Claudette Bloch, docteur en biologie au CNRS, témoigne au procès Höss le 25 mars 1947. Elle a également témoigné au procès des 40 responsables du camp d’Auschwitz en décembre 1947 (voir en deuxième partie de cet article).
Claude (Claudette) Bloch, née Raphaël, est née le 29/05/1910 à Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine). Elle est la fille de Gaston Raphaël et Juliette née Caen. Elle est mariée à Pierre Bloch avec qui elle a un fils, Maurice. Elle habite 203, boulevard Malesherbes à Paris 17e. Pierre Bloch est déporté au camp d’Auschwitz par le premier convoi du 27/03/1942. Claude Bloch est arrêtée le 20/05/1942 alors qu’elle se rend au siège de la Gestapo avenue Foch pour demander des nouvelles de son époux déporté. Elle est internée à la prison des Tourelles et est transférée au camp de Drancy. Elle est déportée par le convoi n° 3 parti le 22/06/1942 de Drancy à destination du camp d’Auschwitz. Son numéro de matricule au camp d’Auschwitz est le 7963. Lors des évacuations, en janvier 1945 elle est transférée au camp de Ravensbrück lors des « marches de la mort » et y entre le 17/01/1945. Puis elle est transférée au camp de Malchow en mars 1945. C’est à Leipzig qu’elle est libérée, le 15/04/1945. Elle est rapatriée en France au centre de Longuyon le 18/05/1945. Après-guerre, elle se remarie avec un monsieur Kennedy et vit à Cambridge (Royaume-Uni).
Notice in Mémorial de la Shoah, Bloch Claude. Convoi n° 3.
Le treizième jour du procès, le 25 mars 1947
Président : Veuillez demander aux témoins français d’entrer : Claudette Bloch, Jakub Lewin, Jakub Klinger, Henri Gorgue, Simon Jutman).
Le Président : Nous rappelons aux témoins l’obligation de témoigner de la vérité, sous peine de responsabilité pénale en cas de faux témoignage. Le témoin Bloch Claudette restera dans la salle d’audience, le reste des témoins attendra dans la salle d’attente.
Le témoin s’est identifié comme : Claudette Bloch, 36 ans, docteur en biologie, veuve, non religieuse. Étranger aux parties.
Le Président : Quelles sont les demandes des parties concernant la procédure d’audition d’un témoin ?
Procureur Cyprien : Nous vous libérons du serment. Avocat Ostaszewski : Nous vous libérons du serment.
Le Président : Avec l’accord des parties, le Tribunal a décidé d’entendre le témoin sans prêter serment. Laissez le témoin nous dire dans quelles circonstances elle s’est retrouvée à Auschwitz et ce qu’elle peut dire de l’accusé Höß en général.
Témoin : Je suis arrivé à Auschwitz le 25 juin 1942. Nous étions 70 femmes. Les gardiens accompagnés de chiens nous ont accueillis et nous ont emmenés au camp d’Auschwitz. Là, nous avons été déshabillés et tondues. Le commandant du camp est venu personnellement car des Parisiennes arrivaient pour la première fois au camp d’Auschwitz. Nous rejoignons nos compagnes, pour la plupart slovaques ou polonaises. Mon numéro était le 7963. Mais seules cinq femmes sont restées dans le camp.
Nous étions soumis à la routine habituelle du camp, c’est-à-dire que nous devions rester debout pendant de longues heures à l’appel et le matin nous allions travailler. Pour cela, nous devions enlever nos chaussures, même si elles étaient les plus mauvaises, et nous rendre pieds nus au lieu de travail, où nous travaillions avec des houes et des pelles. Sous le soleil brûlant ou sous la pluie, cela n’avait pas d’importance. Seuls les coups de crosse de nos gardes et les gifles de nos gardiens, qui étaient généralement des prostituées, interrompaient ce travail épuisant. Nos forces nous quittaient peu à peu. Heureusement, j’ai rejoint un commando moins lourd et ainsi, tout en gardant le contact avec mes compagnes, j’ai pu observer plus objectivement ce qui se passait dans le camp.
Déjà à Auschwitz en juillet 1942, des convois de femmes quittaient l’infirmerie deux fois par semaine pour se rendre à la chambre à gaz. Un jour, nous avons reçu la visite de Himmler qui, avec Höß, a supervisé l’inspection du camp. A cette occasion, Höß a prévu diverses animations pour célébrer la visite de Himmler. Ainsi, 27 femmes nues, dont une Française que je connaissais, attendaient la visite de Himmler au cas où il voudrait qu’elles soient battues devant lui. Nous savions que des pendaisons avaient eu lieu. Durant toute la journée, les Kommandos qui restaient habituellement dans le camp ont dû rester debout. Les Kommandos partis au travail, à leur retour au camp, prirent place parmi leurs camarades. Nous ne savions pas tout de suite ce que signifiait cette visite, mais quelques jours plus tard, sur ordre de Höß, à notre retour du travail, nous nous rendîmes à Brzezinka (Birkenau).
Là, un grand nombre de femmes juives étaient rassemblées dans des pièces ressemblant à une porcherie. Grâce au Kommando dans lequel je travaillais, j’ai eu le privilège de partager le sort des femmes aryennes. Nous vivions dans des baraquements en bois que nous devions aménager nous-mêmes. Il n’y avait absolument pas d’eau à Birkenau. Il y avait des jours où il faisait très chaud et la soif épuisait les femmes. Comme il était impossible de se laver, des épidémies extraordinaires se développèrent rapidement, le typhus se propagea à un rythme alarmant et les poux se multiplièrent. Il n’y avait pas d’infirmerie pour les femmes juives, elles devaient donc aller travailler quel que soit leur état de santé. Sur les routes, nous avons vu des femmes aux yeux écarquillés qui n’arrivaient pas à suivre le Kommando en marche. Les « sélections » commencèrent également alors.
Le premier dimanche après notre arrivée à Birkenau, on nous a ordonné de quitter le camp et, à notre grande surprise, des malades ou des femmes présentant un léger gonflement des jambes ont été prises à l’écart. Cet appel a duré presque toute la journée. Après leur retour à l’appel, les femmes qui avaient été séparées de nous ne sont pas retournées aux blocks, mais ont été rassemblées dans le bloc 25. J’ai oublié de mentionner que pendant que nous étions à l’appel, Höß est passé à cheval. Ce bloc 25 était l’inauguration de la salle de la mort. Les femmes rassemblées là-bas n’ont reçu ni nourriture ni rien à boire, attendant que d’autres femmes se rassemblent pour pouvoir toutes être emmenées ensemble dans les chambres à gaz.
A partir de ce jour, les sélections s’effectuent dans des conditions diverses, à l’entrée et à la sortie du camp, lorsque le Kommando se rend au travail ou en revient. Il y avait là des surveillants, accompagnés de plusieurs SS, et parfois Höß était présent. Alors que nous franchissions la porte, des surveillantes armées de cannes ou de bâtons nous ont frappées, faisant trébucher et tomber les femmes. Après les 1er et 2 octobre 1942, il ne restait plus que 2 700 femmes en vie dans le camp.
Après notre arrivée à Brzezinka, les sélections ont commencé dès l’arrivée des trains. En raison du rythme rapide auquel se déroulaient les sélections, mes compagnons, qui se trouvaient dans une situation moins favorable que moi, disparurent rapidement du monde. Bientôt, nous n’étions plus que 70, puis 7.
Un mois plus tard, nous n’étions plus que trois. Je restai presque la seule Française dans le camp, malgré les nouveaux transports qui arrivaient pour nous à un rythme rapide.
L’arrivée des « 31 000 »
En février 1943, 350 Françaises, arrêtées uniquement en raison de leurs convictions patriotiques, arrivent à Birkenau en chantant « La Marseillaise ». Elles étaient pleines de courage, habituées au combat, bien organisées, les plus fortes soutenant les plus faibles. Cependant, sur ces 350 femmes, seules 36 ont survécu. Elles partageaient le sort des autres. La fille du professeur Langevin travaillait toute la journée dans le marais. Marie Politzer est morte du typhus, qu’elle contracte alors qu’elle s’occupe de ses compagnes. Le même sort est arrivé à Danielle Casanova, la grande Française.
Il était impossible de vivre dans ce camp pendant tout le temps où Höß y était commandant, à moins d’être extrêmement chanceuse, comme moi. Dans ce cas-ci, il ne s’agissait pas seulement du diplôme. Je connais beaucoup de mes camarades qui avaient des diplômes comme le mien, mais ils n’ont pas eu la chance que les SS en aient besoin ce jour-là, alors qu’elles étaient à bout de forces.
D’autres méthodes utilisées en termes de destruction étaient : les chambres à gaz, l’épuisement, la fatigue et la famine. Mais mon horreur a atteint son paroxysme le jour où j’ai vu des nouveau-nés se noyer dans une cuve à lessive. Je me souviendrai toujours des petites mains agrippant le bord du récipient.
J’ai l’impression d’en avoir dit assez pour expliquer que malgré la plus grande force morale des prisonniers, il était impossible de vivre à Birkenau.
Président : Le témoin a mentionné qu’elle avait vu Höß. A-t-elle vu Höß en action ?
Témoin : Non. Höß est arrivé à cheval et n’a eu aucun contact direct avec nous. Il se contentait de donner des ordres et de vérifier que ces ordres étaient bien exécutés.
Président : Y a-t-il des questions pour le témoin ?
Procureur Cyprien : Le témoin a mentionné qu’elle avait vu la visite d’Himmler.
Témoin : Oui.
Procureur Cyprien : Himmler était-il également à Birkenau ?
Témoin : A cette époque, le camp de femmes de Birkenau n’existait pas encore. Elle fut fondée uniquement selon un plan que Himmler étudia à l’occasion de cette visite.
Procureur Cyprien : Le témoin a-t-il vu Himmler de près ?
Témoin : Oui. Il a parcouru les rangs accompagné de Höß.
Procureur Cyprien : Les prisonniers les plus faibles ont-ils ensuite été cachés pour que Himmler ne puisse pas les voir ?
Témoin : Non. Il a également visité les infirmeries.
Procureur Cyprien : Je n’ai plus de questions.
Me Ostaszewski : Le témoin a parlé de la visite de Himmler, mentionnée par le procureur. Quel était le but d’exposer des femmes nues devant Himmler ? Y a-t-il eu une sélection alors ?
Témoin : Non. Ces 25 femmes nues n’étaient accessibles à l’imagination de Himmler qu’à l’occasion de sa visite.
Avocat Ostaszewski : Quant aux enfants qui se sont noyés, le témoin a-t-il vu des enfants se noyer ?
Témoin : Oui, monsieur. Une fois.
Me Ostaszewski : Pour quelle raison et à quelle occasion ?
Témoin : Parce que les femmes enceintes n’étaient pas sélectionnées à l’époque. Ils sont morts dans le camp et ils ne savaient pas quoi faire des nouveau-nés.
Maître Ostaszewski : Quel était le but de noyer ces enfants ? Est-ce que cela sauve les mères ?
Témoin : Uniquement parce qu’ils ne savaient pas quoi en faire.
Avocat Umbreit : Le témoin sait-il qu’il y avait plusieurs commandants dans le camp ?
Témoin : Oui.
Avocat Umbreit : Le témoin fait-il la distinction entre Lagerskommandanta, Schutzhaftlagerkommandanta et Vernichutngslagerkommandanta ?
Témoin : En 1942, Höß était le patron de tout le monde.
Avocat Umreit : Le témoin était-il présent au spectacle de femmes nues ? Pourquoi le témoin dit-il que c’était sur ordre de Höß ? N’étaient-ce pas là les ordres du Vernichtungskommandant Moll, connu pour ses atrocités ?
Témoin : Je ne sais pas qui l’a commandé. Mais je sais que tous les ordres venaient d’en haut.
Président : Il n’y a plus de questions. Le témoin est libre.
In site web de l’Institut Pilecki, créé en 2017 sous l’égide du gouvernement nationaliste polonais.
CLAUDETTE BLOCH
Dix-septième jour du procès, 12 décembre 1947, témoignage de Claudette Bloch au procès des 40 responsables du camp d’Auschwitz
Juge président : témoin suivant Bloch. Je demande au témoin de fournir ses coordonnées personnelles. Claudette Bloch, 37 ans, docteur ès sciences, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique, laïque, d’origine israélite.
Juge Président : Je rappelle au témoin son obligation de dire la vérité en raison des conséquences d’un faux témoignage. Les parties soumettent-elles des demandes concernant la procédure d’audition d’un témoin ?
Procureur et avocat de la défense : Nous libérons le témoin de son serment.
Président : Le témoin témoignera sans prêter serment. Laissez le témoin présenter ce qu’il sait de l’affaire, et en particulier des différents accusés ici.
Témoin : Je suis arrivé à Oświęcim le 25 juin 1942 (convoi n° 4).
Après notre arrivée à la gare, nous avons été reçus par des hommes armés, des chiens et des femmes – si vous pouvez les appeler femmes, car comment pouvez-vous imaginer que ces créatures criaient, frappaient nous, nous dépouillant de nos affaires personnelles, avaient le droit d’être appelées femmes dès notre arrivée. Dès que nous avons été privés de tous les liens matériels qui nous liaient à la vie, nous leur avons été livrés nues, tondues et assommées. Le Tribunal connaît déjà notre vie là-bas et comprendra donc que je ne peux pas reconnaître tous les visages de ces bêtes. Cependant, deux visages sont restés clairement dans ma mémoire : l’Aufseher Drechsler [Drechsel] et l’Aufseher Brandel [Brandl].
Je vois encore clairement Brandl marcher avec son nerf de bœuf à la main, tirant dessus comme le font les charretiers pour aiguillonner le cheval. Le premier jour de mon séjour à Auschwitz, une amie m’a prévenu en s’enfuyant à l’approche de Brandl : « Ne reste pas ici, c’est une spécialiste des coups ». Parce que je n’ai pas compris et que je suis resté là, Brandl est venu et m’a frappé les jambes et le visage. Ensuite, j’ai souvent eu l’occasion de la voir battre ainsi d’autres prisonnières.
Quelques semaines après notre arrivée, comme je l’ai expliqué au procès de Varsovie, j’ai été transféré à Birkenau. A peine avais-je franchi le seuil que j’ai rencontré Maria Mandel [Mandl].Une Polonaise venue de Ravensbrück la connaissait déjà ; elle a déclaré : « Si Mandl est un Oberaufseher, cela signifie qu’ils veulent créer ici un camp encore pire qu’à Auschwitz. » Je ne souhaite pas présenter les sélections auxquelles j’ai pu assister, mais je peux confirmer que Mandl a toujours été présente lors de toutes ces sélections.
Mais les atrocités de Mandl n’étaient pas seulement générales ou impersonnelles : elles se manifestaient individuellement à chaque instant. Lorsque Mandl s’est montrée, la peur s’est répandue. Je sais – et ce n’était pas rare que je l’ai vu – qu’elle arrêtait sa voiture devant une prisonnière qui travaillait pour la percuter, [puis] remontait dans la voiture et continuait à conduire.
En juin 1943, grâce à notre travail en laboratoire, nous fûmes placés dans un petit camp, où les conditions étaient plus faciles qu’à Birkenau. Mandl ne pouvait en aucun cas supporter cela. Elle venait donc souvent faire des inspections, au cours desquelles elle nous faisait rester debout pendant de longues heures et battait toutes celles qui se mettaient en travers de son chemin. Le jour où elle a été la plus brutale, c’est lorsqu’elle a décidé que notre salle à manger n’était pas assez propre. Nous étions toutes au garde-à-vous, et elle est entrée en trombe, frappant avec ses mains une vieille femme, une Polonaise, chargée de la propreté. Cette jeune femme blonde qui giflait et poussait cette vieille dame digne était un phénomène qui ne sera jamais oublié.
Durant les deux derniers mois de notre séjour à Rajsko, nous étions gardées par une aufseher blonde, dont j’ai oublié le nom, mais qui était souvent aidée par son amie Orlowska [Orlowski]. Elle était employée à Budy, mais elle avait souvent l’occasion de remplacer son amie. Elle m’a fait rester à l’appel pendant de longues heures sans que ce soit nécessaire. Comme nous étions environ 400 prisonnières, il y a eu une pluie de coups au visage dans toutes les directions.
Je me souviens de mon amie Ksenia. Un jour, elle a essayé de réchauffer sa soupe sur le réchaud du camp. Orlowski a jeté le bol par la fenêtre et a frappé Ksenia à grands coups. Parce qu’un jour j’ai « rangé » ma culotte, j’ai été condamné à huit jours de bunker du 21 au 29 mai 1943.
A cette époque, le bunker était directement sous le commandement d’Aumeier. J’ai été placée dans une prison ordinaire, c’est-à-dire dans une cellule sombre. Tous les trois jours, je recevais un litre de soupe, les autres jours, il y avait un morceau de pain et une boisson sale (à base de plantes). Pendant la journée, les détenues entassées dans ce bunker pouvaient converser soit à l’intérieur de leur cellule, soit d’une cellule à l’autre à travers une cloison. C’est ainsi que nous avons appris qu’il existe trois types de bunkers : complètement sombres, debout et ordinaires. Les prisonniers condamnés à une cellule debout devaient se tenir debout dans une cellule si petite qu’ils ne pouvaient ni s’asseoir ni s’allonger, et ne recevaient que du pain et de l’eau. Cela prenait parfois 15 jours.
Aumeier lui-même est venu inspecter cette prison. Je me souviens de sa voix rauque, envahissant les murs de la prison et criant des ordres. Ces ordres généraux étaient des [annonces] d’exécutions qui devaient avoir lieu le lendemain.
Mes compagnes de cellule m’ont dit que deux jours avant mon arrivée, les prisonnières avaient reçu l’ordre de se rendre aux bains publics. Alors qu’elles s’y rendaient, des tirs leur ont été tirés par derrière. Des taches de sang étaient encore visibles le lendemain. A cette époque, les exécutions avaient lieu près du mur du bloc 11.
Claudette Bloch témoigne ensuite sur son transfert aux camps de Ravensbrück puis Malchow et Leipzig (…).
In site web de l’Institut Pilecki, créé en 2017 sous l’égide du gouvernement nationaliste polonais.