Matricule « 46 116 » à Auschwitz
Yuri Alexeïevitch Schirinsky-Schikhmatoff : né en 1890 à Pétrograd (Russie) ; descendant du premier fils de Gengis Khan ; domicilié au 17, rue Marbeau à Paris 16ème ; prince et officier de la garde impériale ; chauffeur de taxi, représentant, charretier ; progressiste, peut-être communiste ; arrêté le 17 mars 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 17 août 1942.
Yuri (Georges) Alexeïevitch Schirinsky–Schikhmatoff est né le 30 août 1890 à Pétrograd (Saint-Pétersbourg, Russie) ; descendant du premier fils de Gengis Khan, il appartient aux « grandes familles » de la noblesse russe. Georges Schirinsky-Schikhmatoff est domicilié au 17 rue Marbeau à Paris (16ème) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Léocadia, Petrovna Menzentzova et du prince Alexis, Alexandrovitch Schirinsky–Schikhmatoff. Son père, était le dernier Chambellan du Tsar Nicolas II et son Ministre des Beaux-Arts, ainsi que représentant du Saint Synode.
Il a deux frères, les princes Kyril (Cyrille) Alexeïevitch et Alexandre Alexeïevitch. Avant son exil de Russie, la famille Schirinsky-Schikhmatoff habite sur la fameuse Perspective Newsky, au 38, rue Fontanka, à Saint-Petersbourg.
En 1911, Georges Schirinsky-Schikhmatoff est officier dans les « Chevaliers-gardes », une unité de cavalerie de la Garde Impériale Russe, formée uniquement de nobles, et qui recrute les plus grands noms de l’aristocratie de Russie.
«Youri était l’aîné de la famille. C’était un formidable cavalier et un amoureux absolu des chevaux. Il se mit à l’écart de la famille en épousant une femme révolutionnaire veuve du terroriste qui perpétra des attentats contre le gouvernement dans lequel se trouvait son père. Un destin tragique. Il perdit aussi sa première femme qui était elle aussi infirmière, lors de la première guerre mondiale. Elle contracta le choléra et en décéda. Elle faisait partie de la famille De Witt ». Vannina Schirinsky-Schikhmatoff , petite nièce de Georges Schirinsky-Schikhmatoff , interview dans Corse Matin du 22/09/2019 (elle est la petite fille de son frère Alexandre). Elle est responsable de la conservation et de la restauration du Musée Fech à Ajaccio.
Georges Schirinsky-Schikhmatoff a épousé Olga Lvovna De Witt, qui sera infirmière pendant la première guerre mondiale.
Il est mobilisé comme officier de cavalerie le 30 juillet 1914. Affecté à la 7ème armée, il est – comme son frère Cyrille – de 1914 à 1916 sur le Front de Crimée, avec la 8ème division de cavalerie de Crimée, cantonnée à Kishinev.
A la révolution bolchevique, la famille Schirinsky-Schikhmatoff quitte la Russie pour Prague, puis Karlsbad (Bade-Wurtemberg) en 1920 et vient enfin s’installer en France avec un statut de réfugié.
Ses parents ont acquis une propriété à Sèvres, après avoir dans un premier temps séjourné à Prague et Karlsbad (Bade-Wurtemberg) en 1920.
Grâce aux photos publiées sur le blog (1) de la famille Schirinsky-Schikhmatoff, on sait que les trois frères et leurs parents sont en France en 1923.
En 1924, Georges Schirinsky-Schikhmatoff gagne sa vie comme chauffeur de taxi (chauffeur de place, photo ci-contre), comme nombre d’aristocrates russes exilés.
Il habite au 29, rue Barbès, à
Issy-les-Moulineaux.
Puis il semble qu’il travaille comme représentant de commerce (profession qu’il déclarera à Auschwitz). Son père
décède en 1930.
Veuf de son premier mariage, Georges Schirinsky-Schikhmatoff épouse en 1931, à Meudon, Eugénie Silberberg, née le 26 février 1885 à Elisabethgrad (Russie), veuve elle aussi. Elle fut la compagne de Boris Viktorovitch Savinkov (2), révolutionnaire et aventurier russe, un des dirigeants de la « Brigade terroriste du Parti socialiste révolutionnaire », puis contre-révolutionnaire après la Révolution russe, auquel fait référence la petite nièce de Georges Schirinsky-Schikhmatoff dans la citation plus-haut. Eugénie Silberberg est infirmière et mère d’un garçon, Léon. Le couple habite alors à Meudon, au 57, rue des Galons. Puis ils viennent habiter au 22, rue Bois-le-Vent, à Paris 16ème.
On trouve néanmoins plusieurs autres adresses sur sa fiche aux archives du ministère de la Défense (DAVCC) à Caen: les 7, avenue Léon Heuzey (Paris 16ème), et 137, avenue Mozart (Paris 16ème), qui sont peut-être celles de ses deux frères. Selon un de ses employeurs, il serait adhèrent au Parti communiste et serait même secrétaire d’une cellule, «sa femme est elle-même une militante acharnée ».
Selon les Renseignements généraux, qui surveillent étroitement les trois princes russes, Georges Schirinsky-Schikhmatoff est membre du groupe National-maximaliste en France et de l’Union des jeunes Russes. Il collaborerait régulièrement avec la revue Affirmation. Il est membre de l’Association syndicale de la presse étrangère à Paris. Le 20 novembre 1939, ayant été renseigné par le directeur de la G7 à Levallois (Compagnie Française des Automobiles de Place, dite G7, rue Collange), le commissaire de police de Levallois écrit au directeur des Renseignements généraux pour lui signaler le nommé Schirinsky, un réfugié russe dangereux « comme pouvant tomber sous le coup du décret du 18 novembre 1939 ». Schirinsky-Schikhmatoff « n’aurait rien abandonné de ses anciennes sympathies pour la IIIe Internationale ».
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir du mois de novembre 1940, le couple Schirinsky-Schikhmatoff est domicilié au 17 rue Marbeau à Paris (16ème) : il s’agit d’un appartement propriété de Georges Batault (1887-1963), dont l’épouse est russe (le couple Batault s’est réfugié depuis juin 1940 sur la Côté d’Azur).
Pour subsister, Georges Schirinsky-Schikhmatoff, qui n’a pas été repris par la G7 compte tenu de ses opinions, trouve du travail comme charretier à bras chez Lebreton, 50, rue des Petites-Écuries, à Paris 10ème.
Dans une note blanche en date du 14 août 1941, les Renseignements généraux qui continuent de surveiller Georges Schirinsky- Schikhmatoff, écrivent que son épouse est en traitement pour un cancer à l’hôpital de la Salpêtrière, déjà opérée trois fois et n’étant plus opérable.
Georges Schirinsky-Schikhmatoff est arrêté le 17 mars 1942 par la Gestapo. Il est interrogé au 11, rue des Saussaies au siège de la Police de Sûreté Allemande (qui comprenait dans ses services, la section
IV connue sous le nom de Gestapo). Il est incarcéré le 18 mars à la Santé. C’est un « idéaliste » selon sa famille, et d’après les Allemands, il est arrêté pour ses idées pro-communistes.
Remis aux autorités allemandes à leur demande, celles-ci l’internent le 4 mai 1942 au camp de Royallieu à Compiègne, en vue de sa déportation comme otage. Il reçoit à Compiègne le numéro matricule « 5140 ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Georges Schirinsky-Schikhmatoff est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Georges Schirinsky-Schikhmatoff est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46116» selon la « Liste officielle n° 3 » des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne (ACVG), confirmée par la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il a déclaré être agent d’assurance, donc sans qualification intéressant la Gestapo du camp : il reste donc à Birkenau (ce qui est confirmé par le témoignage de Daniel Nagliouk, rescapé d’origine ukrainienne).
Georges Schirinsky-Schikhmatoff meurt à Birkenau le 17 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1079)
et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès, avec l’indication « Grec orthodoxe » comme religion.
Il convient de souligner que vingt-six autres «45000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz ce même jour (c’est le début d’une grande épidémie de typhus au camp principal, qui entraîne la désinfection des blocks, s’accompagnant d’importantes sélections et du transfert du camp des femmes). Lire 80 % des 45000 meurent dans les 6 premiers mois, pages 126 à 129 in Triangles rouges à Auschwitz.
Le certificat d’Auschwitz porte comme cause du décès « Sepsis at Angina » (Sepsis généralisé, symptôme d’angine).
Il semble, selon le témoignage de Daniel Nagliouk, qu’il ait en fait été battu à mort. L’historienne polonaise Héléna Kubica explique comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz». Lire dans le blog : Des causes de décès fictives.
Sa famille n’a été avertie, ni de son emprisonnement à la Santé, ni de sa déportation à Auschwitz. Le 24 juin 1944, son
frère Cyrille engage des démarches afin de savoir ce qu’il est devenu. Le 26 septembre 1946, le nom et le matricule de Georges Schirinsky-Schikmatoff figurent sur la « Liste officielle n° 3 » des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre.
Dès le 7 août 1947, le bureau d’état civil du Ministère des anciens combattants établit un acte de décès avec la date exacte.
Un arrêté ministériel du 23 mai 1998 paru au Journal Officiel du 24 janvier 1998 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et
jugements déclaratifs de décès, en reprenant la date de décès de l’état civil d’Auschwitz.
- Note 1 : © toutes les photos où figure Georges Schirisky-Schikhmatoff et des membres de sa famille, sont extraites du blog Schirinsky-Schikhmatoff /
Teresthenko / Von Keyserling families sur Overblog et Facebook. - Note 2 : Boris Viktorovitch Savinkov est un écrivain et révolutionnaire russe, un des dirigeants de la Brigade terroriste du Parti socialiste révolutionnaire.Il est responsable de nombreux assassinats de fonctionnaires en 1904 et 1905 et monte l’attentat contre le ministre de l’intérieur Plehve en 1904. En 1917 il devient assistant au ministre de la défense sous Kerensky. Il est expulsé pour son rôle lors du putsch du général Kornilov en septembre 1917. Il a été un contre-révolutionnaire en Russie durant la période succédant à la révolution d’Octobre. Pendant la guerre russo-polonaise, il organise une Armée populaire russe, qui se bat aux côtés des troupes du Maréchal Piłsudski. Il vit en exil à Prague et à Paris. En mission pour le Secret Intelligence Service, il part en Russie en 1924. Il y est arrêté et jugé le 30 août 1924. Il reconnait avoir fomenté l’attentat contre Lénine par le biais de Fanny Kaplan. Il assure avoir reçu de l’argent du président tchécoslovaque Masaryk à cet effet. Il est d’abord condamné à mort. Puis après plusieurs aveux, sa peine est commuée en 10 ans de réclusion. Il se serait suicidé dans la prison de la
Loubïanka, à Moscou. Selon Alexandre Soljenitsyne, il aurait été assassiné par des agents de la NKVD (ex Guépéou).
Sources
- Dossier personnel à la Division des archives des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (février 1992).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943 le décès des détenus immatriculés).
- Renseignements fournis par des membres de sa famille (son frère Cyrille et sa nièce Xénia Alexandrovna, en 2009).
- Liste incomplète des internés de Compiègne (BACC), Ministère de la Défense, Caen. Listes – incomplètes – du convoi établies parla FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
la photo du mariage est mal renseignée, il s’agit du mariage de Cyril frère de Georges et non pas de Georges avec Sibelberg.
au lieu de me renvoyer un mail en signalant un doublon, qu’attendez vous pour le rectifier !!!
J’ai supprimé la photo puisqu’elle ne correspond pas. Désolé pour ce retard, et navré de votre impatience.