Simon Gutman (convoi n° 1 parti de France) témoigne au procès de Rudolf Höss

Simon (Szmul) Gutman est né le 20/07/1923 à Varsovie (Pologne). Il est le fils de David Gutman et Cyma né Rosman. En 1929, toute la famille émigre à Paris. Simon Gutman est tailleur. Il habite au 24, rue Vilain à Paris avec ses parents, et ses six frères et sœurs. Il est arrêté au cours d’une rafle par la police française, le 17/10/1941 et interné au camp de Drancy. Il est déporté par le premier convoi parti des camps de Drancy et Compiègne le 27/03/1942 à destination d’Auschwitz. Il y travaille aux cuisines. Toute sa famille est également déportée dans le courant de l’année 1942 Il travaille aux cuisines. Simon retrouve son père à Auschwitz, et parvient à le protéger. En octobre 1944, il est transféré au camp du Stutthof, puis au camp annexe de Schömberg. Il est libéré lors des évacuations à pied, en avril 1945 et rapatrié en France le 28/04/1945. De toute sa famille, seul son père et lui ont survécu à la déportation. Simon Gutman est décédé le 05/10/2020 à Paris (notice et photo © Mémorial de la Shoah).

SIMON GUTMAN, Jour 13 du procès, 25 mars 1947.
Le témoin a fourni les informations suivantes sur lui-même : Simon Gutman, 23 ans, tailleur, célibataire, non croyant, sans lien de parenté avec les parties.

Le Président : Quelles sont les motions des parties quant au mode d’interrogation du témoin ?
Procureur Cyprien : Nous déchargeons le témoin de son serment.
Défenseur Umbreit : Nous déchargeons le témoin de son serment.
Président : D’un commun accord entre les parties, le Tribunal a décidé d’interroger le témoin sans prêter serment. Pourriez-vous décrire dans quelles circonstances vous vous êtes retrouvé à Auschwitz et que pouvez-vous dire de cette affaire ?

Témoin : J’ai été envoyé de France au camp d’Auschwitz le 27 mars 1942. Le camp était dans un endroit marécageux, sans blocs, sans eau et sans hygiène. Mon transport était composé de 1139 personnes, jeunes et en bonne santé. Au bout d’un mois, seule la moitié restait en vie. À l’époque, la manière d’anéantir les gens était très astucieuse. Parce qu’à l’époque il n’y avait pas encore de chambres à gaz, on disait aux gens de se déshabiller près d’un petit « feu » et ils mouraient dans le froid.
Au réveil le matin, nous voyions nos compagnons gisant morts sur le sol. Un seul de mes compagnons a réussi à s’échapper. C’était Maurice Arbizère. Profitant de l’inattention du gardien, il a réussi à regagner le bloc et à venir vers moi dans ma loge – l’endroit où je dormais. Il m’a dit que tout ce qu’il avait vu lui avait donné envie de se suicider.
Parce qu’il n’y avait pas de chambres à gaz à l’époque, il existait encore un autre moyen très pratique de détruire des gens. Cette méthode consistait à administrer une certaine dose de phénol au niveau du cœur à des personnes ayant de la fièvre. Je pourrais énumérer ici un certain nombre de cas.
En juin 1942, j’ai attrapé le typhus. Contre mon gré, j’ai été transporté jusqu’au fameux bloc 7. Je dois vous expliquer ici ce que signifie le fameux block 7. C’était un block isolé. Une fois entré, vous n’en ressortiez plus. Qu’on y ait vécu ou qu’on y soit mort, tout le monde a finalement été envoyé à Birkenau et gazé.
Dans ce block, je participais aux « sélections » effectuées par l’accusé Höß. Les « sélections » avaient lieu trois fois par semaine dans ce bloc. Durant mon séjour dans ce block, qui a duré six semaines, j’ai eu beaucoup de compagnons que, le lendemain, je ne revoyais plus. Parmi eux, je me souviens de quelques personnalités françaises : Maitre Crémieux, de la cour d’appel de Paris ; Maitre Pierre Masse (1) ; Paul Léon, professeur de droit à Paris ; René Blum, le frère de Léon Blum (2) ; Muller.
Je voudrais également souligner ici qu’en 1942, Höß a ordonné l’assassinat du soi-disant Sonderkommando. Je ne sais pas si je dois expliquer ce que signifie Sonderkommando ? C’était un groupe de personnes qui brûlaient ceux qui avaient été gazés.
Il y avait 700 à 750 personnes dans le Sonderkommando. Höß lui-même était présent à l’exécution d’un de ces groupes, avec tout un entourage de SS. Les gens du Sonderkommando furent emmenés dans la première section du camp d’Auschwitz.
En hiver, c’était en novembre et décembre, tous ces gens devaient se déshabiller, soi-disant pour subir des douches à jets. Cette petite comédie avait lieu tous les soirs après le montage. Cela se produisait uniquement pour détruire des gens qui n’étaient pas de la race choisie.

Je voudrais également parler au Tribunal du fameux Noël de 1942, qui signifiait ici une destruction massive de la race humaine. 350 à 400 personnes sont mortes de cette façon cette nuit-là. Après le gong du matin, l’ordre fut donné à tout le monde de se rassembler. Les gens ont reçu l’ordre de retourner leurs vestes. Tout au long du trajet que devaient emprunter ces gens, des SS et des kapos étaient placés pour les tuer. Un orchestre jouait et cela s’est déroulé près d’un arbre de Noël.

Des expériences ont également été menées sur un certain nombre de nos compagnons, concernant la stérilisation et la castration.
À l’époque où le camp restait sous le commandement de l’accusé Rudolf Höß, la vie – si l’on peut appeler cela une vie – était insupportable. Il était le boucher du camp d’Auschwitz et il est responsable de tout.
En conséquence, il ordonna la destruction de millions d’êtres humains. A titre d’exemple, en France, sur 150 000 prisonniers envoyés à Auschwitz, seuls 2 600 ont survécu.
Président : Y a-t-il des questions pour le témoin ? Procureur Cyprien : Non.
Défenseur Umbreit : Avez-vous vous-même été témoin des atrocités que l’accusé aurait commises ?
Témoin : Non.
Président : J’ordonne une courte pause.

In © site web de l’Institut Pilecki, créé en 2017 sous l’égide du gouvernement nationaliste polonais.

Note 1 : Pierre Masse, avocat, sénateur, secrétaire d’état.
Note 2 : René Blum, frère cadet de Léon Blum, journaliste, critique d’art, directeur artistique.

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