Matricule « 46 074 » à Auschwitz
Gabriel Royer : né en 1901 à Esternay (Marne) ; domicilié à Colombes (Seine) ; postier puis métallurgiste ; arrêté le 10 février 1941, condamné à 18 mois de prison (Fresnes, Poissy) ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 26 octobre 1942.
Gabriel Royer est né le 27 juillet 1901 à Esternay (Marne) au domicile de sa grand-mère.
Il habite au 19, rue des Avants à Colombes (ancien département de la Seine/ Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.
Gabriel Royer est le fils de Léonie Marion (17 ans), sans profession et d’Henri Georges Royer (26 ans), son époux, facteur rural à Reims.
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 72 et demi, a les cheveux bruns, les yeux châtain, le front bas, le nez légèrement vexe, le visage ovale, une fistule lacrymale à l’œil gauche.
Au moment de l’établissement de sa fiche, il est recensé dans le département de la Marne (matricule 1095). Il est mentionné qu’il travaille comme facteur PTT intérimaire. Il habite alors à Reims au 91, rue Favard d’Herbigny à Reims, domicile de ses parents.
Conscrit de la classe 1921, il est appelé au service militaire le 5 avril 1921 et au 5è Régiment de Dragons le 10. Il est envoyé en occupation des pays Rhénans jusqu’au 20 octobre 1921, date à laquelle il est réformé temporairement à Metz (le 21 octobre) pour « dacryocistite de l’enfance, opérée » (pathologie du système lacrymal). Le 26 octobre 1921 il revient habiter au 91, rue Favard d’Herbigny à Reims.
La réforme temporaire est confirmée en 1922 par la commission de Chalons-sur-Marne et il est classé « service auxiliaire » en août 1923.
Gabriel Royer est d’abord employé des Postes, puis il sera métallurgiste. Il est alors domicilié au 52, rue Pierret à Reims.
Il épouse le 13 octobre 1923, à Reims, Gilberte, Emilie Perrier. Le 26 décembre le jeune couple s’installe au 39, rue Dorigny, une étroite maison mitoyenne. Dans les années 1930, le couple habite au 40, bis rue Jacquart à Reims, ainsi qu’en témoigne le permis de conduire de Gabriel Royer.
En août 1934, ils ont quitté Reims et habitent Colombes (Seine), au 9, rue Paul Bert. En novembre 1935, ils déménagent au 3, rue Guillot, et en mai 1938 au 19, rue des Avants à Colombes.
Gabriel Royer et Gilberte Perrier divorcent le 2 juin 1937 (transcription à l’état civil en 1938).
Gabriel Royer épouse en seconde noces, le 31 octobre 1939 à Esternay, Geneviève, Marguerite Vermeersch,
sans profession, âgée de 26 ans (elle est née le 29 juin 1913 à Paris 14è), divorcée depuis le 9 mai 1934 d’avec Henri Pessel – transcription à l’état civil le 14 décembre 1935), avec laquelle et leurs deux enfants, il vit depuis début 1936, au 3, rue Guillot à Colombes.
Gabriel Royer est en effet, selon le témoignage de sa fille Colette, le père des deux enfants de Geneviève, nés avant leur mariage : Gabriel, né le 28 août 1933 et Colette, née le 21 mars 1935.
La famille vit à Colombes au 19, rue des Avants.
En 1939, à la déclaration de guerre, il est « rappelé à l’activité » le 2 septembre 1939 et arrive au 425è Régiment de pionniers le 8 septembre. Il est affecté au 3è Escadron de cavalerie au dépôt n° 26. Mais le 26 octobre, il est classé « Affecté spécial » tableau III, pour une durée « indéterminée ».
En effet travaillant à la Société Industrielle des Matières Inoxydables, au 38, bis avenue de la République à Paris avant sa mobilisation et cette entreprise étant considéré par l’Armée comme relevant de la Défense nationale, il est ainsi mobilisé sur son poste de travail.
Mais il est « renvoyé dans ses foyers » (au 19, rue des Avants à Colombes) deux jours après, le 28 octobre 1939… et aussitôt repasse en recrutement de domicile le 4 novembre 1939 (il est vraisemblable qu’à l’instar de la plupart des communistes et/ou syndicalistes connus de la Police, il ait été radié de cette « Affectation Spéciale ».
Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe. La nuit du 14 au 15 juin, de nombreuses troupes allemandes arrivent à Nanterre et Colombes. Le 22 juin, l’armistice est signé.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Gabriel Royer est arrêté le 10 février 1941 à Colombes, semble-t-il sur dénonciation de l’un des cinq autres militants qui collaient des affiches avec lui (la mention « dénonciation » est portée sur sa fiche individuelle au DAVCC). Il est écroué au Dépôt de la Préfecture le même jour, puis à la prison de la Santé.
Il est condamné à 18 mois de prison le 4 juin 1941, dans le cadre de l’infraction au décret du 26 septembre 1939 (activité communiste). Cette peine est ramenée à 12 mois après appel. Il est alors emprisonné à Fresnes, en juin 1941 et à la centrale de Poissy en octobre.
A l’expiration de sa peine (1), il n’est pas libéré. Ramené au Dépôt de la Préfecture, il est transféré au CSS de Voves comme « interné administratif » le 16 avril 1942 avec 59 autres détenus. Ce camp (Frontstalagn° 202 en 1940 et 1941) était devenu le 5 janvier 1942 le Centre de séjour surveillé n° 15.
Au « CSS » de Voves, Gabriel Royer reçoit le matricule n°110.
Lire dans le site : Le camp de Voves
Dans un courrier en date du 6 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres une liste de 81 d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du Militärbefehlshabers Frankreich, le MBF, commandement militaire en France.
Gabriel Royer, comme Arthur Lepetit, figure sur cette liste de 81 noms qui vont être transférés le 10 mai 1942 à Compiègne.
La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves.
Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves.
Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique que « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ». Le directeur du camp a fait supprimer auparavant toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Gabriel Royer est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Gabriel Royer est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «46 074». En l’absence de références aux registres du camp, et sur la base des listes alphabétiques qu’il m’a été possible de reconstituer partiellement, la photo portant le matricule supposé de Gabriel Royer a été validée après comparaison avec ses photos d’avant sa déportation. Sa fille, Madame Colette Pessel, qui m’a communiqué ces photos en a convenu.
Elle n’a pas souhaité que la photo d’immatriculation du 8 juillet 1942 soit publiée, voulant conserver, pour elle et ses enfants le souvenir de son visage des jours heureux.
Gabriel Royer meurt à Auschwitz le 26 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1032) et © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
Gabriel Royer a été déclaré « Mort pour la France » le 21 novembre 1947. Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué en 1952. La mention « Mort en déportation » est apposée sur son acte de décès (arrêté du 16 octobre 1998 paru au Journal Officiel n° 22 du 27 janvier 1999). Cet arrêté porte néanmoins une mention erronée : « décédé fin 1942 à Auschwitz« . Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d‘Auschwitz-Birkenau). Lire dans le blog l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les « Death books » et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français)
Voir l’article : Les dates de décès des « 45 000 » à Auschwitz.
- Note 1 : Classée « secret », la circulaire n°12 du 14 décembre 1939, signée Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, fixe les conditions d’application du décret du 18 novembre 1939 (décret Daladier) qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Pendant l’Occupation, le gouvernement du maréchal Pétain poursuit la lutte anticommuniste dans le cadre du décret Daladier. La circulaire de Peyrouton, ministre de l’Intérieur, le 19 novembre 1940 permet d’élargir l’internement administratif : la découverte de tracts extrémistes sur le territoire d’une commune entraînera l’internement administratif des militants communistes notoirement connus, à moins qu’ils ne soient déjà poursuivis judiciairement en vertu d’une procédure dument engagée. (AN FIA-3678). Lire l’article très documenté et illustré sur le blog de Jacky Tronel (Histoire pénitentiaire et justice militaire) : Circulaire d’application du décret-loi du 18 novembre 1939 et le chapitre VII (les chasseurs) de l’ouvrage de Jean Marc Berlière et Franck Liaigre Le sang des communistes, Fayard.
Sources
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fiche individuelle de Gabriel Royer au Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Documents photographiques transmis par Madame Colette Pessel, fille de Geneviève Vermeersch et de Gabriel Royer.
- Courriels de juin 2012 de Mme Colette Pessel.
Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2016, 2019 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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