Adrien Humbert est arrêté une première fois le 28 août 1940 par la police française dans les bureaux de l’usine d’aviation à La Courneuve où il travaillait avant guerre. Il vient y toucher une allocation de chômage deux fois par semaine. Alors qu’un tract syndical les appelant à ne pas reprendre le travail pour le compte des Allemands a été distribué le jour même « par quelques camarades de notre syndicat », une voiture de police française arrive et procède à des fouilles : Adrien Humbert est porteur d’un de ces tracts. Conduit au commissariat de cette ville, il y passe la nuit « à laver par terre », avant d'être enfermé au Dépôt, puis à la Santé, dans une cellule d'isolement gardée par des Allemands, durant 60 jours.
Adrien Humbert a fait le récit de ces deux mois à la Santé et de sa déportation le 6 juillet 1942,en 1984,dans un cahier de 29 pages intitulé « 39 ans après, mémoires d’un déporté ». L’extrait ci-dessous, dactylographié, devance un récit presque totalement manuscrit.
Claudine Cardon-Hamet
La prison de la Santé
« Cellule d’environ 3 m sur 2,50 m, au moins 3 m de haut, 1 vasistas en haut, on aperçoit
juste un petit carré de ciel. Les meubles : 1 lit de fer de 80 cm, une paillasse : comme drap, un genre de sac à viande de grosse toile bise et une couverture de coton. Une petite table fixée solidement au mur et un tabouret sur lequel je montais pour essayer de voir dehors, une cuvette de WC. sans eau et un broc de fer blanc : pas de chauffage ; j’oubliais, une petite cuvette en fer pour la toilette.
A 6 h, réveil : un gardien m’emmène chercher mon broc d’eau pour la toilette, l’eau de toilette servira ensuite au WC. ; faire le lit, et interdit de s’allonger dans la journée ensuite vers 7 h, on me passe un quart de soi-disant café, genre d’eau sale un peu tiède et légèrement sucrée ; la porte possède un petit hublot passe-plat à glissière et au dessus un petit trou rond pour la surveillance : vers 10 h, promenade : 20 minutes à tourner en rond entre quatre murs, seul ! Un surveillant au dessus !
Reconduit à la cellule, à midi ; la soupe, une gamelle de soupe de pois chiche dans laquelle nage un petit morceau de viande grasse, et une demi boule de pain, 300 grammes environ pour la journée ; 19 h, gamelle de bouillon où surnageaient deux ou trois morceaux de pâtes. Lumière éteinte à 20 h 30 et tous les 1/4 d’heure la cloche me tinte aux oreilles ; il y a le téléphone, mais il est très difficile d’avoir une conversation, car nous sommes au moins cinquante à crier dans la cuvette des WC, et les Matons crient « Silence » en tapant de leurs trousseaux de clefs dans les portes : deux ou trois fois par semaine, des Officiers Allemands viennent appeler des Matricules, et là, le silence se fait très lourd, car on dit que c’est pour les fusiller ; c’est ensuite une « Marseillaise » générale qui retentit dans la Prison, et chaque fois je pousse un soupir, car je pense que ce n’est pas encore mon tour !
Pendant ce temps, mon père fait des lettres et des démarches pour me faire libérer ; je ne sais s’il a abouti, mais au bout de soixante jours, je suis appelé au bureau de la Gestapo de la Prison, où on me fait signer une feuille sur laquelle je m’engage à ne plus m’occuper de Politique ! Pensez si je signe de bon cœur !
Et je me retrouve tout étourdi dans la rue, mes jambes vacillent un peu, et je me dépêche de m’éloigner de cet endroit maudit. Avant de prendre le Métro, j’entre dans un café où je prends un ou deux verres pour me remettre de mes émotions ».
- Dessin d’André Payen, résistant communiste, combattant Volontaire de la Résistance in « Parcours Santé » 250 dessins réalisés entre 1943 et 1945 à la Prison de la Santé.
- Photo des cellules : © City-Paris
En cas d’utilisation ou publication de ce témoignage, prière de citer : « Témoignage
publié dans le site « Déportés politiques à Auschwitz : le convoi dit des 45.000 »
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