Matricule « 42 447 » à Auschwitz


Dans ce site consacré aux déportés du convoi du 6 juillet 1942, nous avons choisi dans la plupart des notices biographiques d’illustrer la mort des « 45 000 » à Auschwitz avec ce dessin très symbolique de Franz Reisz : un visage décharné souligné du mot Auschwitz, qui a illustré la « une » du livre « Témoignage sur Auschwitz ».
Pour rendre hommage à cet artiste déporté à Auschwitz, nous avons reproduit, en les fondant, les trois notices biographiques succinctes concernant Franz Reisz, publiées par l’AFMD, le Musée d’Auschwitz-Birkenau et le United States Holocaust Muséum, et nous avons procédé à un certain nombre de recherches complémentaires (illustrations de 1936, la rue Lamarck à Paris, les dessins au camp de Meslay-du-Maine et de Pithiviers, le musée de la Résistance autrichienne, la collection de Lili Reisz in United States Holocaust Muséum, publication aux USA en 1949, fiches de Franz Reisz à Mauthausen au centre international d’Arolsen, etc…)
Franz Reisz : né en 1909 à Vienne (Autriche). Graphiste, émigré en France en 1939. Arrêté par la police française à Paris en septembre 1939. Interné au camp de Meslay-du-Maine, puis à celui de Pithiviers en mai 1941. Déporté à Auschwitz par le convoi n°4. Reconnu comme artiste, il est affecté dans un bureau au camp. Transféré à Mauthausen en janvier 1945. Libéré à Ebensee en mai 1945. Il rejoint son épouse Lili à New-York. Il y décède en mars 1984.
Franz Reisz est né le 3 avril 1909 à Vienne, fils de Anna et Hermann Reisz. Il a une sœur, Elise.

Il travaille comme graphiste à Vienne. En 1936, il illustre le livre de Miriam Singer, pionnière du mouvement kiboutzique : « Benni s’envole vers la Terre promise. Un livre pour enfants juifs ». Vienne Ed. Löwit.
Peu après l’“Anschluss” (mars 1938, annexion de l’Autriche au Reich allemand), il épouse à Vienne, le 31 mai 1938, Lili Safir, née le 25 juillet 1911.
Le couple reste en Autriche jusqu’en juin 1939, date à laquelle ils décident d’émigrer en France.
Arrivés à Paris, Franz Reisz y travaille comme artiste peintre et vit avec Lili au 16, rue Lamarck à Paris 18e, à l’époque un asile de nuit. Cette adresse abrite aujourd’hui la Crèche israélite de Paris.

En septembre 1939, Frank Reisz est arrêté par la police française et détenu dans le camp d’internement français des Rochères à Meslay-du-Maine en Mayenne (source United States Holocaust Muséum, à partir des notes de Lili Reisz).
Les 18 et 19 septembre 1939, 1943 ressortissants allemands et autrichiens, «antinazis convaincus », sont internés à Meslay-du-Maine, considérés comme « ennemis » potentiels. Ils ont été arrêtés en région parisienne, et sont transférés au camp des Rochères après un passage par le centre de rassemblement de Colombes (au stade Yves Du Manoir).
Entre 1939 et 1940, ce camp français a connu l’internement d’Allemands, Sarrois et Autrichiens. Il s’agit d’intellectuels, d’artistes, d’hommes d’affaires, de Juifs, de résistants au régime nazi (surtout des hommes), provenant de la région parisienne, arrêtés uniquement en raison de leur nationalité.
Franz Reisz affecté à un des deux « bataillons » d’Autrichiens, y côtoie vraisemblablement Hans Hartung, peintre, né à Leipzig, Raph Erwing, compositeur autrichien, Helmut Nimeyer, peintre et violoniste allemand.
Son épouse, Lilli réussit a émigrer de France aux États-Unis sur le navire « Champlain », qui arrive à New-York le 27 mai 1940, pour son dernier voyage aux USA (il est torpillé par un sous-marin allemand un mois après).
En juin 1940, à l’arrivée des troupes allemandes en région parisienne, le camp de Meslay-du-Maine est évacué : certains des détenus sont libérés, d’autres sont transférés au camp de Damigny (Orne), en particulier les Juifs, d’autres à Albi (Tarn) ou à Brassens (Gironde), d’autres sont livrés à l’occupant.
On ignore quel est le sort de Franz Reisz. Il est peut-être libéré (car selon la la notice de l’AFMD, il est arrêté à Paris en juillet 1941), mais on ne trouve pas trace de cette libération dans la notice biographique accompagnant les papiers de famille de Lili Reisz, légués au « United States Holocaust Muséum », et de plus cette notice indique un internement au camp de Pithiviers dès le 14 mai 1941.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A la suite de la première ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs est établi dans chaque préfecture et un premier « Statut des Juifs » est édicté le 3 octobre 1940 par gouvernement de Vichy. Il est beaucoup plus draconien que l’ordonnance allemande (pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race). Les Juifs de nationalité française perdent, par ce décret du gouvernement de Vichy, leur statut de citoyens à part entière : à partir du 3 octobre 1940, la police française fait appliquer les ordonnances allemandes concernant l’obligation pour les Juifs de zone occupée d’avoir une carte d’identité portant la mention « Juif » : ils doivent se faire recenser dans les commissariats proches de leur domicile.
En mai 1941, des milliers de Juifs étrangers de sexe masculin résidant à Paris sont convoqués par la police française pour être aussitôt arrêtés (rafle dite “du billet vert”) et dirigés vers les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Loiret).

Franz Reisz est transféré d’un autre lieu d’internement au camp français de Pithiviers, le 14 mai 1941 (selon la courte notice du United States Holocaust Muséum), soit il arrêté à nouveau en juillet 1941 (selon la notice succincte de l’AFMD).
Au camp de Pithiviers, Franz Reisz fait de nombreux dessins de femmes, d’hommes et d’enfants internés avec lui, comme celui de Régine Kelter et de Dora et Jacqueline Jedynak reproduits ci-contre et ci dessous.
Régine Kelter, née Tarnegul est l’épouse d’Ignace Kelter, arrêté lors de la Rafle dite du « Vel d’Hiv ». Il est interné au camp de Pithiviers en même temps que Franz Reisz. Ignace est déporté par le convoi N°4 parti du camp de Pithiviers le 25/06/1942 à destination du camp d’Auschwitz-Birkenau, où il meurt. Régine a survécu à la guerre.

Dora et Jacqueline Jedynak sont les filles de Mordko Jeddynak, un cordonnier polonais, engagé volontaire en 1939. Son épouse Ruchla est déportée par le convoi n° 31, et lui-même par le convoi n°5. Sa fille Dora Bayart née Jedynak, enfant cachée en France, a fait un témoignage filmé en 2003 (Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv).
Franz Reisz est déporté par le « convoi n°4 », parti le 25 juin 1942 du camp de Pithiviers à destination du camp d’Auschwitz.
Les 1000 déportés de ce convoi du RSHA vont être immatriculés entre les numéros « 41 773 » et « 42 772 ».
Le 27 juin 1942, à son arrivée à Auschwitz, Franz Reisz reçoit le matricule « 42 447 ».
Il indique comme profession Zeichner (dessinateur). Il est affecté dans un bureau de l’administration du camp.
» À Auschwitz, Franz travaillait dans un bureau. Ses lettres d’après-guerre font allusion à ses efforts pour sauver des enfants de la sélection en les cachant près de son bureau. Reconnu comme artiste, Franz était sollicité par des soldats nazis pour réaliser des dessins. Il dessinait également les détenus des camps de concentration » (United States Holocaust Muséum) .

Franz Reisz est transféré le 21 janvier 1945, au camp de Mauthausen, où il reçoit le matricule « 117 209 » avec la mention « sans affectation ».
Il est finalement affecté au camp annexe d’Ebensee, au pied des alpes autrichiennes. Les nazis utilisaient les détenus d’Ebensee comme travailleurs forcés pour la construction d’une fabrique souterraine de fusées.

On sait grâce aux fiches conservées au Centre international d’Arolsen, qu’il a indiqué à son arrivée « dessinateur » comme profession, qu’il mesure 1 m 64, a les yeux bleus, les cheveux blonds et qu’il parle allemand et français.
Quoiqu’autrichien de naissance, il est considéré comme « apatride juif », de confession juive.
Franz Reisz est libéré par l’armée américaine au camp annexe d’Ebensee, en mai 1945.
Son épouse, Lilli avait réussi a émigrer de France aux États-Unis sur le navire « Champlain » qui est arrivé à New York le 27 mai 1940.
Elle y vécut probablement alors chez son frère, Léopold Safir.


Après sa libération en 1945, Franz Reisz est soigné dans plusieurs hôpitaux français.
Pour témoigner de l’horreur d’Auschwitz, il dessine de mémoire les scènes de violence à Auschwitz, et il dessine aussi quelques patients de l’hôpital.
Il a réalisé de nombreux dessins concernant les épisodes terribles et quotidiens d’Auschwitz : entassement dans les barraques, transports vers la chambre à gaz, bastonnades, le calvaire des femmes.


Durant son séjour à l’hôpital, il réussit à prendre contact par correspondance avec sa femme, Lili, vraisemblablement grâce à la connaissance de l’adresse de son beau-frère.
Franz Reisz se fait appeler alors « Feri François » (correspondance avec Lili et tentatives pour émigrer aux USA).
Dès qu’ils apprennent que Franz a survécu, Lili et son frère s’organisent pour qu’il puisse les rejoindre aux États-Unis.
Le 25 juin 1945, Lili obtient la nationalité américaine et fait une demande de visa pour Franz.

Franz Reisz rejoint New-York le 19 avril 1946, sur le paquebot mixte « Désirade », récupéré par les « Chargeurs réunis » à la Libération.
En 1949, à New York, Franz Reisz reprend son métier d’illustrateur : il illustre par exemple une publication intitulée « Sept hommes : l’austro-marxisme ; cycle de conférences / Amis du travail autrichien « . Illustrations : Franz Reisz. Price, New York, 1949.
Franz Reisz est décédé en mars 1984 à New York.
Lili y est décédée en décembre 1991.
Son épouse a fait don au Musée de l’Holocauste des Etats Unis d’un recueil de 22 dessins au fusain et au crayon sur papier représentant des scènes du camp d’Auschwitz, des groupes de déportés au travail forcé et des portraits, reliés par une spirale métallique et présentés dans une couverture en carton défraîchie. Au centre de la première de couverture figure le mot « dessin » enroulé autour d’un crayon (hélas non accessibles sur le net).
Franz Reisz a réalisé plusieurs dessins de son internement en France et de certains de ses compagnons.
Un dessin du camp du Meslay du Maine (53) par Franz Reisz a été offert au United States Holocaust Memorial Museum en 1989 par Franz Semrad (non accessible sur le net)..
Franz Reisz est surtout connu en France pour avoir illustré en 1946 la une du livre de l’Amicale des Déportés d’Auschwitz « Témoignages sur Auschwitz » édité en 1946.
La mère de Franz Reisz ne survécut pas à sa déportation : le 18 décembre 1943, Anna Reisz est déportée au camp de concentration d’Auschwitz où elle meurt. La sœur de Franz, Elise est déporté au camp de concentration de Theresienstadt en octobre 1942. Elle est libérée le 9 mai 1945. En captivité, Elise rencontra son futur époux et ils se marièrent au camp en juillet 1944.
D’après sa correspondance d’après-guerre avec Franz, elle et son mari se préparaient à immigrer en Angleterre en 1945.
Sources :
- Franz Reisz sketch book at the United States Holocaust Memorial Museum: https://collections.ushmm.org/search/catalog/irn21623
Franz Reisz Art Collection Documenting Holocaust Given to Museum. In: United States Holocaust Memorial Museum Newsletter, 2 October 1990. -
Reisz Franz in AFMD.org
- Franz Reisz – Auschwitz
Franz Reisz sketchbook – USHMM Collections - Franz Reisz sketchbook – The EHRI Portal
- Wikipédia en allemand : Franz Reisz
-
Camp des Rochères et de la Poterie – Wikipédia
- Benni s’envole vers la Terre promise. Un livre pour enfants juifs ». Vienne Ed. Löwit.
-
Benni Fliegt ins Gelobte Land Ein Buch fur Judische Kinder …
- Portrait de Régine Kelter, © Mémorial de la Shoah, Collection Henri Beril
- Portrait de Dora et Jacqueline Jedynak In © Les témoins.fr et © Cercil.
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Miriam Singer, Wikipédia en allemand
- https://collections.arolsen-archives.org/en/archive/
-
Camp de concentration d’Ebensee, Wikipédia
- Rue Lamarck, Google street wiew.
Notice biographique rédigée en 2025, par Claudine Cardon-Hamet et Pierre Cardon, à partir de trois notices biographiques de Franz Reisz : AFMD , Musée d’Auschwitz et United States Holocaust Muséum.
Claudine Cardon-Hamet est docteur en Histoire, auteure des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteurs et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez nous faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz @ gmail.com
