Matricule « 45 593 » à Auschwitz
Marcel Géré : né en 1910 à Brou (Eure-et-Loir) ; domicilié à Villefranche-sur-Cher (Loir-et-Cher) ; charpentier ; arrêté le 21 novembre 1941, puis le 1er mai 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt.
Marcel, André, Jean Géré est né le 30 mars 1910 à Brou (1) (Eure-et-Loir).
Il habite à Villefranche-sur-Cher (Loir-et-Cher) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Berthe, Marie Poussard, 32 ans, journalière et de André, François, Octave Géré, 31 ans, employé aux chemins de fer. Ses parents habitent rue du Château à Brou.
Conscrit de la classe 1930, « Géré Marcel, André, Jean » est recensé sous le matricule « 695 » dans le département Loir-et-Cher, où il habite au moment du conseil de révision.
Il est charpentier et travaille sur le pont du Cher.
Il est célibataire. Selon le président de l’ADIRP du Loir et Cher, Georges Larcade, il n’était pas membre d’un parti politique, mais «sans doute fiché parce qu’il avait été reconnu sur une photo d’une manifestation CGT prise avant la guerre», comme d’autres manifestants.
Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Les 15 et 16 juin 1940, bombardements allemands sur Montrichard, Blois et Vendôme. Les troupes allemandes entrent dans Romorantin le 19 juin 1940.
Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy.
Le 1er juillet, elle passe par le département du Loir-et-Cher en suivant le cours du Cher, de Châtres jusqu’à Chissay (à l’exception de Selles-sur-Cher qui demeure en zone occupée). Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Marcel Géré est arrêté une première fois à Villefranche-sur-Cher le 21 novembre 1941 (cette date figure curieusement sur son acte de naissance, sans explication). Il est relâché sans jugement.
Il est arrêté une deuxième fois le 1er mai 1942 à Villefranche, dans la rafle des 1er et 2 mai 1942 qui concerne 140 communistes ou présumés tels (dont certains avaient déjà été arrêtés lui en 1940 ou 1941) dans 3 départements (Cher, Loir-et-Cher, Loiret).
Elle est opérée en représailles à la mort d’un Feldgendarme à Romorantin la nuit du 30 avril 1942.
Lire : Romorantin le 1er mai 1942 : un Feldgendarme est tué, un autre blessé. Arrestations, exécutions et déportations. 13 romorantinais sont arrêtés. Six d’entre eux seront déportés à Auschwitz : Moïse Bodin, Victor Budin, Gustave Crochet, Octave Hervaux, Edouard Roguet, Daniel Pesson.
Sur les circonstances de l’arrestation de Marcel Géré et des quatre autres franvillois, les services municipaux de Villefranche-sur-Cher m’ont communiqué les informations suivantes (la Loi d’amnistie préservant l’anonymat des personnes incriminées dans les actes de collaboration, je ne les mentionnerais que par XX) : « Le maire Emile Leroy avait été suspendu de ses fonctions par la délégation spéciale aux ordres de Vichy… Me XX, notaire, faisait fonction de responsable en tant que sympathisant allemand avec MM XX et XX. Me XX devait désigner 3 personnes de tendances « communistes » pour être déportées suite au meurtre d’un gendarme Allemand à Romorantin. En fait 5 personnes furent prises en otages. Me XX fut jugé après la guerre pour collaboration, à Blois ».
Marcel Géré est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122), le 5 ou le 9 mai 1942, en vue de sa déportation comme otage. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Marcel Géré est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 589 » (ce numéro ne figure pas dans mon livre « Triangles rouges à Aushwitz», mais la comparaison entre sa photo d’avant-guerre et la photo d’immatriculation à Auschwitz (3) correspondant à la reconstitution partielle des listes que j’ai pu opérer, me semble probante.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date exacte du décès de Marcel Géré à Auschwitz.
Une rue de Villefranche-sur-Cher porte son nom.
Les noms d’André Filloux, Joseph Filloux, Mathieu Filloux, Marcel Geré et Marcel Renaud sont gravés sur le monument de Villefranche-sur-Cher, à la mémoire des « victimes civiles de la guerre ».
- Note 1 : Un autre lieu de naissance, à Sargé-sur-Braye (41) est indiqué sur la base de données de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Il s’agit en fait d’un homonyme, lui aussi déporté, mais à Mauthausen, où il est décédé. Le lieu de naissance à Brou (Eure-et-Loir) de Marcel Géré m’a été communiqué par la mairie de Villefranche-sur-Cher en 1990. Il figure aussi sur la fiche d’otage de Marcel Géré (recherches ADIRP 41). C’est aussi celui qui figure dans la base de donnée des dossiers administratifs de résistants (service historique de la Défense). Marcel Géré est donc bien né à Brou.
- Note 2 : Le président de l’ADIRP du Loir et Cher, Georges Larcade, a communiqué en 1977 à la commission d’histoire dela FNDIRPle résultat de son enquête auprès des familles de résistants et déportés à propos des causes de l’arrestation des Loir et Chériens le 1ermai 1942. Il me l’a confirmé par lettre en 1990. «Dans la nuit du 31 avril au 1er mai 1942, de jeunes FTP distribuaient des tracts et collaient des affiches à Romorantin lorsqu’ils furent surpris par deux Feldgendarmen. Un jeune, chargé de la protection des afficheurs, ouvrit le feu. Un Feldgendarme a été tué, l’autre grièvement blessé. Dès le lendemain, une vague de répression s’abattit dans la circonscription de la Kreiskommandantur de Romorantin. Cinq jeunes communistes du Loir et Cher, déjà arrêtés soit par les Allemands, soit par la police françaises, certains même incarcérés depuis plusieurs mois, furent fusillés le 5 mai. Une cinquantaine d’hommes soupçonnés d’être communistes furent arrêtés les 1er et 2 mai. Certains ont été relâchés par la suite, les autres, après avoir été transférés à Compiègne, ont fait partie (avec cinq autres Loir et Chériens arrêtés le 22 juin 1941 et déjà à Compiègne depuis plusieurs mois), du fameux convoi du 6 juillet 1942 pour Auschwitz». Dans «Combattants de la Liberté – La Résistance dans le Cher» Marcel Cherrier relatant le 1erMai 1942 évoque cet évènement «le hasard veut qu’au même moment, à Romorantin, une équipe de jeunes conduite par Max Tenon exécute deux Feldgendarmen» et il cite le nom des huit militants fusillés parmi les quarante otages arrêtés dans le Cher à cette occasion (c’est la même région militaire, les représailles décidées par les Allemands).
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par la mairie de Villefranche (1990).
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- « La Résistance dans le Loir-et-Cher « , Op. édité par l’ANACR en 1964.
- Liste et fiche établie en 1977 par le président de l’ADIRP du Loir et Cher, Georges Larcade, communiquées à la commission d’histoire de la FNDIRP.
- Site « Les plaques commémoratives, sources de mémoire ». © Photo Jean Jacques Guilloteau.
- © Site Internet Mémorial-GenWeb
- © Site www.mortsdanslescamps.com
Notice biographique rédigée en février 2011, complétée en 2017, 2021 et 2024, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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