessous.

Le 8 septembre 1941, il écrit à Georges Calvet (le mari de sa sœur Marcelle) et le 7 décembre à Marcelle.
Marius Amiel est ensuite écroué à Fresnes. Sa date de libération est prévue au 17 mars 1942, ainsi qu’il l’écrit à son frère et à sa sœur le 7 septembre 1941.

A la date d’expiration de sa peine, il n’est pourtant pas pas libéré. Le Préfet de police de Paris, François Bard, ordonne le 26 mars 1942 son internement administratif, en application de la Loi du 3 septembre
1940. L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy en 1941. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Les premiers visés sont les communistes

Maison centrale de Poissy,  le 8 septembre 1941
Poissy, le 7 septembre 1941

Après un temps passé au Dépôt de la Préfecture de Paris, Marius Amiel  est interné administrativement au camp de «séjour surveillé» de Voves (Eure et Loir) ouvert le 5 janvier 1942, où il arrive le 16 avril 1942 avec 60 autres prisonniers du Dépôt. Lire dans le blog l’article sur Le camp de Voves

 

Liste des internés du 16 avril 1942 à Voves (montage de la première page © Pierre Cardon)

Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. Marius Amiel figure en tête de la première liste alphabétique. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique également «ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises». Les 10 et 20 mai 1942, 109 internés de Voves sont transférés sur réquisition des autorités allemandes au camp allemand (leFrontstalag122) de Compiègne (Oise). 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi dit des « 45000 » du 6 juillet 1942. .

Carte-lettre officielle de Compiègne du 15 juin 1942

Le 10 mai 1942, il est donc transféré avec 80 autres internés sur réquisition du MBF au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122). A Compiègne il reçoit le n° matricule 5713. Il est affecté au bâtiment C5, chambre 11 (C.f. carte-lettre du 15 juin 1942).
A cette date, il écrit avec une carte lettre officielle (soumise à la censure) à sa mère et à son frère qu’il est en « bonne santé ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Maurice Amiel est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Marius Amiel est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45170 » : la photo d’immatriculation portant ce numéro figure en couverture de mon dernier ouvrage sur le convoi des «45.000».
La photo remise par sa fille confirme le numéro «probable» que je lui avais attribué dans ma tentative de reconstitution des listes de départ et d’arrivée du convoi. Ce numéro figurait avec un point d’interrogation dans les listes publiées dans mes deux premiers ouvrages.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date du décès de Marius Amiel à Auschwitz.
Le 3 juillet 1946, le ministère des Anciens Combattants a fixé fictivement celle-ci au 31 décembre 1942 sur la base du témoignage de deux de ses compagnons de déportation rescapés Georges Hanse et Etienne Pessot.
La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès paru au Journal Officiel du 28 mai 1987.
Marius Amiel a été homologué comme «Déporté politique».

Homologation « Mort pour la France »
Attestation du réseau Résistance Fer

Sur attestation du réseau «Résistance-Fer», il est homologué le 3 décembre 1950 comme sous-lieutenant au titre des Forces Françaises Combattantes, pour « services accomplis en tant qu’agent P2, en qualité de chargé de mission de 3ème classe ».

Son nom est inscrit sur la plaque de la Bourse du travail, rue du Château d’Eau : «A la Mémoire des dirigeants de Syndicats tombés dans les combats contre le nazisme pour la libération de la France
Lorsqu’on ne tuera plus ils seront bien vengés et ce sera justice » Paul Eluard.

Une commémoration en son honneur a eu lieu lors des journées de la Déportation à Tuchan (photo et mail de Charly Villedieu, 26 avril 2015).

Note 1 : Comme quelques autres anciens militants de la CGTU, il est resté membre de la CGT autorisée par Vichy jusqu’à sa dissolution le 9 novembre 1940… Tout en étant un militant de la CGT et du Parti communiste clandestins (comme ce fut également le cas de Louis Eudier au Havre). Il s’agit ici d’une attitude totalement différente de celle des dirigeants confédéraux d’avant guerre qui après avoir exclu fin 1939 tous les dirigeants communistes de la CGT, se rallient après la défaite à la politique de Vichy. L’un d’entre eux, Belin, devient même pendant quelque temps ministre, secrétaire d’État à la Production industrielle et au Travail.
Note 2 : Albert Mariel, homme d’équipe à la gare d’Austerlitz, qui d’après les Renseignements généraux, était le responsable d’une cellule clandestine à la gare. « Fournissait le matériel et donnait des directives » à Marius Amiel et Daudin. Arrêté en même temps que ses deux camarades le 23 juillet 1941, il est déporté au camp de  Sachsenhausen dans le convoi du 24 janvier 1943. Le camp est libéré fin avril. Il meurt le 14 mai 1945, peu avant son rapatriement.

Sources

Tuchan avril 2015 © Charly Villedieu
  • © Documents et photos communiqués par sa fille, madame Hélène Amiel-Vernet (novembre 2011).
  • Archives de la Préfecture de police, Cartons occupation allemande, BA 2374. 
  • Carton des Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), Archives de la Préfecture de police de Paris.

  • Liste des 81 internés du camp de Voves transférés à Compiègne. Stéphane Fourmas, Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai 1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • © Site www.mortsdanslescamps.com

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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