Matricule « 45 262 » à Auschwitz

Musée de la Résistance © ARMREL
Auschwitz, Moïse Bodin, le 8 juillet 1942
Moïse Bodin : né en 1899 à Gy-en-Sologne (Loir-et-Cher) ; domicilié à Romorantin (Loir-et-Cher) ; chauffeur d’auto ; présumé communiste ; arrêté le 18 avril 1941, puis le 1er mai 1942 comme otage ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 25 octobre 1942.

Moïse, Albert, Joseph, Bodin est né le 28 décembre 1899 à Gy-en-Sologne (Loir-et-Cher), fils de Joséphine Germain, 32 ans, cultivatrice et de Pierre Bodin, 36 ans, cultivateur son époux.
Moïse Bodin habite rue Péronnière, dans le quartier de la Ratière à Romorantin (Loir-et-Cher) au moment de son arrestation. Moïse Bodin est domestique agricole, maçon puis chauffeur de camions (fiche matricule militaire). Il habite à Pruniers-en-Sologne (canton de Romorantin) au moment du Conseil de révision. Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 55, a les cheveux noirs et les yeux gris, le nez rectiligne et le visage ovale. Il a un niveau d’instruction n° 3 (possède une instruction primaire supérieure).
Conscrit de la classe 1919, Moïse Bodin est mobilisé par anticipation en 1918, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre. Il est appelé sous les drapeaux le 15 avril 1918 et incorporé le 16 avril au 13è Régiment d’Infanterie. Le 17 avril 1919, il passe au 17è Régiment d’Artillerie d’Assaut. Il est renvoyé dans ses foyers le 21 mars 1921 en attendant son passage dans la Réserve de l’armée active, le 13 avril 1921.
Il est libéré avec un certificat de bonne conduite. En application de l’article 33 (prolongement de la durée du service militaire pour les classes 1918 et 1919) dans le cadre de l’occupation de la Rhur par l’armée française du Rhin, il est « rappelé à l’activité »à partir du 8 mai 1921, mais est renvoyé dans ses foyers le 29 juin 1921 (télégramme ministériel).

Il épouse Georgette Gautry à Pruniers-en-Sologne, le 7 avril 1923. Elle est ouvrière en chaussures. Le couple aura trois enfants.
Il est un des dirigeants de la société de gymnastique « La Romorantinaise« .
Moïse Bodin est « rappelé à l’activité » par l’armée le 2 août 1939, veille de la déclaration de guerre…
Il est affecté au 303è RA (dépôt d’Artillerie n°5). Il arrive au corps le 3 septembre 1939.
Il part « aux armées » le 11 septembre 1939. Le 16 février 1940, il est rattaché au PRAA (Parc de Réparation Artillerie – ou Automobile – d’Armée) n°7. Père de 3 enfants vivants, il est rattaché officiellement à la classe 1913 le 22 avril 1940.
Entre temps, il a été classé « Affecté spécial » le 3 avril 1940 au titre de l’entreprise Benoist de Romorantin.

La Wehrmarcht défile à Blois

Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Les 15 et 16 juin 1940, bombardements allemands sur Montrichard, Blois et Vendôme. Les troupes allemandes entrent dans Romorantin le 19 juin 1940.
Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 1er juillet, elle passe par le département du Loir-et-Cher en suivant le cours du Cher, de Châtres jusqu’à Chissay (à l’exception de Selles-sur-Cher qui demeure en zone occupée). Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Moïse Bodin est « chauffeur d’auto » à l’entreprise de vidange Benoist-Bourgeois à La Haute Roche (près de Romorantin).
Il est arrêté une première fois le 18 avril 1941 lorsque les Allemands arrêtent son patron et l’ensemble du personnel, dont lui et Daniel Pesson.
Il est libéré (pas de
jugement).
Il est arrêté une deuxième fois le 1er mai 1942, par des policiers allemands à son domicile, devant sa femme et ses enfants. Cette arrestation s’inscrit dans la rafle des 1eret 2 mai 1942 qui concerne 140 communistes ou présumés tels (dont certains avaient déjà été arrêtés soit en 1940 ou 1941) dans 3 départements (Cher, Loir-et-Cher, Loiret). Rafle opérée en représailles à la mort d’un Feldgendarme à Romorantin la nuit du 30 avril 1942.

Lire : Romorantin le 1er mai 1942 : un Feldgendarme est tué, un autre blessé. Arrestations, exécutions et déportations.

Treize romorantinais sont arrêtés. Cinq d’entre eux seront déportés comme Moïse Bodin à Auschwitz :  Victor Budin, Gustave CrochetOctave Hervaux,  Edouard RoguetDaniel Pesson.

Les autorités allemandes l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), probablement le 9 mai 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation. 

Depuis le camp de Compiègne, Moïse Bodin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Moïse Bodin est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «45 262 ». En l’absence de références aux registres du camp, j’avais reconstitué ce numéro, compte tenu de l’ordre des listes alphabétiques. Il me semble pouvoir être désormais validé après avoir comparé la photo d’immatriculation du déporté correspondant à ce numéro (1) avec sa photo provenant du Musée de la Résistance et de la Déportation du Loir-et-Cher à Blois.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date

Dessin de Franz Reisz 1946

Moïse Bodin meurt à Auschwitz le 25 octobre 1942 (date inscrite dans les registres du camp et transcrite à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz ; in Death Books from Auschwitz, Tome 2, page 109).

Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Son état civil porte toujours la date de décès inscrite à la Libération «
6 juillet 1942 à Auschwitz (Pologne)». Cette date est celle du départ du convoi. Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte les dates de décès relevées d’après le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz dans l’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site :
Les dates de décès à Auschwitz

in © Mémorial Gen-Web (son nom est sous le drapeau tricolore)

Moïse Bodin a été déclaré « Mort pour la France« .
Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Romorantin, quai de l’île Marin.

Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés. 

Sources

  • Mairie de Romorantin (Mme Valin, fiches de dénombrement des Internés et Déportés, service des Statistiques) et Mme Vally, Archiviste (1990).
  • Registres matricules militaires du Loir-et-Cher.
  • Photo en civil @ Musée de la Résistance et de la Déportation du Loir-et-Cher à Blois.
  • « La Résistance dans le Loir-et-Cher « , Op. édité par l’ANACR en 1964.
  • Liste établie en 1977 par le président de l’ADIRP du Loir et Cher, Georges Larcade, et communiquée à la commission d’histoire de la FNDIRP.
  • Archives du Centre de documentation juive contemporaine : XLIV-67. Chartres 23-10-1941.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • © Site Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Site www.mortsdanslescamps.com

Notice biographique rédigée en février 2011 (complétée en 2015, 2017, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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