Marcel Sorin : né en 1896 à Bois-Colombes (Seine / Hauts-de-Seine) ; domicilié à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis) ; ajusteur ; considéré communiste ; arrêté le 27 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 18 septembre 1942.
Ambroise (dit Marcel) Sorin est né le 23 août 1896 à Bois-Colombes (Seine / Hauts-de- Seine). Il habite au 25, rue Alexis Godillot (1) à Saint-Ouen (des logements HBM) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Louise Thénardier, cuisinière et de son époux, Joseph Sorin, jardinier.
Son registre militaire nous apprend qu’il mesure 1m 63, a les cheveux bruns, les yeux gris, le front moyen, le nez rectiligne et le visage allongé. Au moment du conseil de révision, son père est décédé. Il habite 16, rue du Faubourg à Mombard (côte d’Or). Il travaille comme manœuvre, puis ajusteur. Il a un niveau d’instruction n° 2 pour l’armée (sait lire et écrire).
Conscrit de la classe 1916, il aurait dû être mobilisé par anticipation (en vertu du décret de mobilisation générale) en avril 1915, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre. Mais il a été ajourné par le conseil de révision de 1915 pour «faiblesse». Mais il est mobilisé l’année suivante et incorporé au 44è Régiment d’Infanterie, le 11 août 1916.
Il est victime d’une commotion par éclat d’obus à Sommes-Suippes (Marne) le 14 avril
1917. Après hospitalisation il est transféré au 35è RI le 2 septembre 1917, et quitte le front français pour l’armée d’Orient contre les troupes bulgares au 84è RI puis au 260è le 5 octobre (ou novembre) et le 20 décembre 1917 en renfort au 148è RI éprouvé par de durs combats à Raviné. Son régiment est engagé à Vardar, Kara-Sinanci et Majadag (services comptés pour Ambroise Sorin avec l’armée d’Orient : du 27 septembre 1917 au 13 mai 1918).
Il est démobilisé le 19 septembre 1919 et loge alors à Villecey-sur-mad (Meurthe-et-Moselle).
Il se marie le 20 novembre 1920 avec Palmyre Demongeot à Montbard (Côte-d’Or). Elle est née au 16 avril 1902 à Sainte-Colombe (Côte-d’Or). Le couple aura trois enfants.
En mars 1921, il a déménagé à l’Isle sur Serin (Yonne), chez M. Pommier. En février 1923, il vient habiter en région parisienne et demeure au 20, boulevard Galliéni à Issy-les-Moulineaux (Seine / Hauts-de-Seine).
Il est réformé temporaire par des commissions de réformes militaires plusieurs années de suite (1922-23-24-1929) pour « hypoacousie par otite chronique ».
En juillet 1929, il habite toujours Issy-les-Moulineaux, mais au 8, rue Charlot. Un an plus tard, il a déménagé au Plessis-Robinson au 51, rue de la Garenne.
En 1934 Il fait construire un café-hôtel-restaurant au Plessis-Robinson (Seine / Hauts-de-Seine), qu’il exploite. Au soir du 11 novembre 1934, après les grandes manifestations populaires et le défilé des ligues fascistes à l’Arc de Triomphe, une vive discussion politique l’oppose dans son café à « D. Ch. » manœuvre. Selon la presse du 12 novembre (L’Excelsior, La dépêche du Berry), qui cite l’adresse du café au 51, rue de la Garenne, Ambroise Sorin a tiré deux coups de feu sur celui-ci, le blessant grièvement. Il est mis à disposition du commissaire du Plessis. Si on ignore les suites judiciaires de cette affaire, il semble qu’il exploite ce café jusqu’au printemps 1935, puis qu’il le louera jusqu’à ce que ce commerce cesse toute activité.
Il est fiché par la police comme : « meneur communiste très actif ».
En mars 1938, il a repris son métier d’ajusteur de fabrication, à la Société des ateliers de Mécanique et de Chaudronnerie de Saint-Denis, 5, rue Pleyel à St-Denis. Cette entreprise étant considéré par l’Armée comme relevant de la Défense nationale, il est classé « affecté spécial » au titre du tableau III, devant être mobilisé sur son poste de travail en cas de conflit armé.
Le 13 juin 1940 l’armée allemande occupe Saint-Denis, puis Saint-Ouen. Le 14 juin, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A l’automne 1940 des militants communistes de Saint-Ouen diffusent les tracts et journaux du Parti clandestin. Fin octobre 1940, les services de police notent une recrudescence de la propagande communiste et perquisitionnent aux domiciles des communistes connus.
En 1940, il habite jusqu’à son arrestation à St-Ouen (Seine / Seine-Saint Denis) au 25, rue Godillot, avec son amie Marie Théallier. « Soupçonné de propagande communiste, une perquisition eut lieu à son domicile le 5 décembre 1940, sans succès, il fut relaxé » (Le Maitron).
Marcel Sorin est arrêté le 27 juin 1941 à St-Ouen, à son domicile (selon sa compagne, ce que confirme la liste des RG), dans la
même vague d’arrestations que cinq autres militants de Saint- Ouen. La liste des Renseignements généraux répertoriant les communistes internés administrativement le 27 juin 1941, mentionne pour Marcel Sorin : « Meneur communiste très actif ».
Ces arrestations ont lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française en application du décret-loi du 18 novembre 1939 : « individus dangereux pour la défense nationale et pour la sécurité publique ». D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des ennemis actifs du Reich.
Marcel Sorin est d’abord emmené au commissariat de Saint-Ouen, puis remis aux Allemands à l’Hôtel Matignon, et interné au camp de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) le 27 juin 1941. Il y reçoit le matricule « 748 » et il est affecté à la baraque 5, chambre 5.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Marcel Sorin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu. Le numéro « 46108 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique très plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Marcel Sorin meurt le 18 septembre 1942 à Auschwitz d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1148 et ©Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau).
«L’amie d’Ambroise Sorin s’inquiéta de ne pas recevoir de ses nouvelles. Saisis de la requête, les Renseignements généraux demandèrent le 5 juin 1943 au commissaire de police de Saint-Ouen d’ouvrir une enquête. Ce dernier rendit compte le 16 au préfet de police : « Monsieur Sorin se trouverait en Allemagne depuis le 6 juillet 1942 comme interné politique et depuis cette date madame Théallier Marie n’a pas eu de nouvelles » (Le Maitron).
Son nom est inscrit sur le monument de la Résistance et de la Déportation de Saint-Ouen, situé dans le cimetière communal et sur le monument en hommage aux déportés politiques du convoi du 6 juillet 1942, inauguré le 24 avril 2005.
Il est homologué (GR 16 P 553121) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Par un arrêté ministériel de 1950 paru au Journal Officiel du 22 juillet 1950, il est homologué comme « Soldat » à titre posthume au titre de la Résistance intérieure française, avec prise de rang au 7 juin 1941.
Note 1 : Il s’enrichit en 1853 grâce à la guerre de Crimée, puis la guerre d’Italie. Il achète des terrains à Saint Ouen pour y construire des tanneries. Il est nommé Maire de cette ville par l’Empereur Napoléon III. Fournisseur des armées françaises, il est « l’inventeur » de la différenciation du pied gauche et du pied droit.
Sources
- Death Books from Auschwitz (registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en 1993. Dossier individuel consulté par Arnaud Boulligny (FMD Caen), 22 juin 2012.
- Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Maitron en ligne 2011, notice de Daniel Grason.
- © Photo de la porte d’entrée du camp d’Auschwitz : Musée d’Auschwitz-Birkenau.
- Archives de la Préfecture de police de Paris. Renseignements généraux, Liste des militants communistes internés le 27 juin 1941.
Notice biographique rédigée à partir d’une notice succincte pour le 60è anniversaire du départ du convoi des « 45 000 », brochure répertoriant les “45 000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, complétée en novembre 2007 (2014, 2019, 2020, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005 (dont je dispose encore de quelques exemplaires pour les familles). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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