Elie Delville : né en 1894 à Beuvry (Pas-de-Calais) ; il habite à Paris 19ème ; mineur, terrassier ; communiste ; ancien des Brigades internationales ; arrêté le 24 janvier 1941 ; interné aux camps des Tourelles et Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 21 septembre 1942.

Elie Delville est né le 6 juillet 1894 à Beuvry à 3 km de Béthune (canton de Cambrio, (Pas-de-Calais).  Il habite au 16, rue de Meaux à Paris (19ème) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Vantouroux,  née en 1868, ménagère et de Jules Delville, né en 1866, mineur de houille, son époux. ses parents sont tous deux nés à Beuvry. Il a deux sœurs (Estelle, ne en 1888 et Adèle, née en 1900) et deux frère (Julien, né en 1892 et Marcel, né en 1896), tous nés à Beuvry. En 1906, la famille habite au 321, route nationale à Beuvry. Les grands parents habitent au 322.
Elie Delville, « blond aux yeux bleus, front ordinaire, nez moyen, 1m 69 » (registre militaire), est lui aussi mineur de charbon (houiller) à la Compagnie des mines de Vendin à Vendin-lez-Béthune.
A la mobilisation générale de 1914, il est incorporé le 7 septembre 1914 (matricule « 3843 »). Il arrive le même jour au 166ème Régiment d’infanterie. En instruction jusqu’au 19 mars 1915, affecté au 401ème RI. Sur le front à partir du 20 mars 1915. Il est blessé le 9 avril 1915 (plaie en séton au talon gauche).

Croix de guerre

Elie Delville est cité à l’ordre du régiment le 27 mai 1916 : « a participé à un coup de main hardi faisant preuve pendant toute l’action de grand courage ». Il reçoit la Croix de guerre, avec étoiles de bronze.
Pendant la campagne de la Somme, il est porté disparu le 5 septembre 1916 dans le secteur de Vernonvilliers : il a été fait prisonnier. Il est KG (Kriegsgefangener) prisonnier de guerre jusqu’en décembre 1918 au camp de Dülmen en Westphalie. Il est rapatrié le 21 décembre 1918. Il revient en France du 22 décembre 1918 au 15 mars 1919, « aux armées » jusqu’au 24 août 1919. Il est démobilisé au 73ème RI le 25 août 1919.

Elie Delville épouse Céleste Delannoy le 29 mars 1919 à Beuvry. Elle est née en 1896 dans le Pas-de-Calais. Le couple a une fille. Elle est née le 17 mai 1920 à Beuvry et se prénomme Néglienne (prénom peu commun, vérifié sur le recensement 1936 à Paris et les tables décennales de Beuvry).

Il est affecté en tant que réserviste aux mines de Vendin, à Vendin-lez-Béthune où il a retrouvé du travail. Il revient habiter à Beuvry, rue de la Place.

l’Humanité du 8 novembre 1926

Le 26 novembre 1926, il est condamné par le tribunal de Béthune à 6 jours de prison avec sursis et 50 francs d’amende pour « outrage à agents ». Il est vraisemblable qu’il a participé soit à la journée nationale du 7 novembre à l’appel de la CGTU, soit à l’une des manifestations de solidarité aux mineurs anglais, en grève depuis près de 6 mois, manifestations émaillées de plusieurs échauffourées
avec la police. Sa condamnation a été rayée de son fascicule militaire.
En 1927, Elie Delville habite au 72, rue Ernest Loyer à Lambersart.
A partir du 21 janvier 1933, il habite au 16, rue de Meaux à Paris 19ème. Il est terrassier. En 1936, il est au chômage.
Adhérent au Parti communiste, il s’engage dans les Brigades internationale pour défendre la République espagnole. Il arrive en Espagne le 27 avril 1937. Il est affecté à la garnison des BI à Salamanque. A la suite de rapports conflictuels avec des officiers des BI de Salamanque, et sur avis de la commission judiciaire d’Albacete des BI, il est rapatrié entre le 21 et le 23 juin 1937.
A son retour en France, il est trésorier de la section du 19ème arrondissement de l’amicale des Volontaires d’Espagne. Il est tout à fait possible qu’il y ait côtoyé Pierre Georges, futur colonel Fabien, ancien brigadiste qui habite dans le 19ème au 100, rue de la Villette. De même, il a sans doute côtoyé Albert Début, qui est secrétaire de cellule et habite les HBM de la rue des Chaufourniers, une rue adjacente à la rue de Meaux.
Le 10 février 1940, selon son registre militaire, Elie Delville est remonté dans le Nord, et habite au 5, rue de l’Eglise à Steenvoorde (Nord).
Après la déclaration de guerre, il est « rappelé à l’activité militaire » le 28 mars 1940. Il ne rejoint pas son affectation au dépôt n°1 du Train, car, « affecté spécial », il est mobilisé sur son poste de travail aux Etablissements Raymond Pruvost.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

En novembre 1940, Elie Delville met son logement parisien à disposition de la Résistance et des réunions du Parti communiste clandestin se tiennent chez lui, « auxquelles j’ai moi-même participé » écrit le commandant Albert Schweitzer, chef régional des premiers groupes de l’OS en 1940.
En août 1941, Elie Delville entre dans un groupe armé de l’Organisation spéciale et participe à l’attaque contre un officier allemand à l’angle de la rue Rennequin et du boulevard Pereire (Paris 17ème) le 28 novembre 1941 et à l’attaque par dynamitage d’un cercle militaire allemand, rue de la Convention (Paris 15ème), le 6 décembre 1941 (un lieutenant est tué :  Militärbefehlshaber in Frankreich / CDJC) ..

Renseignements généraux,  note de service du 23 décembre

Elie Delville est arrêté le 24 décembre 1941, par des agents du commissariat de Police du secteur Combat, 10, rue Pradier (sous les ordres de l’inspecteur S…) à la suite de la dénonciation d’un policier infiltré (surnommé « Lucien »). Ce jour là, vers 6 heures du matin débute une vague d’arrestations organisées par la police française à l’encontre de 33 anciens volontaires des brigades internationales.

Elie Delville est conduit avec ses camarades à la caserne des Tourelles (1) le même jour. Le 26 décembre 1941, le Préfet de police de Paris François Bard, signe un arrêté d’internement administratif le concernant. Il y subit avec ses camarades les conditions épouvantables
imposées à des internés dont le nombre variera de 400 à 600 personnes. A cela s’ajoute une sous-alimentation chronique entraînant bon nombre de maladies : entérites gastro-intestinales, affections cardiaques, tuberculose
(1)Malade, il est admis à l’hôpital Tenon, le 10 janvier 1942.

La caserne des Tourelles @ Mauzas DR
Etat du 24 décembre 1941

Elie Delville est transféré au Dépôt de la Préfecture, d’où il est extrait le 5 mai 1942 pour être conduit à la gare du
Nord avec 33 autres internés administratifs de la police judiciaire, classés
comme « indésirables » (2). Ils sont mis à la disposition des autorités allemandes et internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le jour même en tant qu’otages.

Les 34 « indésirables », communistes, ancien brigadistes et « droits communs » des Tourelles seront tous déportés le 6 juillet 1942.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». 

Depuis le camp de Compiègne, Elie Delville est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Son numéro d’immatriculation lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu. Le numéro « 45 448 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Elie Delville meurt à Auschwitz le 21 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 218 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès, avec l’indication « Katolisch » (catholique). Le certificat de décès d’Auschwitz porte comme cause du décès « Lungenentzündung» (pneumonie ou broncho-pneumonie).
L’historienne polonaise Héléna Kubica a révélé comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique
médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz».
Lire dans le site : Des causes de décès fictives.

Un arrêté ministériel du 16 février 1988 paru au Journal Officiel du 22 mars 1988 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès en reprenant la date de décès de l’état civil d’Auschwitz.
Elie Delville reçoit à titre posthume la Carte de Combattant volontaire de la Résistance, homologué avec le grade de sergent. Mais l’homologation comme « Déporté résistant » lui est refusée. Il est homologué « Déporté politique » le 1er juin 1954.
Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Beuvry, place des Martyrs : « 40-45 Beuvry à ses Martyrs ».

  • Note 1 : La caserne des Tourelles, « Centre de séjour surveillé » : Ouvert d’abord aux Républicains espagnols, entassés par familles entières, aux combattants des Brigades internationales, interdits dans leurs propres pays. Les rejoignent de nombreux réfugiés d’Europe centrale fuyant la terreur nazie, des indésirables en tous genres, y compris, bien sûr, les « indésirables » français : communistes, gaullistes et
    autres patriotes (on ratissait large), juifs saisis dans les rafles, «droit commun» aux causes bien datées (marché noir) ».
     France Hamelin in Le Patriote Résistant N° 839 février 2010. Ce Centre de séjour surveillé fonctionne dans l’ancienne caserne d’infanterie coloniale du boulevard Mortier à Paris. En 1942, deux bâtiments seulement étaient utilisés, un pour les hommes et un pour les femmes. Ils étaient entourés de fil de fer barbelé. Chaque bâtiment disposait de 3 WC à chasse d’eau, largement insuffisants. Des latrines à tinette mobile étaient en outre disposées dans l’étroit espace réservé à la promenade. La nuit, une tinette était placée dans chaque dortoir. C’est peu dire les conditions épouvantables imposées à des internés dont le nombre variera de 400 à 600 personnes. A cela s’ajoutait une sous-alimentation chronique entraînant bon nombre de maladies : entérites gastro-intestinales, affections cardiaques, tuberculose… © In site Internet Association Philatélique de Rouen et Agglomération.
  • Note 2 : « Indésirables » : des militants communistes (dont plusieurs anciens des Brigades Internationales) et des « droits communs ». La
    plupart des « droits communs » déportés dans le convoi du 6 juillet 42 sont apparentés familialement ou proches des milieux communistes.
  • Note 3 : les 34 des Tourelles transférés à Compiègne le 5 mai : Alessandri, Battesti Jean, Bécet, Brioudes, Brun, Cazorla, Chvelitski, Claus, Corticchiato, Delaume, Delville, Dupressoir, Fontès, Garré, Germa, Gorgue, Guerrier, Hanlet, Jeusset, Lavoir, Legrand, Monjault, Moyen, Nozières, Piazzalunga, Pollo, Porte, Remy, Quadri Jean, Rouyer, Salamite, Schaefer, Steff, Trébatius.

Sources

  • Registre matricule du Pas-de-Calais, classe 1914, bureau de Béthune.
  • Attestation du commandant Albert Schweitzer, chef régional des premiers groupes de l’OS en 1940 26 octobre 1954).
  • Attestation du Lieutenant colonel Scolari. Liste établie à partir des Livres des morts d’Auschwitz. (ACVG).
  • Les Livres des morts d’Auschwitz.
  • Fichier national des déplacés de la Seconde guerre mondiale (archives des ACVG).
  • Dossier « statut » des archives des ACVG.
  • Monument aux morts de Beuvry © Mémoires de pierre.
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
    Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et
    le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948, établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz. Liste Auch 1/7 (DAVCC Caen).
  • Helena Kubica : “Polish children and young people” p. 206, et “Methods and types of treatment”, p. 318 in “Auschwitz 1940-1945”, tome 2. Musée d’état d’Auschwitz-Birkenau 2000.
  • © Site Internet MemorialGenWeb.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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