Matricule « 45 446 » à Auschwitz
Raymond Delorme : né le 14 mai 1900 à Fontenay-sous-Bois (Seine / Val-de-Marne) ; domicilié à Montreuil (Seine / Seine-Saint-Denis) ; maçon, syndiqué, communiste ; arrêté le 6 juillet 1941, condamné à 6 mois de prison (écroué à la Santé, Fresnes) ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 19 décembre 1942.
Raymond Delorme est né le 14 mai 1900 à Fontenay-sous-Bois (Seine / Val-de-Marne).
Il habite au 254, boulevard Théophile-Sueur à Montreuil au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie (1) Arnaud, 36 ans, née le 13 février 1864 à Vendenesse (Nièvre) employée, puis sans profession et d’Amédée, Emile Delorme, 33 ans, né le 28 juillet 1866 à Les Goulles (Côte-d’Or), employé de chemin de fer.
Ses parents, qui se sont mariés à Paris 11è le 8 juin 1895, habitent le 8, rue de Neuilly à Fontenay à sa naissance. Puis ils habitent au 4, rue Mauconseil à Fontenay. Il a cinq oncles et tantes paternels.
Son registre militaire (matricule n° 4829 du 4è bureau de la Seine) nous apprend qu’il mesure 1m 57, a les cheveux châtains, les yeux gris, le front découvert, le nez droit et le visage ovale. Au moment du conseil de révision, il est indiqué « cultivateur », et habite à Maubranche par Moulins-sur-Yèvres (Cher). Il sera manœuvre par la suite. Il a un niveau d’instruction n° 2 pour l’armée (sait lire et écrire).
Il est appelé au service militaire le 28 mars 1920 et arrive au 109è Régiment d’infanterie le lendemain. Il est détaché à la « T.O.F. » (acronyme militaire non trouvé). Après l’instruction militaire, il est envoyé au « Maroc en guerre » le 6 octobre 1920 (2). Le 12 novembre, il « passe » au 1er Régiment de zouaves, cantonné à Casablanca. Le 17 mars 1921, il « passe » au 61ème Régiment de tirailleurs marocains. Le 3 mars 1922, il est « renvoyé dans ses foyers », « certificat de bonne conduite accordé ».
En 1925, la 5è commission de réforme de la Seine le classe « réformé définitif » n°2 (cause non attribuable au service) pour une impotence du bras gauche consécutive à des brûlures du bras et de l’avant-bras gauche avec cicatrices rétractives.
Il habite d’abord au 25, rue Clémenceau à Sannois (Val d’Oise). En mai 1930, il aurait peut-être déménagé dans le Nord au 124, rue Abélard à Lille (information raturée sur son registre matricule militaire).
En octobre 1932, il revient à Fontenay-sous-Bois, au 3, rue de Rosny. Il est alors maçon, et adhère « au syndicat de sa corporation » (RG). Il est membre du Parti communiste en 1936.
En 1936, il s’inscrit sur les listes électorales de Montreuil et habite une chambre au dessus d’un café, au 254, boulevard Théophile Sueur, où il reviendra en 1941. Ses voisins de palier sont manœuvres ou maçons.
En 1938, il habite au 6, avenue Pasteur à Montreuil-sous-Bois, un autre café hôtel (Seine / Seine-Saint-Denis).
Fin janvier 1940, il travaille aux établissements Féron à Nersac (près d’Angoulème / Charente). Déclaré « Bon service armé » par la commission de réforme d’Angoulème le 26 février 1940, il est alors mobilisé au 22è Régiment de tirailleurs marocains. A nouveau réformé, il revient à Montreuil au 6, avenue Pasteur (le 6 mars 1940). Le 28 mai 1940, il habite au 5, rue Balzac à Fontenay-sous-bois.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Raymond Delorme déménage à nouveau et revient au 254, boulevard Théophile-Sueur à Montreuil, où il sera arrêté (c’est l’adresse inscrite lors de son internement au camp de Voves).
Raymond Delorme est arrêté le 6 juillet 1941 et écroué à la prison de la Santé pour «distribution de tracts». Le 7 juillet, la 12ème chambre correctionnelle de Paris le condamne à 6 mois de prison pour infraction au décret du 26 septembre 1939, interdisant le Parti communiste.
Il est transféré à Fresnes le 19 juillet 1941.
Au jour d’expiration de sa peine, sur décision du préfet de police de Paris (3), François Bard, et après un temps passé au Dépôt de la Préfecture de Paris, il est interné administrativement au «Camp de séjour surveillé» de Voves (Eure-et-Loir) ouvert le 5 janvier 1942. Il y est transféré le 16 avril 1942 avec 60 autres prisonniers du Dépôt, dont 36 d’entre eux seront déportés avec lui à Auschwitz.
Ce camp (le Frontstalag n° 202 en 1940 et 1941) était devenu le 5 janvier 1942 le « Centre de séjour surveillé » n° 15. Il s’agissait de 67 baraquements formant 3 îlots (septembre 1942), entourés d’une double rangée de barbelés, protégés par des miradors. Une séparation existait entre les ilots des internés (« grand camp ») et les baraques administratives (« petit camp »). Au bout d’un mois, il est remis aux autorités allemandes à leur demande.
Lire dans le site l’article sur Le camp de Voves .
Le 10 mai 1942 (4), Raymond Delorme est transféré avec 80 autres internés de Voves au camp allemand (Frontstalag 122) de Royallieu à Compiègne à la demande du MBF (Militärbefehlshaber in Frankreich), commandement militaire en France jusqu’en juin 1942. Cinquante-six d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Raymond Delorme est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Raymond Delorme est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 446» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
La liste par matricules des historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz porte également mention de son décès à Auschwitz, le 19 décembre 1942. Il ne semble pas qu’il y ait eu des démarches effectuées par sa famille dans les années d’après guerre (nous savons que sa mère est décédée). Ce qui explique sans doute que la mention «Mort en déportation» n’ait toujours pas été apposée sur son acte de décès.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
- Note 1 : L’état déclaratif du registre d’Etat civil de Fontenay-sous-Bois concernant la naissance de Raymond Delorme ne mentionne pas le prénom de sa mère. Toutefois une mention manuscrite – d’une autre écriture – qui figure dans la marge a corrigé cet oubli. C’est le prénom qui figure également sur son Registre matricule militaire. A l’établissement de celui-ci sa mère est décédée. Nous avons également retrouvé l’acte de mariage de ses parents.
- Note 2 : Depuis 1912 (traité Franco-Marocain de Fès), existent au Maroc un Protectorat Français et un protectorat Espagnol. Le mouvement de protestation qui éclate à Fès suite à l’établissement du protectorat est écrasé dans le sang par l’armée française. Des révoltes sporadiques sont réprimées pendant la guerre 1914-1918 sous le commandement de Lyautey. La « pacification » française continue ainsi jusqu’en 1925 : l’insurrection du Rif conduite par Abdel Krim éclate. Après les révoltes urbaines, ce sont les tribus rurales qui luttent contre l’armée française. C’est une véritable guerre qui se livre, la France prenant le relais des Espagnols.
- Note 3 : Classée «secret», la circulaire n°12 du 14 décembre 1939, signée Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, fixe les conditions d’application du décret du 18 novembre 1939 (décret Daladier) qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Pendant l’Occupation, le gouvernement du maréchal Pétain poursuit la lutte anticommuniste dans le cadre du décret Daladier. La circulaire de Peyrouton, ministre de l’Intérieur, le 19 novembre 1940 permet d’élargir l’internement administratif : la découverte de tracts extrémistes sur le territoire d’une commune
entraînera l’internement administratif des militants communistes notoirement connus, à moins qu’ils ne soient déjà poursuivis judiciairement en vertu d’une procédure dument engagée. (AN FIA-3678). Lire l’article très documenté et illustré sur le blog de Jacky Tronel (Histoire pénitentiaire et justice militaire) : Circulaire d’application du décret-loi du 18 novembre 1939 |et le chapitre VII (les chasseurs) de l’ouvrage de Jean Marc Berlière et Franck Liaigre Le sang des communistes, Fayard. - Note 4 : Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. Raymond Delorme figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite «afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique également «ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises». Les 10 et 20 mai 1942, 109 internés de Voves sont transférés sur réquisition des autorités allemandes au camp allemand (Frontstalag 122) de Compiègne (Oise). 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi dit des 45000 du 6 juillet 1942.
Sources
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains / Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Stéphane Fourmas, Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai 1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.
- © Archives en ligne du Val de Marne.
- Registres matricules militaires de la Seine et de Côte d’Or.
Notice biographique rédigée à partir d’une notice succincte que j’avais rédigée pour le 60è anniversaire du départ du convoi des « 45 000 », brochure répertoriant les “45 000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, complétée en novembre 2007 (2014, 2019, 2020, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005, encore disponible pour les familles en m’en faisant la demande). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com