Jean Lannoy : né en 1892 à Paris 12ème ; domicilié à Paris 20ème ; camionneur, chiffonnier ; arrêté en novembre 1941 ; interné aux Tourelles et à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 19 septembre 1942.
Jean Lannoy est né à Paris le 5 juin 1892 à Paris (12ème). Il est domicilié au 16, ou 18, rue de Pali-Kao (1) à Paris 20ème au moment de son arrestation. Il est le fils de Marie Leyes, 20 ans, pelletière et de Désiré Lannoy, 27 ans, serrurier, son époux. Ses parents habitent au 27, rue Louis Braille dans le 12ème.
Enfant, il est garçon de ferme. Son père est indiqué « disparu » sur son registre matricule militaire. Ce document nous apprend qu’il mesure 1m 69, a les cheveux blonds, les yeux bleus, le front haut et droit, le nez rectiligne, le visage ovale. Au moment de l’établissement de sa fiche, il est mentionné qu’il a été garçon de ferme, puis camionneur (en 1931 et en 1937). Il habite à Villerupt (Meurthe-et-Moselle) chez M. Michel, brasseur.
Conscrit de la classe 1912, il est appelé au service militaire et incorporé au 2ème Régiment d’infanterie coloniale le 29 novembre 1913. Il est mobilisé à son poste par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914.
Jean Lannoy est condamné à deux mois d’emprisonnement « pour rébellion envers les agents de la force publique » par le conseil de guerre de la 11ème région militaire le 29 septembre 1914.
A l’issue de cette condamnation, il est transféré le 1er octobre 1914 au 1er Régiment d’infanterie coloniale. Le 10 novembre 1915, il « manque aux appels », et est déclaré déserteur (1) le 14. Ayant été arrêté par la gendarmerie et ramené au corps le 26 novembre, il est « rayé des contrôles de la désertion ». A la suite de cet épisode, il est condamné par le conseil de guerre de la 10ème région, le 18 janvier
1916, à « quatre ans de travaux publics pour désertion à l’intérieur en temps de guerre ».
Cette peine est toutefois suspendue par décision du général commandant de région, et il est élargi de la prison militaire de Reims et dirigé sur le dépôt du 1er Régiment colonial le 29 janvier.
Le 18 septembre 1916, Jean Lannoy est à nouveau porté « manquant aux appels », et déclaré déserteur le 20. Le 26 septembre, arrêté et ramené au corps par la gendarmerie, il est rayé des contrôles de la désertion. Le 8 décembre, il est condamné par le conseil de guerre de la 10ème région, à « quatre ans de travaux publics pour désertion à l’intérieur en temps de guerre, après désertion antérieure du 17 décembre 1916 ». Le 19 décembre, il est dirigé sur le 2ème Régiment d’infanterie coloniale. Le 9 avril 1917, il est de nouveau déclaré déserteur. Il est ramené sous escorte par la gendarmerie le 9 octobre 1917, rayé alors des contrôles de la désertion. Il est écroué à la prévôté de la 15èmedivision d’infanterie coloniale. Le 3 février 1918 le conseil de guerre de la 10èmerégion le condamne « à cinq ans de travaux publics pour désertion à l’intérieur en temps de guerre ». Le 21 mars 1918 il est écroué au dépôt de détenus militaires de Collioure (Pyrénées-Orientales). Le 18 août 1918, il subit une nouvelle condamnation : le conseil de guerre de la 8èmerégion le condamne à « cinq ans de travaux publics pour tentative d’évasion et bris de prison ». Le général commandant la 10èmerégion révoque les suspensions aux jugements des 18 janvier et 8 décembre 1916. Jean Lannoy sera amnistié ultérieurement (loi du 24 octobre 1919 et du 29 avril 1921). Le 30 septembre 1922, Jean Lannoy est démobilisé et va habiter au 89, rue Rochechouart (Paris 19ème).
Il est célibataire, se déclarant chiffonnier. Avant et au sortir de ses 6 années sous les drapeaux, Jean Lannoy a connu de nombreuses condamnations pour vol ou abus de confiance allant de 8 jours à 18 mois : 1914 Cherbourg (6 mois), fin 1918 Briey, Nancy (8 jours, puis 15 jours), 1922 Paris (6 mois), 1925 Meaux, Paris (6 mois + 4 mois), 1926 Paris (6 mois), 1928 Paris (8 mois), 1929 (18 mois), 1933 paris (3 mois).
L’Ordre de mobilisation générale est proclamé et entre en vigueur le 2 septembre : Jean Lannoy est « rappelé à l’activité militaire » le 4 septembre 1939, mais ne rejoint pas le centre de mobilisation d’Infanterie n°21. Le 24 octobre, il est déclaré « insoumis ».
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Au moment de son arrestation, Jean Lannoy est domicilié au 16 rue de Pali-Kao à Paris 20ème. Le registre militaire porte la mention « introuvable » le 17 juillet 1941.
Recherché, Jean Lannoy est arrêté le 19 septembre 1941. Il est interné administrativement à la demande de la direction de la police judiciaire : «Dangereux pour la sécurité publique en raison de ses antécédents : dix condamnations, dont sept pour vol ou complicité, les trois autres pour abus de confiance, infraction à un arrêté d’interdiction de séjour et insoumission ».Il est écroué au Dépôt de la préfecture de police, parmi les politiques, dans la grande salle (lire le témoignage d’Auguste Monjauvis sur le Dépôt : Monjauvis : Témoignages sur le Dépôt de la Préfecture et le camp de Rouillé). Le 23 octobre 1941, il écrit au préfet de police pour obtenir « une place pour aller travailler dans une ferme », car écrit-il : «Je n’ai jamais fait parti de politique, donc je ne vois pas pourquoi je suis consigné parmi eux». Le 10 novembre, il est transféré au “centre de séjour surveillé” de Rouillé (4) dans la Vienne. Le 20 décembre, le directeur de la police judiciaire répond au préfet de police qui l’a sollicité pour avis à la suite du courrier de Jean Lannoy : «J’estime que Lannoy, délinquant d’habitude, (…) ne peut faire l’objet d’aucune mesure de bienveillance ».
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp
allemand de Compiègne (le Frontstallag 122). Le nom deJean Lannoy (n° 3 de la liste) y figure : on constate qu’il y est inscrit, avec 17 autres détenus parisiens,
avant l’ordre alphabétique. Le 22 mai 1942 c’est au sein d’un groupe de 168 internés qu’il est transféré arrive au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122). La plupart d’entre eux
seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Lannoy est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu. Le numéro « 45726 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon dernier livre Triangles rouges à Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Jean Lannoy meurt le 19 septembre 1942 à Auschwitz d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 691 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès, avec l’indication « Katolisch » (catholique).
Ce certificat porte comme cause du décès « Herz, Kardialer » (cœur, circulation).
L’historienne polonaise Héléna Kubica explique comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz». Il convient de souligner que cent quarante-huit «45000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18 et 19 septembre 1942, ainsi qu’un nombre important d’autres détenus du camp enregistrés à ces mêmes dates. D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste sélection interne des inaptes au travail, opérée dans les blocks d’infirmerie. Lire dans le site : Des causes de décès fictives.
Son acte de décès a été établi le 1er juillet 1947, mais il n’y a eu aucune démarche familiale pour son homologation comme « Déporté politique ».
Un arrêté ministériel du 3 février 1994 paru au Journal Officiel du 23 mars 1994 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur son acte de jugement déclaratif de décès et reprend la date portée sur le certificat de l’état civil d’Auschwitz.
- Note 1 : le n° 18 est inscrit sur sa fiche au DAVCC, le n° 16 sur la liste du camp de Rouillé.
- Note 2 : Désertions. L’armée française estime qu’environ 15 000 soldats auraient déserté ses rangs chaque année pendant la guerre 14-18. De mai à juin 1917 on constate une grave crise de discipline. Mutineries, désertions, mutilations volontaires pour ne pas retourner au front se multiplient. La plupart des déserteurs on connu les gaz, les marmitages, sont montés à l’assaut des tranchées allemandes. Ces désertions – lourdement condamnés – sont les conséquences de la dureté des conditions de vie : boue, froid, vermine, épidémies, permissions peu nombreuses et souvent retardées, état lamentable des cantonnements de repos, contact permanent avec le sang et la mort. Mais surtout en 1917, conséquences d’ordres aveugles qui envoient des milliers d’entre eux à la boucherie, sans discernement. Pour ne pas aller à une mort quasi-certaine, pour revoir leur famille dont ils n’ont plus de nouvelles, des soldats se rendent coupables d’insubordination en désertant.
- Note 3 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy fin 1940 : la loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la
défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes, mais pas pour le cas de Jean Lannoy, « droit commun notoire ». - Note 4 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. /In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé. Le camp de Rouillé est ouvert le 6 septembre 1941 avec 150 internés venant du camp d’Aincourt : avant cette date, les internés sont en effet soit écroués dans des Maisons centrales (Fresnes, Poissy, Fontevrault, Clairvaux, Rambouillet) ou des camps (CIA et CSS des Tourelles, Gaillon, Aincourt) où nous n’avons pas trouvé mention du nom de Jean Lannoy.
Sources
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Liste du 22 mai 1942, liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne (Centre de Documentation Juive Contemporaine XLI-42).
- Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Helena Kubica : “Methods and types of treatment”, p. 318 in “Auschwitz 1940-1945”, tome 2. Musée d’état d’Auschwitz-Birkenau 2000.
- Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948, établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz. Liste Auch 1/7 (DAVCC Caen), n°31941 et n° 205.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Registres matricules militaires de la Seine.
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com