Pierre Labrégère : né en 1893 à Bourdeilles (Dordogne) ; domicilié à Paris 15ème ; peintre ; présumé communiste ou sympathisant communiste ; arrêté le 29 juillet 1941, condamné à 4 mois de prison, purgés à Fresnes et Poissy ; puis interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt.
Pierre Labrégère habite au 64, rue Saint Charles à Paris 15ème au moment de son arrestation.
Célibataire, Pierre Labrégère est né le 30 octobre 1893 au faubourg Notre-Dame, à Bourdeilles, canton de Brantôme (Dordogne).
Il est le fils de Françoise Peyron, 24 ans, sans profession et d’Antoine Labregère, 29 ans, maçon, son époux. Ses parents qui se sont mariés le 25 juin 1890 à Paussac Saint-Julien, décèdent tous les deux à trois jours d’intervalle en mars 1900.
Son registre matricule militaire indique qu’il habite Perrigueux au 2, rue Montaigne et qu’il est garçon de café au moment conseil de révision. Il sera peintre par la suite .
Conscrit de la classe 1913, il est appelé au service militaire en novembre 1913 et incorporé au 126ème régiment d’infanterie le 10 novembre 1913. Il passe devant la commission spéciale de réforme de Brive en décembre et est « réformé n°2 » pour « faiblesse irrémédiable » le 13 décembre 1913. Il quitte la caserne le lendemain. Il est « maintenu réformé » en décembre 1914 par la commission de Limoges et en avril 1917 par celle de Tours.
Son registre matricule indique une condamnation par le conseil de guerre de la 12ème région à 2 ans de prison pour « violences et voies de fait » et « ivresse manifeste et voie publique » en avril 1915, et « cinq cents francs d’amende ». Cette très lourde peine et le fait qu’elle soit prononcée par un tribunal militaire à l’encontre d’un appelé en temps de guerre laisse penser que les voies de fait ont dû concerner un ou des personnels militaires gradés. Pierre Labregère est interné à la Maison centrale de Fontevrault jusqu’au 5 juillet 1917. Il est alors « réformé définitif ».
Le 12 mars 1924, il est condamné à 8 jours de prison et deux cents francs d’amende pour « entraves à la liberté des enchères publiques » par le tribunal correctionnel de Saint-Quentin (Aisne).
Cette condamnation en précède une autre, qui suit les échauffourées survenues à Saint-Quentin le 8 mars 1924, relatées ainsi par Le Figaro « graves bagarres provoquées par des communistes. Les gendarmes sont accueillis à coups de revolver. Nombreux blessés ».
Pour mettre fin à une manifestation de protestation de la section communiste, à laquelle participe le candidat communiste aux législatives, Raoul Barette, secrétaire de l’ARAC de Saint-Quentin, la gendarmerie à cheval a mis sabre au clair et chargé les manifestants, qui ont riposté à coups de pierres, de bouteilles et même par quelques coups de revolver (Le Figaro du 9 mars 1924).
Le journal local relate ainsi le procès en correctionnelle qui a lieu le 21 mars (le Grand Echo de l’Aisne du 26 mars 1924). Raoul Barette y est condamné à un an de prison et deux ans d’interdiction de séjour, considéré comme l’instigateur de la manifestation.
« M. Pierre Labrégère, 30 ans, peintre, est poursuivi pour (outrages à agent». Il a dit, s’adressant à l’inspecteur Bruyelle : « Bande de v… » Maître Fournier (avocat du Parti communiste) fait cette remarque : « Bande pour un homme tout seul… Il me semble que M. Bruyelle est bien peu modeste »… Un second outrage a été proféré par Labrégère à l’adresse de M. Bruyelle. Alors que l’inspecteur conduisait M Labrégère devant M. le procureur de la République, M. Labrégère lui a dit : « Tas de lâches ». M. Labrégère nie ces propos. Il a dit : « C’est lâche d’avoir frappé un homme sans défense». M. Régnier, commissaire de police, qui a entendu les paroles prononcées par M. Labrégère laisse entendre que son subordonné a mal compris » (…). « M. Tricoteaux, maire de St-Quentin, vient dire qu’il regrette infiniment les arrestations qui furent opérées dans la soirée du 8 mars. Lorsque le maire invita les manifestants au calme, après que M. le Préfet eût donné l’ordre à la gendarmerie d’intervenir et cela dit, en violation formelle de la loi de1884, M. Labrégère interpela M. Tricotraux : « C’est un scandale, lui dit-il, on frappe nos camarades arrêtés » un remous se produisit aussitôt et M. Labrégère disparut… M. Tricotcaux le retrouva peu après, dans la salle de Ia justice de paix transformée en chambre de sûreté, l’air hébété, la chemise arrachée…. M. le Maire apprit que M. Labrégère venait d’être frappé par un un instituteur, actuellement inspecteur de la police de secteur, sous les ordres de la Préfecture ». Pierre Labrégère est condamné à 15 jours de prison.
En 1927, il habite rue de Cambrai à Saint-Quentin. Il est victime d’une agression, giflé par deux parqueteurs (Grand Echo de l’Aisne du 13 avril 1927).
Le 17 août 1937, il est titulaire d’une « carte professionnelle » à Brantôme (Dordogne) et le 30 du même mois à Saint-Quentin (Aisne. Source registre matricule militaire).
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Pierre Labregère est arrêté le 29 juillet 1941 « en flagrant délit d’inscriptions communistes sur les murs » et inculpé d’infraction au décret du 26-09-1939 (dissolution et interdiction du PC). Il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé le 31 juillet 1941. Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (reconstitution de ligue dissoute / dissolution du Parti communiste), il est condamné le 1er août 1941 à 4 mois de prison par la 14ème chambre du tribunal correctionnel de la Seine.
Pierre Labregère est transféré à Fresnes le 13 août 1941, puis est écroué à la Maison centrale de Poissy.
A partir du 21 mai 1941, le directeur de la Centrale de Poissy transmet au Préfet de Seine-et-Oise, « en exécution des notes préfectorales des 14 novembre 1940 et 18 février 1941 », les dossiers de détenus
communistes de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours des mois suivants.
Celui de Pierre Labregère est transmis au Préfet le 2 octobre, comme celui de René Solard, un autre militant du 15ème lui aussi détenu à Poissy. Son dossier est envoyé aux Renseignements généraux via le Préfet de police de Paris le 10 octobre.
Comme pour la plupart des détenus communistes libérables, le Préfet prévoit leur internement administratif, en application du décret du 18 novembre 1939 et de la loi du 3 septembre 1940 (1). Toutefois, il demande au directeur de Poissy que Pierre Labregère soit « interné à sa sortie de Poissy dans cet établissement, en attente qu’une place soit disponible à Aincourt ».
Le CSS d’Aincourt est en effet complètement saturé à cette époque. Cette disposition concernera plusieurs autres détenus (François Dallet, Georges
Deschamps, Albert Faugeron, Raymond Langlois, Pierre Marin, Marcel Nouvian, René Solard et Eugène Thédé).
Pierre Labregère est transféré au Dépôt de la Préfecture de Police en attente de son transfert.
Le Centre de Séjour Surveillé n° 15 de Voves ayant été ouvert en tant que camp d’internement administratif le 5 janvier 1942, le Préfet de Police de Paris, François Bard, ordonne « l’internement administratif » de Pierre Labregère le 26 mars 1942
(n° de dossier 407. 814), en application de la Loi du 3 septembre 1940.
Le 16 avril 1942, il fait partie des 60 détenus en provenance du dépôt de la Préfecture qui sont transférés à Voves. Au « Grand camp » de Voves, il reçoit le n° 79.
Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. Pierre Labregère figure (28ème) sur la première liste de 81 noms qui vont être transférés le 10 mai 1942 à Compiègne.
Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique que « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ».
Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, arrivés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) les 10 et 22 juin 1942, quatre vingt sept d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Pierre Labregère est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Sa fiche d’enregistrement à Auschwitz indiquerait « artiste peintre » selon le DAVCC, ce qui est peut-être bien une mauvaise traduction, car dans les coupures de presse de 1920 à 1927, il est toujours soit « garçon de café » soit « peintre »).
Le numéro « 47707 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Pierre Labregère meurt à Auschwitz le 17 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 683 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès, avec l’indication « Katolisch » (catholique).
Aucune demande n’a été faite pour que le titre de « Déporté politique » ou « résistant » lui soit attribué. Rappelons qu’il était célibataire et que ses parents sont décédés tous deux en 1900. Il ne figure donc pas dans les listes du site ministériel Légifrance des « Morts en déportation ».
- Note 1 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
Sources
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
- Maison centrale de Poissy, Archives départementales des Yvelines.
- Stéphane Fourmas,Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai 1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.
- Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’Étatd’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- © Le CCS de Voves. In site Vienne Résistance Internement Déportation.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Registres matricules militaires de Dordogne.
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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