René Espargillière : né en 1908 à Paris 13ème ; domicilié à Paris 14ème; monteur téléphonique au Métro ; communiste ; arrêté le 18 septembre 1941, condamné à 8 mois de prison effectués à la Santé ; interné aux camps de Voves et Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt.

René Espargillière est né le 19 mars 1908 à Paris (13ème). Il habite au 100, avenue d’Orléans à Paris 14èmeau moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Clavilier, 37 ans, sans profession et de Pierre Espargillière, 35 ans, employé au Métroplitain. René Espargillière est pupille de la Nation (son père est tué sur le front en novembre 1914).
Il est embauché comme ouvrier monteur téléphoniste au Métro (Chemin de fer métropolitain).
René Espargillière habite de 1931 à 1936 au 7, rue Bourgau dans le 13ème arrondissement, avec sa mère et sa sœur, Jeanne (née en 1899), plumassière dans le 4ème arrondissement.
En 1931 il travaille dans le 6ème, et dans le 14ème en 1936. Dans le même immeuble habite avec sa femme et son fils un nommé Jean Espargillière, né en 1901, ouvrier à la TCRP, qui est peut-être son frère.
René Espargillère est membre du Parti communiste depuis 1936, adhérent à la section du 14ème arrondissement.
Mobilisé en 1939, René Espargillière obtient la Croix de guerre 1939/1940 avec palmes.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Démobilisé, il est domicilié au 7, rue Bourgon à Paris 14ème .
Il épouse Geneviève Verger le 7 novembre 1940 à Sartrouville (ancienne seine-et-Oise). Elle est Sténo dactylo, âgée de 26 ans. Elle est née à Paris 14ème le 6 février 1914, et est domiciliée à Sartrouville au 8, place nationale. Le couple a un enfant.

Alors que le Parti communiste est officiellement dissous depuis septembre 1939, René Espargillière semble avoir poursuivi des activités militantes clandestines avec ses camarades du 14ème.
La recrudescence d’inscriptions à la craie, de collage de papillons gommés et de diffusion de tracts dans les 13ème et 14ème arrondissements a alerté les services de la Préfecture de police. Des enquêtes et filatures sont effectuées dans les milieux communistes par des inspecteurs de la BS.
Lire dans le site La Brigade Spéciale des Renseignements généraux.

A la suite de l’arrestation le 13 septembre 1941 d’une militante communiste, Marie Dubois demeurant boulevard de la Gare, les services de la Brigade Spéciale ont découvert lors de la perquisition à son domicile « une liste de militants communistes qui tenaient habituellement réunion dans un local (aujourd’hui détruit), au 12 bis, rue de la Goutte d’or (Paris 18ème). Dans le dit local, les inspecteurs ont également découvert un buvard sur lequel
figurait le nom du nommé Espargillière
 ».

Registre journalier de la Brigade spéciale des RG

Lire dans le site l’article :  24 communistes, chevilles ouvrières de l’appareil clandestin, arrêtés en région parisienne du 13 au 23 septembre 1941

l‘Œuvre du 14 octobre 1941

Son nom figure également dans un carnet saisi par les Renseignements généraux chez le militant communiste LH. de Nancy, inculpé en 1930 de provocation de militaires à la désobéissance et en 1941 de reconstitution de ligue dissoute.
René Espargillière est arrêté le 18 septembre 1941 par deux inspecteurs de la Brigade spéciale des RG. Au cours de son interrogatoire, « il reconnaît avoir adhéré au Parti communiste en 1936, mais déclare avoir cessé toute activité depuis 1940 ». Il est inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939 par le commissaire des RG, et incarcéré à la Santé en attente de jugement le même 18 septembre 1941.

Il est jugé le 26 janvier 1942 par M. Pottier, juge d’instruction, qui le condamne à une peine d’emprisonnement de 8 mois. Il est écroué à la Santé du 7 février 1942 jusqu’au 16 avril 1942. A la date d’expiration de sa peine d’emprisonnement, il n’est pas libéré : le Préfet de Police de Paris, François Bard, ordonne son internement administratif, en application de la Loi du 3 septembre 1940 (1).

Le CSS de Voves in VRID

René Espargillière est alors transféré au Centre de Séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir), où il est interné du 16 avril 1942 au 10 mai 1942 (dossier n° 298.249).
A cette date,  il est « pris en charge par les Autorités d’Occupation » qui le transfèrent le 10 mai 1942 depuis Voves au camp allemand de Compiègne (Frontstalag 122) avec 81 autres détenus (2).

Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. René Espargillière figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique que « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ». Le directeur du camp a fait supprimer auparavant toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ».

A Compiègne, il reçoit le matricule « 5733« . Selon le témoignage de Mme Geneviève Vernier, il a participé à la construction du tunnel qui a permis l’évasion de responsables communistes du camp le 22 juin 1942 et aurait dû faire partie de la deuxième vague d’évasion, rendue impossible par la découverte du tunnel par des chiens policiers.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Son épouse effectue des démarches auprès de la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés afin d’obtenir des nouvelles de son mari (mention d’un dossier dit de Brinon (3) au DAVCC).

Depuis le camp de Compiègne, René Espargillière est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942.  Le numéro «45522 ?» inscrit dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successivesque j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Seule la reconnaissance, par un membre de sa famille ou ami de la photo d’immatriculation publiée au début de cette biographie pourrait désormais en fournir la preuve.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date, ni sa date de décès.
Dans les années d’après-guerre, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31 d’un mois estimé) à partir des témoignages de rescapés afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. La date qui figure sur l’acte de décès de René Espargillière
établie à partir des attestations de Clément Coudert, Marcel Guilbert, André Faudry, Joseph Verger, est celle du 30 septembre 1942 à Auschwitz. C’est
également celle qui a été retenue par l’arrêté du 29 juin 1989, paru au JO du 6 août 1989 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès.

Plaque à la station de métro Châtelet

Une plaque à sa mémoire et à celle de quatre autres agents du Métro a été inaugurée le 7 novembre 1947 dans les locaux de la station de Téléphone du métro Châtelet, en présence de plusieurs directeurs des services du réseau ferré et de responsables syndicaux. Depuis 1994, cette plaque a été restaurée et installée dans un lieu plus solennel et public, un des couloirs de correspondance de la station du Métro Châtelet.

  • Note 1 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
  • Note 2  : Fernand Brinon (dit marquis de Brinon) représente le gouvernement français auprès du Haut-Commandement allemand dans le Paris de l’Occupation. Il est nommé le 5 novembre 1940 ambassadeur de France auprès des Allemands, puis le 17 novembre suivant «délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés». Il a été le destinataire des démarches des familles de « 45000 » qui cherchent à obtenir des informations sur le sort du déporté.

Sources

  • Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • Archives de la Préfecture de police, Cartons occupation allemande, BA 2374. « Internés administratifs transférés au CSS de Voves le 16 avril » (C 331-28).
  • Carton Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), aux Archives de la Préfecture de police de Paris. Procès verbaux des interrogatoires.
  • Stéphane Fourmas, Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai 1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.
  • « Le Deuil en hommage, monuments et plaques commémoratives de la RATP », Noëlle Gérôme, Creaphis 1995, pages 72-73, 120-121, 137.
  • © Site Internet Lesmortsdanslescamps.com
  • © Site Les plaques commémoratives, sources de Mémoire.
  • Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / collection André Montagne.
  • © Le CCS de Voves. In site Vienne Résistance Internement Déportation.
  • © Musée d’Auschwitz Birkenau. L’entrée du camp d’Auschwitz 1.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, dossiers Brigade spéciale des Renseignements généraux,
    registres journaliers.
  • Archives en ligne de Paris.

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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