Matricule « 45 623 » à Auschwitz
Ernest Gourichon : né en 1904 à Charbonnier-lès-Mines (Puy de Dôme) ; domicilié à Epinay-sur-Seine (Seine) ; manœuvre, comptable ; conseiller municipal communiste ; arrêté le 26 juin 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 14 juillet 1942.
Ernest Gourichon est né le 9 novembre 1904 à Charbonnier-lès-Mines (Puy de Dôme). Il habite un petit pavillon au 14, avenue Fauveau à Epinay-sur-Seine (Seine / Seine-Saint-Denis) au moment de son arrestation. Ernest Gourichon est le fils de Marie Eugénie Duprichaud, 30 ans, sans profession et d’Alphonse Gourichon, 32 ans ouvrier mineur, son époux. Il a une sœur aînée, Ernestine, qui décède en août 1904 à l’âge de 13 mois.
Le 25 mars 1922, il épouse Lucienne Gustin à Aulnay-sous-Bois. Elle est née le 14 avril 1901 à Hordain , département du Nord (1). Elle est journalière.
Ernest Gourichon est ouvrier (manœuvre ou applicateur), puis comptable. Il effectue un service militaire de 18 mois à partir de 1924.
Adhérent du Parti communiste, il est secrétaire administratif de la section d’Epinay, et responsable du service d’ordre de la section (Le Maitron).
Lors des bagarres qui éclatent avec la police au moment de la dispersion des manifestations du vendredi premier mai 1931 rue Mogador (rappel : les manifestants sont grévistes, le premier mai n’est pas chômé), il est arrêté avec onze autres militants et poursuivi pour « outrages et violences à agents« .
Ernest Gourichon s’inscrit sur les listes électorales d’Epinay en 1935. Il y est domicilié au 23, impasse des Beatus.
Ernest Gourichon est élu conseiller municipal communiste d’Épinay-sur-Seine le 12 mai 1935, en 7ème position sur 27, sur la liste de Joanny Berlioz (2). « Pour la première fois, un conseil municipal de gauche, communiste, prenait place à la Mairie » (André Clipet).
Lors du recensement de 1936, Ernest Gourichon est noté comme chômeur, tout comme sa femme, qui est journalière.
Ernest Gourichon s’engage comme volontaire dans les Brigades Internationales. Il est incorporé le 8 mars 1938 à Albacete dans la 14è Brigade (dite la « Marsellesa« ) au sein du 3è bataillon « Henri Barbusse » (composé de français).
Il est responsable du Parti communiste de sa compagnie. Il est déclaré « calme au front » et participe aux combats lors de l’offensive des nationalistes de Franco en Aragon, du 17 mars au 12 mai, notamment à Caspe. Au cours d’une attaque dans le secteur de Corbera, il est blessé à l’épaule gauche. Du 9 septembre au 21 novembre 1938 il est hospitalisé aux centres et hôpitaux de Cambrils, Taragonne, La Gariga et Vic.
La 14è Brigade reste en Espagne jusqu’au 23 septembre, où elle conclut son intervention avec une contre-attaque au Coll del Cosso.
Le gouvernement républicain, pour respecter ses engagements internationaux, a demandé le départ des Brigades internationales. Ce jour là, tous les brigadistes sont retirés du Front et rentrent progressivement dans leurs pays (excepté les allemands, italiens et hongrois).
Ernest Gourichon remplit le questionnaire de rapatriement des Brigades le 21 novembre 1938 et rentre en France.
Conscrit de la classe 1924, il est vraisemblablement mobilisé à la déclaration de guerre.
Le conseil de Préfecture le déchoit de son mandat électif le 29 février 1940 pour « appartenance au Parti communiste ».
Le 14 juin 1940, l’armée allemande occupe Drancy et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
« Très sympathique, calme et résolu, la bonté se lisait dans ses beaux yeux bleus. Je l’ai rencontré pour la dernière fois quelques jours après le 21 juin 1941 (attaque hitlérienne contre l’URSS), sur l’avenue de la République, face à l’actuelle rue Dunant. Il m’a dit sa confiance dans l’issue de la guerre, qui verrait la fin de l’Allemagne nazie – mais ce sera long et il faudra beaucoup de sacrifices » pour y parvenir me dit-il » (André Clipet).
Le préfet de police de Paris a signé son internement administratif le 23 juin 1941 en tant que « meneur communiste particulièrement actif » et ancien élu communiste et non semble-t-il en tant qu’ancien Brigadiste (les autres anciens des brigades internationales seront arrêtés le 24 décembre 1941 dans une rafle concernant la région parisienne).
Ernest Gourichon est arrêté le 26 juin 1941 « par l’inspecteur C… et le policier B… tous deux habitant Epinay » (André Clipet, qui cite les noms complets que nous n’avons pas reproduits).
Cette arrestation s’inscrit dans le cadre d’une grande rafle concernant les milieux syndicaux et communistes.
En effet, à partir du 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, les Allemands arrêtent plus de mille communistes avec
l’aide de la police française (nom de code de l’opération : «Aktion Theoderich»). D’abord amenés à l’Hôtel Matignon (un lieu d’incarcération contrôlé par le régime de Vichy) ils sont envoyés au Fort de Romainville, où ils sont remis aux autorités allemandes. Ils passent la nuit dans des casemates du fort transformées en cachots.
Et à partir du 27 juin 1941 ils sont transférés vers Compiègne, via la gare du Bourget dans des wagons gardés par des hommes en armes. Ils sont internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise) le « Frontstalag 122 », administré par la Wehrmacht. Ce camp est destiné à l’internement des «ennemis actifs du Reich». Il est alors le seul camp en France sous contrôle direct de l’armée allemande.
Il y est immatriculé sous le numéro « 236 ». A Compiègne il participe aux actions collectives organisées par la Résistance du camp pour maintenir le moral des internés et venir en aide aux plus démunis. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Ernest Gourichon est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Ernest Gourichon est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45835» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais – sera désormais sa seule identité pour ses gardiens.
Sa photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Ernest Gourichon meurt à Auschwitz le 14 juillet 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2).
Le 2 février 1945, un arrêté préfectoral paraît au Bulletin municipal officiel de la ville de Paris : il rétablit dans leurs droits en qualité d’élus municipaux les anciens élus communistes déchus en février 1940 par le conseil de préfecture, dont Ernest Gourichon et Maurice Sigogne (tous deux morts à Auschwitz).
Selon André Clipet, son décès n’avait pas été confirmé à la Libération, et son nom n’avait pu être gravé sur le monument aux morts.
A partir de 1982, la mairie d’Epinay a sollicité sans résultats divers ministères pour obtenir des informations sur Ernest
Gourichon.
Kléber His, qui fut responsable de la section des déportés d’Epinay avait néanmoins pu recueillir la certitude qu’il avait bien été déporté le 6 juillet 1942 et que son décès à Auschwitz était donné comme certain par deux de ses camarades rescapés (Eugène Garnier et Roger Gaudray). Le 25 mars 1985, la mention manuscrite « décédé à Auschwitz le 14 juillet 1942 » est finalement inscrite sur son acte de naissance.
5 autres spinassiens ont été déportés à Auschwitz dans le même convoi : René Dufour, Fernand Godefroy, Henri Pernot, Maurice Sigogne, Stanislas Villiers.
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Note 1 : Veuve, elle se rematie le 10 avril 1948 avec Ernest Foucault, à Gennevilliers. Elle est décédée en 1984 à Appoigny.
- Note 1 : Joanny Berlioz est né le 7 juillet 1892 à Saint-Priest (Isère), mort le 18 mars 1965 à Paris ; professeur de langues vivantes (anglais, allemand) dans les Écoles primaires supérieures et les Écoles normales ; journaliste ; militant communiste des Vosges, de la Loire, de Côte-d’Or et de la Seine ; membre du comité central du Parti communiste de 1925 à 1959 ; maire d’Épinay-sur-Seine (1935-1940, 1945-1947), conseiller général de la deuxième circonscription de Saint-Ouen (1935-1940), député de la sixième circonscription de Saint-Denis (1936-1942), et de l’Isère (1945-1946), sénateur de la Seine (1948-1958). On lira sa longue biographie dans le Maitron.
- Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- André Clipet, militant communiste d’Epinay a connu les 6 déportés spinassiens et a rédigé des notes manuscrites pour chacun d’eux, transmises le 21 janvier 1988 à André Montagne par Mme Ghislaine Villiers, fille de Stanislas Villiers, un des 6 déportés d’Epinay.
- Liste des déportés d’Epinay (29 février 1945).
- Etat civil de Charbonnier-lès-Mines. Archives en ligne du Puy-de-Dôme.
- Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Edition informatique 2013, notice Daniel Grason, Claude Pennetier. Edition papier, Tome 37, page 242.
- Liste de noms de camarades du camp de Compiègne, collectés avant le départ du convoi et transmis à sa famille par Georges Prévoteau de Paris XVIIIème, mort à Auschwitz le 19 septembre 1942 (matricules 283 à 3800) (DAVCC).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2014, 2019, 2020 et 2022) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) . Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com