Matricule « 46 089 »à Auschwitz
Justin Salamite né en 1908 à Cassis (Bouches-du-Rhône) ; domicilié à Paris 18ème ; cuisinier ; « indésirable » arrêté le 19 octobre 1938 ; arrêté le 5 février 1941, condamné à 15 mois de prison ; prison de La Santé, puis interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 26 août 1942.
Justin Salamite (dit « Jacob » selon Jean Pollo), est né le 10 avril 1908 à Cassis (Bouches-du-Rhône). Il est domicilié au 37, rue de Belfort à Clichy (Seine / Hauts-de-Seine), puis au moment de son arrestation, il habite au 12 rue Sainte-Isaure (Paris 18ème), un immeuble aujourd’hui reconstruit. Il est cuisinier. Il est le fils de Céleste, Marceline Revest, née en 1884 à Cassis, sans profession, et de Louis, Julien Salamite, né en 1874 à Marseille, peintre, son époux. Au moment de sa naissance, ses parents, sa sœur Jeanne (née en 1900) habitent place Pierre Baragnon à Cassis.
Il obtient le certificat d’études dans le 9ème canton de Marseille, en juin 1921, avec la mention assez bien.
Sa sœur Jeanne décède en février 1924. Il est cuisinier de métier, mais a très tôt des activités illicites. En 1932, il est domicilié au 135, rue Auguste Blanqui à Marseille.
En avril de cette année, la presse locale (Petit Marseillais et Petit Provençal) qui le présentent, ainsi que Paulin B. comme un récidiviste, font état d’une arrestation en flagrant délit de cambriolage d’un bar, cambriolage pour lequel la chambre correctionnelle le condamne lourdement à 10 mois de prison et cinq ans d’interdiction de séjour le 6 juillet 1933.
Le 19 octobre 1938, Justin Salamite est interpellé pour infraction à la loi de 1845 sur les « substances vénéneuses » et il fait l’objet d’un rapport de police le 19 décembre. Il est arrêté comme complice d’un certain Isaac Leifer, qui se présente comme étant le « grand rabbin » de Brooklyn, un quartier de New-York : « dix-huit kilos de drogue dissimulés dans quarante livres pieux sont saisis. Le relieur interrogé par la police, affirme que selon les dires du rabbin «les sachets disposés dans les volumes n’étaient destinés qu’à contenir du “sable sacré prélevé à Jérusalem et destiné à des malheureux coreligionnaires, victimes innocentes des persécutions politiques». Mais l’enquête révèle que l’inculpé est un faux rabbin. Leifer est condamné le 20 juin 1939 à deux ans de prison et 5.000 francs d’amende. Le 30 juin 1939, le Procureur de la République prononce l’inculpation de Justin Salamite. Le 26 septembre, un juge d’instruction du Tribunal de première instance de la Seine ordonne sa conduite à la Maison d’arrêt de la Santé. On ignore s’il est libéré au moment de l’évacuation des prisons parisiennes à l’arrivée des Allemands à Paris ou s’il s’évade pendant ces évacuations.
Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Le 5 février 1941, Justin Salamite est arrêté à nouveau place de Clichy par la police française et conduit au Dépôt de la maison d’arrêt de la Santé. Le fichier de la Santé indique qu’il a été arrêté le 5 février 1941 « pour activité communiste », inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939 et déféré devant le Procureur.
Il est jugé le 27 février par la 10ème chambre du Tribunal correctionnel de la Seine et condamné à 15 mois de prison, 1000 F d’amende et 5 ans d’interdiction de séjour. Justin Salamite fait appel du jugement : mais le 24 juin 1941 la Cour d’Appel de Paris confirme la peine de 15 mois de prison, 1000 F d’amende et 5 ans d’interdiction de séjour.
La présentation du jugement qu’en fait l’Oeuvre, journal collaborationniste, correspond bien à la condamnation, mais rapporte qu’il est arrêté parce que le vicomte Dampierre déclare lui avoir fourni de la drogue, et fait état de son ancienne complicité « avec le grand Rabbin de Brooklyn, Isaac Leiser, qui dissimulait de l’héroïne dans des reliures truquées de bibles« . Or l’enquête policière de 1939 avait révélé que Leiser ou Leifer était bel et bien un faux rabbin, trafiquant de drogue avec les Etats-Unis. La ligne antisémite de l’Œuvre est bien là. Amalgame avec un trafiquant d’héroïne « grand Rabbin » et complicité avec « Jacob, de son vrai nom Justin Salamite »… Or on sait que Justin Salamite est catholique, religion qu’il déclare à Auschwitz.
Le 12 janvier 1942, date de l’expiration normale de sa peine d’emprisonnement, Justin Salamite n’est pas libéré. « Ayant été signalé comme « indésirable » (1) (enquête de 1956), le Préfet de Police de Paris, François Bard, ordonne le 14 janvier son internement administratif en application de la Loi du 3 septembre 1940 (2). Il est alors transféré à la Maison d’arrêt de Fresnes.
Le 5 mai 1942 Justin Salamite est transféré à la demande des autorités d’Occupation au camp allemand de Compiègne (in rapport d’enquête de 1948). C’est avec un groupe d’une cinquantaine de détenus qu’il est d’abord emmené à la gare du Nord (14 internés administratifs de la Police judiciaire classés comme « indésirables » (1), extraits de Centre de séjour surveillé des Tourelles et 37 autres internés en majorité communistes). Puis par le train de 5 h 50, ils sont dirigés sur Compiègne et le Frontstalag 122 où ils sont internés en tant qu’otages.
On trouve une autre date de transfert à Compiègne sur sa fiche individuelle au DAVCC : le 12 mai 1945. Cette date erronée a été la cause d’une erreur de l’administration concernant sa date de décès à Auschwitz (4). Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Justin Salamite est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Justin Salamite est très probablement enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46 089». En effet, selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, le déporté qui porte ce numéro, et dont le nom manque, est mort à la même date que Justin Salamite. Compte tenu de l’ordre alphabétique celui-ci devait logiquement recevoir ce numéro.
La photo d’immatriculation du « 46 089 » à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation. Le visage correspond à l’âge de Justin Salamite.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Justin Salamite est ramené à Auschwitz I. Selon Jean Pollo, il se fait admettre à l’infirmerie d’Auschwitz I, « comme malade, alors qu’il ne l’était pas ». Et là il est victime d’une « sélection ».
Justin Salamite meurt à Auschwitz le 26 août 1942, d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1059 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates et lieux de naissance et de décès, et avec l’indication « Katolisch » (catholique).
ministériel du 1er avril 1998 paru au Journal Officiel du 14 juillet 1998 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès de Justin Salamite (4). Cet arrêté qui « corrige » le précédent, porte toujours une mention erronée : décédé le 17 mai 1942 à Auschwitz et non le 12 mai 1942 à Compiègne (Oise). A cette date Justin Salamite vient d’être interné à Compiègne, et pour être décédé en mai à Auschwitz, il aurait dû être déporté avec le 1er convoi de la Solution finale du 27 mars 1942 (car le second part en juin).
Il serait souhaitable que le ministère prenne en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45 000 » à Auschwitz..
A la suite de deux enquêtes de la commission d’attribution (ONAC 1948 et 1956), Justin Salamite n’a pas été reconnu comme « Déporté
politique » en 1957.
- Note 1 : « Indésirables » : des militants communistes (dont plusieurs anciens des Brigades Internationales) et des « droits communs ».
- Note 2 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en décembre 1992.Dossier individuel – « statut » – consulté par Claudine Cardon-Hamet.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’Étatd’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des
détenus immatriculés). - Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / © collection André Montagne.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com