Jacques Lewin est né le 13/02/1904 à Varsovie (Pologne). Il est le fils d’Icek Lewin et Golda née Spekulant. Naturalisé français en 1936, il est médecin et demeure au 4, rue Emile Duclaux à Paris 15e. Il est marié et a un enfant. Il est arrêté lors de la rafle dite « des notables » le 12/12/1941 et conduit au camp de Royalieu à Compiègne (Oise) où il est interné. Il est déporté par le premier convoi parti des camps de Drancy (Seine-Saint-Denis) et Compiègne le 27/03/1942 à destination du camp d’Auschwitz-Birkenau.
A Auschwitz, son numéro de matricule est le "28 476". En janvier 1945, il est évacué lors des « marches de la mort » vers le camp de Mauthausen (Autriche) où il arrive le 20 janvier 1945. Il y reçoit le matricule "120 021". Il est ensuite transféré au camp d’Ebensee où il est libéré par l’armée américaine le 5 mai 1945. Il est rapatrié par Hayange, le 24 mai 1945.
Notice biographique in © Mémorial de la Shoah / Coll. Claude Romney et fiche in site Monument III Mauthausen.
Traduit du polonais
Jour 13 du procès, 25 mars 1947.
Le témoin a fourni les informations suivantes sur lui-même : Jakub Lewin, 43 ans, médecin assistant à la Faculté de médecine de l’Université de Paris, marié, un enfant, non croyant, sans lien de parenté avec les parties.
Président : Quelles sont les motions des parties quant à la manière d’interroger le témoin ?
Procureur Cyprien : Nous déchargeons le témoin de son serment.
Défenseur Ostaszewski : Nous déchargeons le témoin de son serment.
Président : D’un commun accord entre les parties, le Tribunal a décidé d’interroger le témoin sans prêter serment.
Pourriez-vous dire au Tribunal dans quelles circonstances vous êtes arrivé à Auschwitz et ce que vous savez de l’affaire concernant l’accusé Höß.
Témoin : J’ai été arrêté à Paris le 11 décembre 1941 et transféré au camp d’Auschwitz le 27 mars 1942 (le convoi n°1). Avant cela, j’ai passé trois mois dans un camp à Compiègne, en France.
Une fois arrivés à Auschwitz, notre transport fut immédiatement reçu avec des coups de fouet de la part des nombreux SS qui nous attendaient à la gare ; et je peux affirmer avec certitude qu’à partir de ce moment-là, nous avons été battus continuellement. C’est pourquoi, en arrivant au camp, nous avons immédiatement compris qu’il s’agissait d’un camp où tout le monde était systématiquement détruit. C’était le système de conduite en vigueur à Auschwitz à l’époque.
Le travail que les prisonniers devaient accomplir dépasse les forces des ouvriers. Par exemple, le jour de mon arrivée ou le lendemain, j’ai été envoyé à un travail consistant à porter des planches. Nous étions deux pour faire le travail. Nous avons commencé par porter une planche, à notre retour, on nous a donné deux planches, puis trois et quatre, et nous avons continué ainsi jusqu’à nous effondrer.
À ce moment-là, ils ont commencé à nous frapper, et une fois que nous étions allongés par terre, ils nous ont laissés comme ça, sans faire attention à nous.
Je dois souligner que tous nos superviseurs étaient des criminels avec des triangles verts. Il en va de même pour les chefs de block, ainsi que pour nos gardes et kapos [prisonniers chargés de surveiller d’autres prisonniers], appelés Aufseherami ou brigadiers.
Ensuite, outre le travail qui dépassait constamment les forces de l’ouvrier, la nourriture était totalement insuffisante. Il s’agissait d’un cinquième d’une miche de pain de camp, d’une infime quantité de margarine, 5 à 10 grammes par jour, d’une cuillère à café de marmelade ou d’une très fine tranche de saucisse de 5 millimètres. En dehors de cela, nos vêtements étaient également insuffisants. Durant l’hiver 1942, c’était en mars, on nous donna des vêtements de prisonniers de guerre soviétiques, qui étaient encore 300 à notre arrivée, sur 13 000, comme on nous l’avait dit. Il n’y avait pas d’hôpital dans le camp. L’hygiène était totalement insuffisante, il n’y avait pas d’eau pour boire ou se laver. Durant les six premières semaines de mon séjour au camp, je ne me suis jamais lavé ni déshabillé. Il n’est donc pas surprenant que les gens tombaient très facilement malades dans ces conditions et, comme il n’y avait pas d’hôpital, les soignants se contentaient de les tuer. C’est ce que j’ai pu constater de mes propres yeux, après avoir passé une journée dans le block. J’ai alors vu comment, après l’assemblée, alors que tous les prisonniers étaient partis travailler, le Blockführer et ses assistants parcouraient le bloc, emmenant les gens qui étaient restés sur place, les massacraient et les tuaient à coups de bâton. De cette façon, nous avions toujours une trentaine de morts, par bloc de 600, après le rassemblement. Plus tard, après ma libération, j’ai trouvé un document caché à Cracovie contenant une liste des défunts et la date de notre transport du 25 mars 1942. Ce transport comprenait plus ou moins 1 100 personnes, dont 90 % étaient des personnes de moins de 50 ans, donc relativement jeunes, et puisqu’ils ont passé l’examen médical, il faut supposer qu’il s’agissait d’un transport de personnes dans la fleur de l’âge, en bonne santé. Maintenant, je veux montrer comment ces gens sont morts. Dès le premier mois, c’est-à-dire en avril, 614 d’entre eux étaient déjà morts. Sur les 500 survivants, 246 sont morts en mai, et parmi ceux qui sont restés, plus ou moins la moitié, 143, en juin. En juillet, 62 personnes sont décédées, ce qui représente également plus ou moins la moitié du nombre enregistré au début du mois.
Il est donc clair que ces assassinats ont été menés de manière très systématique. Il est difficile de décrire tous ces systèmes, si nombreux, qui tuent les gens et leur infligent des souffrances. Décrire les souffrances infligées à ces personnes est une impossibilité, pour utiliser un langage familier. Tout cela se passait à l’époque où Höß était commandant du camp. Il n’est pas possible que toutes les cruautés élaborées aient été ordonnées par les autorités supérieures. Tous ces massacres furent organisés en détail par le commandant Höß ou ses subordonnés. C’est tout.
Président : Êtes-vous médecin ?
Témoin : Oui, je le suis.
Président : Pouvez-vous nous parler des expériences et de la stérilisation ?
Témoin : J’y étais médecin depuis 1943. Comme je l’ai dit, au début il n’y avait pas d’hôpital et les malades étaient simplement tués. Les expériences ont été initiées dans le bloc 10. J’ai pu confirmer ici ce que de nombreux témoins ont déjà dit, à savoir qu’il y avait de nombreux cas de stérilisation de femmes et d’hommes, et qu’on effectuait des bioceptions, c’est-à-dire que certains fragments étaient prélevés dans des organes, notamment de l’utérus. En dehors de cela, des injections de substances plus ou moins toxiques étaient administrées. J’ai vu de mes propres yeux des expériences d’injections de phénol dans le cœur, effectuées sur des femmes, des hommes et des enfants qui devaient être tués. J’ai vu de nombreux crimes difficiles à décrire car cela prendrait trop de temps. J’ai vu des centaines de personnes exécutées par des pelotons d’exécution, j’ai vu des pendaisons de femmes et d’hommes, de prisonniers et de civils, qui surgissaient de nulle part, j’ai vu des mères avec leurs enfants se faire tuer, j’ai vu des prisonniers de guerre soviétiques massacrés d’une manière terrible, leurs des poignets, des bras, des crânes, des têtes brisés et brisés ; J’ai vu énormément de crimes, c’est difficile de tout décrire.
Défenseur Umbreit : Dans votre témoignage, parlant de toutes les cruautés et barbaries qui ont eu lieu à Auschwitz, vous avez dit qu’elles étaient toutes inspirées par Höß ou ses subordonnés. Comment le témoin expliquerait-il le fait que ces cruautés se soient répétées de manière apparemment standardisée dans tous les camps de concentration ?
Témoin : Je ne peux pas expliquer cela, mais je soupçonne qu’il devait y avoir une école qui entraînait les SS à tuer un grand nombre de personnes.
Défenseur Umbreit : Cela aurait donc été un ensemble de règles bien pensées, imposées d’en haut ?
Témoin : Je soupçonne qu’il n’y avait pas de règles, mais que le but du camp était de tuer des gens, parce que nous étions hors la loi, à la merci de tout SS qui n’était obligé de signaler à personne ce qu’il faisait.
Président : Le témoin est libre de partir….
Traduit du polonais à partir d'une publication du site web de l’Institut Pilecki, créé en 2017 sous l’égide du gouvernement nationaliste polonais. Photo : Cote : MXII_42034 ; Source : Mémorial de la Shoah / Coll. Claude Romney et Fiche Monument III Mauthausen
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