Matricule « 45 603 » à Auschwitz
André Girard : né en 1906 à Allery (Somme) ; domicilié à Neuilly-sur-Marne (Seine / Seine-Saint-Denis) ; ajusteur ; syndicaliste CGT et communiste ; arrêté le 11 février 1942 ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 14 février 1943.
André Girard est né le 16 avril 1906 à Allery (Somme). Il est domicilié à Neuilly-sur-Marne (Seine / Seine-Saint-Denis) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Louise, Eléonore Leblond, sans profession, 31 ans, née le 19 juillet 1870 à Allery où elle est domiciliée et de François Girard, tenancier de bureau de placement, 41 ans, né le 13 mars 1861 à Champeix (Puy-de-Dôme), son époux. Il est domicilié à Paris Place de la Sorbonne. Le mariage a lieu à Allery, le premier avril 1902.
Leur fils, André Girard a épousé Yvonne. Le couple a une fille, Nicole, qui naît le 21 décembre 1934. La famille habite au moment de son arrestation au 43, rue de Paris à Neuilly-sur-Marne (devenue rue Emile Cossonneau(1) le 27 octobre 1944. Ancien maire communiste de Bondy, conseiller général du canton du Raincy, il est décédé « accidentellement » au cours d’un parachutage d’un avion parti de Londres en 1943).
André Girard travaille à l’usine Sanders (caisses enregistreuses) de Gentilly (Seine / Val-de-Marne), 48/50 rue Benoit Malon, où il est ajusteur.
Il participe activement aux actions de la section syndicale CGT particulièrement active (au point d’être citée à deux reprises par le « Populaire » en 1938, au moment des
protestations contre les atteintes aux 40 heures et contre les décrets lois Daladier-Reynaud : 6 septembre 1938 et 18 novembre 1938).
L’usine métallurgique est surnommée « la maison rouge » à Gentilly.
André Girard est membre du Parti communiste (connu des services des Renseignements généraux / source préfecture de Police, 18 mai 1951).
Lors de la déclaration de guerre, il est mobilisé au 260è Régiment d’Infanterie de Lons-le-Saulnier, de septembre à décembre 1939. Il est ensuite « affecté spécial » à la Maison Demaria Lapierre et Mollier (mécanique et appareils photographique) à Lagny, puis chez Sanders, comme ajusteur (enquête de la Préfecture de police pour l’attribution du titre de Déporté résistant, le 18 mai 1951).
Le 14 juin 1940, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Suivant les instructions du régime de Vichy, et devant la recrudescence de distributions de tracts et d’inscription dans l’Est parisien, la police surveille systématiquement les militants communistes connus de ses services avant-guerre.
Selon une attestation des FTPF concernant André Girard (30 avril 1947), il s’est engagé dans la Résistance au début de 1941. Affecté à un groupe de sabotage, il prend part à plusieurs actions de sabotage.André Girard est arrêté à son domicile par des inspecteurs français des Brigades spéciales (BS-1) chargés de la répression anticommuniste, le 11 février 1942.
Son nom a été communiqué à la police française par un membre de la direction de l’usine Sanders, qui le considérait comme l’un des meneurs de la grève du 9 février. Une note blanche du 20/10/1954 des Renseignements généraux le concernant est conservée au DAVCC à Caen : elle reprend les éléments de l’enquête de 1951.
On y lit « A la suite d’un arrêt de travail survenu le 9 février 1942 aux Etablissements « Sanders » (machines à écrire) 48 et 50 rue Benoît Malon à Gentilly (Seine), où il travaillait comme ajusteur, M.
Girard a été convaincu d’avoir colporté des mots d’ordre et d’être à la base de cet incident. En outre, il avait été signalé comme militant communiste par la direction des Etablissements Sanders.
D’autre part son nom figurait sur une fiche saisie au siège du Parti communiste lors de la dissolution de ce Parti en septembre 1939. En conséquence, il a été arrêté par nos services le 11 février 1942 à l’intérieur des établissements précités et interné administrativement (en application du décret du 18 novembre 1939) au camp de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) et il a été pris en charge le 16 avril
suivant par les autorités allemandes ».
« Douze autres ouvriers sont arrêtés par les agents du commissariat de Gentilly, après cet arrêt de travail d’un quart d’heure du 9 février 1942 décidé pour protester contre le rejet par la direction du cahier de revendications déposé quelques jours plus tôt, cahier qui portait sur les salaires et l’exercice des libertés syndicales, à l’usine Sanders de Gentilly. Les Renseignements généraux ont été avertis par le directeur et son adjoint, et un membre de la maîtrise leur fournit la liste de ceux qu’il suppose être les « meneurs ». Ils sont incarcérés pendant quatre mois au Dépôt, puis envoyés au camp d’internement français de Voves (Eure-et-Loir) sur décision d’internement administratif du Préfet de police de Paris. Neuf d’entre eux, qui avaient été fichés par les R.G. depuis plusieurs années en tant que « militants actifs et propagandistes », sont retenus comme otages et déportés à Auschwitz.
Seul, Francis Joly en reviendra » (2).
Le 16 avril 1942, à 5 h 50, un groupe de 60 militants «détenus par les Renseignements généraux» est transféré de la permanence du Dépôt au camp de Voves (Eure et Loir), convoyés par les gendarmes de la 61è brigade.
Ce camp (le Frontstalag n° 202 en 1940 et 1941) était devenu le 5 janvier 1942 le Centre de séjour surveillé n° 15.
Lire dans ce site : Le camp de Voves
Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne, à la demande du commandement militaire en France. Le nom d’André Girard figure sur la première liste : sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite afin d’éviter que les familles assistent au « prélèvement » du premier groupe de 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation. La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Le directeur du camp écrit « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaires, en ce sens que demain la victoire sera pour eux. Il indique également « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ».
Au camp allemand de Compiègne, André Girard reçoit le matricule « 5735 ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, André Girard est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
André Girard est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «45 603» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz(3).
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Compte-tenu de son métier d’ajusteur, il est ramené à Auschwitz I. Affecté au Block 10 A, André Girard est désigné le lendemain pour le Kommando Schlosserei (Serrurerie).
Le 30 septembre, il entre au Revier (« l’hôpital ») d’Auschwitz (le Block 20), en même temps que Raymond Gaudry. Il en sort et il est transféré alors au Block 21 A. Le 3 février 1943, il entre à nouveau au Revier du camp.
André Girard meurt à Auschwitz le 14 février 1943 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 348 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est nommé avec ses dates et lieux de naissance et de décès, son numéro matricule, et la mention « Katolisch »).
Ce certificat porte comme cause du décès « Sepsis bei Phlegmone » (Septicémie à phlegmon, symptôme d’angine). L’historienne polonaise Héléna Kubica explique comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz». Lire dans le site : Des causes de décès fictives.
Ses camarades Joly et Martin ont témoigné de sa mort dans cette période.
André Girard est déclaré « Mort pour la France » et homologué comme « Déporté politique ».
Il reçoit le grade de sergent au titre de la Résistance intérieure française.
Après la Libération le Comité d’épuration de l’usine Sanders est à l’origine d’un procès qui se termine par l’acquittement des deux membres de la direction auteurs de la dénonciation (audience du 10 mai 1946).
Le nom d’André Girard figurait sur la plaque commémorative apposée par le personnel de la Sanders dans le hall de l’usine Sanders avant son transfert à Massy (elle devient N.C.R. « National Cash Register ») et la cellule du Parti communiste de l’entreprise portait son nom.
Un monument est érigé au cimetière par la Municipalité de Gentilly à la mémoire des « Neuf de la Sanders ». Un texte est gravé sur le monument et une stèle a été déposée à sa base par des anciens des Etablissements Sanders. Une plaque commémorative a été érigée en leur honneur par la Municipalité de Gentilly à l’angle de la rue Benoît Malon et de l’avenue Paul Vaillant-Couturier.
70 ans après, jour pour jour, un hommage solennel est rendu à ceux de la Sanders le 11 février 2012(4). Manifestation annoncée dans le bulletin
municipal et dont un article du Parisien rend compte : « Georges Abramovici, mort pour la France », « Marcel Baudu, mort pour la France », « René Salé, mort pour la France » (…). Le représentant des anciens combattants égrène l’un après l’autre les noms des ouvriers syndicalistes déportés dans les camps nazis. Samedi, 80 personnes environ ont participé à Gentilly à une cérémonie pour les 70 ans de ceux qu’on a appelé « les résistants de la Sanders ».
Le 11 février 1942, treize ouvriers de cette usine métallurgique, située rue Benoît-Malon, ont été arrêtés par la brigade spéciale BS1, spécialisée dans la lutte contre les communistes, pour avoir mené une grève… d’un quart d’heure. Huit d’entre eux seront déportés à Auschwitz-Birkenau à l’été 1942, et un seul survivra aux camps de concentration. Soixante-dix ans jour pour jour après ce terrible épisode qui reste gravé dans la mémoire militante, les associations (6) et la municipalité communiste de Gentilly ont tenu à leur rendre hommage. Après une cérémonie devant le monument aux résistants déportés du cimetière de Gentilly, les familles, les amis et les élus se sont rendus sur l’ancien site de la Sanders, où une plaque a été installée, avant une lecture de texte devant le monument aux morts place Henri-Barbusse.
- Note 1 : Né le 22 octobre 1893 à Paris (XVe arr.), Emile Cossonneau est mort le 11 décembre 1943 ; militant communiste ; maire de Gagny (1935-1940) ; conseiller général du canton du Raincy (1935-1940) ; élu député de la 3e circonscription de Pontoise le 3 mai 1936 (Le Maitron). Il est arrêté, condamné et transféré en Afrique du Nord. Libéré le 5 février 1943 par les Alliés, il regagne l’Angleterre. Son avion est abattu dans la nuit du 10 au 11 décembre 1943 alors qu’il rejoignait la France.
- Note 2 : Citation in « Triangles rouges à Auschwitz », chapitre « Les causes d’arrestations ». Francis Joly, submergé d’amertume pour avoir vainement tenté d’obtenir la condamnation de celui qu’il considère comme responsable de son arrestation, allant de dépression en cure de sommeil, sans travail, désespéré, met fin à 45 ans à des souffrances qu’il ne peut plus maîtriser.
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz–Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
- Note 4 : A l’initiative de la municipalité, des associations « Mémoire vive des 45000 et 31000 », la « Compagnie de la Feuille d’or », « Lire et faire lire » et les élèves de 3è du collège Rosa Parks de Gentilly.
Sources
- Fichier central des archives des ACVG.
- Témoignages de Francis Joly et Maurice Martin, 18 septembre 1945.
- Attestation des FTPF, 30 avril 1947.
- © André Girard, Photo au DAVCC et à la Mairie de Gentilly 9 juillet 1993.
- Photographies des 8 de la Sanders communiquées par courrier le 9 juillet 1993 par le service Archives-Documentation de Gentilly. Légende des photos Pierre cardon
- Photo de la section syndicale Sanders (non datée), in © Bulletin municipal Vivre à Gentilly, janvier 2012, p.19.
- Brochure éditée en 1944, « l’exaltante histoire des fusillés de Gentilly« .
- Appareil photo Demaria-Lapierre et Mollier ; caisse enregistreuse Sanders (© forum).
- Registres des Morts d’Auschwitz.
Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2014, 2019, 2020 et 2022) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) . Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com