Dans un article de « La Vie Nouvelle » des années 1980, André Tollet (1) évoque la parution des « Vie Ouvrière » clandestines, sous l’Occupation, éditées à partir d’août 1940. Evoquant les imprimeries clandestines et les difficultés de confection des feuilles ronéotés de ces premières « V.O. », il raconte les arrestations d’octobre 1940, consécutives selon lui à la trahison d’un des membres de l’appareil clandestin, Albert Clément, ex rédacteur en chef de la « V.O. » (la police française l’a arrêté sur dénonciation de son épouse. Il finira par donner tous les rendez-vous du groupe. Libéré en mai 1941, il devient rédacteur en chef du journal de Doriot. il sera exécuté par la Résistance en juin 1942). Dans le passage cité, André Tollet évoque George Dudal, jeune communiste de 17 ans, qui doit apporter des paquets de la « V.O. » qu’il a contribué à imprimer à Levallois.
Le rendez-vous avait lieu « …dans un atelier de rempailleur de chaises au fond d’un passage. Je devais en premier y voir notre cycliste, on appelait ainsi le camarade qui répartissait les « V.O. », bien qu’il utilisait parfois une voiture à bras. C’était un jeune gars de 17 ans, Georges Dudal, un petit gars sérieux, volontaire et ponctuel. L’heure du rendez-vous ce jour-là était passée largement et notre Jojo n’était pas là. Inquiétant n’est-ce pas ? J’aurais dû quitter les lieux, mais j’attendais encore Michels, Vonet et Poulmarch, impossible de les laisser. J’attendais donc, et dès leur arrivée je les fis déguerpir sans attendre pour nous retrouver un peu plus loin. Il était temps, la police arrivant presque sur nos talons. Les policiers avaient utilisé des gosses qui jouaient dans le passage pour les renseigner sous un quelconque prétexte. Cela ne faisait plus de doute, notre cycliste était arrêté, mais nous devions apprendre par la dactylo, qu’Adèle Mijoin et son mari responsable de l’ensemble et tireur à la ronéo étaient aussi tombés. Clément avait tout donné. Seul le dernier gros coup ne s’était pas fait, pour peu de temps hélas, car le 3 Michels, et Poulmarch étaient arrêtés, le 5 c’était Timbaud, le 16 c’était moi et le 18 Hénaff.
Quelle tuile, quel travail pour ceux qui restaient, car il eut en outre une soixantaine d’arrestations de responsables syndicaux et quelques dizaines d’autres militants ouvriers. J’eus forcément la preuve de la trahison de Clément, car c’est bien lui qui sous prétexte d’éviter une filature me conduisit à une station de métro où m’attendait la BS ! La brigade spéciale. Le métro arrive, je suis ceinturé, Clément fait un écart et monte dans le wagon sans être inquiété. J’avais les stencils de la « V.O. » qui avec tout cela, ne paraîtra pas cette fois. De tous les camarades arrêtés certains furent fusillés, d’autres évadés, certains comme Vonet arrêté une autre fois et fusillé. Quant à nos trois amis de l’appareil technique, c’est ainsi qu’on le nommait, ils ont été en prison 5 années. Adèle a accouché dans des conditions épouvantables à la Roquette. A Fresnes, je retrouvais André qui, ensuite, traîna de prisons en camps jusqu’à la déportation. Quant au jeune Dudal, il était au secteur des mineurs. Transféré aussi de camp en camp je le retrouvais à Compiègne, en attente de la déportation. Je m’évadais, mais il fut du convoi des 45.000 (les numéros matricules) d’Auschwitz. Partis le 6 juillet 42, ils étaient 1.170, 6 mois après un millier déjà étaient morts. 112 seulement connurent la Libération. Cinq années passées dans ces épouvantables conditions pour que vive notre « Vie Ouvrière », cela mérite le respect et notre affection.
Et dire qu’après de tels sacrifices, un tel courage des politiciens et des plumitifs chantent allègrement encore un chant funèbre pour porter le mouvement ouvrier en terre aux premières difficultés. Ils n’ont rien appris, rien compris. Hitler et Pétain n’ont pas eu la peau du mouvement ouvrier. Qu’espèrent ils donc d’autre ?
- Note 1 : André Tollet (1913-2001), militant CGTU, puis CGT, secrétaire du syndicat des tapissiers, secrétaire de l’Union régionale parisienne ; militant à la JC puis au Parti communiste ; résistant ; président du Comité parisien de Libération ; président du Musée national de la Résistance à Ivry-sur-Seine puis à Champigny-sur-Marne) (Seine, Val-de-Marne).
Lire également le témoignage de Georges Dudal sur son arrestation : Georges Dudal. Août 1940 : impression de la « V.O. ». A 18 ans, au mitard à Fresnes
En cas d’utilisation ou publication de ce témoignage, prière de citer : « Témoignage
publié dans le blog « Déportés politiques à Auschwitz : le convoi dit des 45.000 » https://deportes-politiques-auschwitz.fr. Adresse mail du blog : deportes.politiques.auschwitz@gmail.com