Matricule « 46 098 » à Auschwitz

Fernand Savoye  ©« Femmes et Hommes de Romainville »
Fernand Savoye à Auschwitz le 8 juillet 1942
Fernand Savoye : né en 1903 à Ozoir-La-Férière (Seine-et-Marne) ; domicilié à Romainville (Seine / Seine-Saint-Denis) ; garçon de bureau, puis électricien ; communiste ; arrêté le 26 juin 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le premier novembre 1942.

Fernand Savoye est né le 12 décembre 1903 à Ozoir-La-Férière (Seine-et-Marne).
Il habite au 69, rue Jean Jaurès à Romainville au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Henriette Renvier, 35 ans, sans profession et d’Arthur Savoye, charretier, 35 ans son époux. Ses parents habitent à Paris au 92, rue des Marais. Fernand Savoye a une éducation primaire développée.

Le CNEP, future BNP rue Bergère

Fernand Savoye travaille comme garçon de bureau au Comptoir National d’Escompte, 14, rue Bergère à Paris 9è.
Il a une cicatrice à la joue droite.

Le 8 mai 1926 au Pré-Saint-Gervais, Fernand Savoye épouse Charlotte, Louise Wagner. Née à Paris 19ème, le 27 novembre 1904, elle est concierge à l’Ecole Fraternité-Aubin, dite aussi Ecole des Grands-Champs à Romainville.

L’école Fraternité

Compte tenu de son métier, Charlotte Savoye est logée à l’école. Le couple est donc domicilié à l’école, au 79, rue de la Fraternité.
Ils ont deux filles : Jeannine, née le 15 juillet 1929, et Ginette, née le 31 mars 1935.
En 1934, le couple avait emménagé au 69, rue Jean-Jaurès.
Son épouse a sans doute été mutée professionnellement à ce numéro de la rue Jean Jaurès car l’emplacement correspondant à ce numéro est occupé aujourd’hui par l’Ecole maternelle Chaplin, ce qui expliquerait leur nouvelle adresse en 1941. Cette même année 1934, il s’inscrit sur les listes électorales de Romainville et travaille comme électricien.
Son père qui exerce la profession de camionneur est domicilié au N° 64 de la même rue.
Fernand Savoye est connu des services de police comme militant communiste.

« Dans un entretien de mars 2022, sa fille Jeannine se souvenait de l’énorme portrait de Marcel Cachin trônant dans le jardin de leur logement de l’époque et d’avoir vendu le journal avec son père à plusieurs reprises. Des réunions du parti avaient lieu dans leur sous-sol, ce qui causait parfois des accrochages entre les époux Savoyeé. Le Maitron

Jusqu’au 10 juin 1940 des troupes françaises (le 401è régiment d’artillerie de défense anti-aérienne), occupent le Fort de Romainville, qu’elles quittent sans combattre. Un détachement de la Luftwaffe l’occupe alors. Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Pantin. Le 14 juin, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). En octobre 1940, le MBF, Commandement militaire allemand installé à Paris, décide de faire du Fort de Romainville un camp d’internement. Les détenus sont officiellement enregistrés à partir du 1er novembre 1940. 3900 femmes et 3100 hommes y furent internés avant d’être déportés ( 40 % de toutes les Résistantes françaises furent internées au Fort de Romainville avant leur déportation).

Selon Albert Giry, Fernand Savoye participe aux réunions clandestines du Parti communiste de la rue Jean Jaurès, et il diffuse l’Humanité clandestine. Suivant les instructions du régime de Vichy, et devant la recrudescence de distributions de tracts et d’inscription communistes dans l’Est parisien, la police surveille systématiquement les militants communistes connus de ses services avant-guerre.

Fernand Savoye, connu comme ancien militant communiste est arrêté le 26 juin 1941 à son domicile, sur indication des Renseignements généraux dans le cadre d’une grande rafle concernant les milieux syndicaux et communistes. Cette arrestation se fait en présence de ses parents, de sa femme et de ses enfants. La liste des Renseignements généraux répertoriant les communistes internés administrativement le 26 juin 1941, mentionne pour Fernand Savoye : « Meneur particulièrement actif ». 

Extrait de la liste des RG du 26 juin 1941, montage à partir du début de la liste

Le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent en effet plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française.
D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ici l’Hôtel Matignon), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht.

Fernand Savoye est interné au camp allemand de Royallieu (le «Frontstalag 122»), camp destiné à l’internement des «ennemis actifs du Reich», alors seul camp en France sous contrôle direct de l’armée allemande.
Il y reçoit le matricule n° 266.
Edouard Driessens un autre Romainvillois a été arrêté le 24 juin dans le cadre de la même rafle décidée par l’Occupant. Il sera lui aussi déporté à Auschwitz depuis le Frontstalag 122, où il porte le matricule « 447 ».

Peinture réalisée par Fernand Savoye à l’hôpital militaire du Val de Grace, 1942 (archives familiales, in © Maitron)

Malade, Fernand Savoye est envoyé à l’hôpital du Val de Grasse, où il exécute une peinture que sa famille a recueillie, puis il est transféré au Fort de Romainville, camp d’internement allemand, d’où il est à nouveau transféré et interné au camp de Compiègne.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Fernand Savoye est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est immatriculé le 8 juillet 1942

Fernand Savoye est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 920» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Son matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard.
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».

Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Henri Gorgue seul romainvillois rescapé, lorsqu’il nomme ses camarades de Romainville à Auschwitz dit « … et puis Fernand Savoye, un brave type, un brave gars avec deux ou trois gosses » (extrait du spectacle écrit par Jean-Louis Sagot-Duvauroux « les années 40 à Romainville », le 7 septembre 1985).
Fernand Savoye meurt à Auschwitz le 1er novembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1069 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
Pour Henri Gorgue, il est mort « quelques mois après notre arrivée ».

Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Un arrêté ministériel du 1er avril 1998 paru au Journal Officiel du 14 juillet 1998 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès de Fernand Savoye. Cet arrêté qui corrige le précédent qui indiquait « mort le 6 juillet 1942 à Compiègne » mentionne néanmoins encore une date erronée « décédé le 11 juillet 1942 à Auschwitz » soient les 5 jours prévus par les textes en cas d’incertitude quand à la date réelle de décès à Auschwitz.
Or celle-ci est pourtant connue depuis 1995 ! Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45 000 » à Auschwitz.
Le nom de Fernand Savoye est inscrit en lettres d’or sur la plaque de marbre à l’intérieur de la Mairie (Victimes de la guerre 1939-1945 – Morts dans la Résistance).
Son épouse est décédée le 21 juin 1990 à Bagnolet (Seine-Saint-Denis).

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’AuschwitzBirkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
  • Note 2 : Le 6 juillet 1942 gare de Compiègne « Les soldats comptent les hommes par cinquante et les poussent vers les wagons. (…). Les déportés se retrouvent à quarante-cinq, cinquante, soixante ou plus, dans les wagons de marchandises qui, pour avoir servi au transport des troupes, portent encore l’inscription : 40 hommes – 8 chevaux en long. Des wagons sales, au plancher recouvert par deux à trois centimètres de poussière de ciment ou de terre, avec, pour seule ouverture, une petite lucarne grillagée ou bardée de barbelés, près de laquelle les plus souples réussissent à se glisser. Au centre, un gros bidon ayant contenu du carbure dont l’odeur déjà les incommode ». « Triangles rouges à Auschwitz » prologue, p.11). Photo du wagon @ Mémorial de Langeais

Sources

  • Remerciements à Mme Isabelle Denis, chef du service des archives de Romainville (1988).
  • © Les Ecoles de Romainville, un patrimoine pour demain. Guy Auzolles, association des Amis du château de Romainville.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • Liste de noms de camarades du camp de Compiègne, collectés avant le départ du convoi et transmis à sa famille par Georges Prévoteau de Paris XVIIIè, mort à Auschwitz le 19 septembre 1942 (matricules 283 à 3800) (BAVCC).
  • Témoignage d’Henri Gorgue (11 janvier 1973).
  • Photo de Fernand Savoye in « Femmes et Hommes de Romainville », de la Résistance à la Libération. Par Guy Auzolles et Albert Giry, édité par la ville de Romainville, 1999.
  • Lettre d’Albert Giry à Louis Odru pour l’ANACR 93 concernant les dates de naissance des « 45 000 » de Romainville (27 juin 2003). Ce document m’a été transmis par Madeleine Odru.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Death Books from Auschwitz (registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Archives de la Préfecture de police de Paris. Renseignements généraux, Liste des militants communistes internés le 26 juin 1941.

Notice biographique rédigée à partir d’une notice succincte pour le 60è anniversaire du départ du convoi des « 45 000 », brochure répertoriant les “45 000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, complétée en novembre 2007 (2014,  2019, 2020, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005 (dont je dispose encore de quelques exemplaires pour les familles).  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *