Matricule « 46 248 » à Auschwitz

 

Charles Lépine : né en 1922 à Sannois (Seine-et-Oise) ; domicilié à Tergnier-Fargniers (Aisne) ; cheminot ; arrêté comme communiste le 1er mai 1942 ; prison d’Amiens, interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt. 


Charles Lépine est né le 30 janvier 1922 à Sannois (Seine-et-Oise / Val-d’Oise).
Il habite chez sa mère, au 35, rue des Écroyères à Tergnier-Fargniers (Aisne) au moment de son arrestation. C’est un petit pavillon aujourd’hui disparu, sur une parcelle toute en longueur.
Il est le fils d’Eugénie Lefêvre et d’Eugène Lépine, chef de train à la Compagnie des Chemins de Fer du Nord.
Il a un frère, Edmond.
Il est célibataire.

Ecole d’apprentissage / Compagnie des Chemins de fer du Nord

En 1936, Il est apprenti ajusteur à l’Ecole d’apprentissage de la Compagnie des Chemins de fer du Nord (en 1938,  Centre de formation SNCF de Ternier),  centre où se trouve également Jean Toussaint qui sera déporté avec lui.
Devenu cheminot, il est embauché comme ajusteur auxiliaire au Service du Matériel SNCF, aux Ateliers Voitures et Wagons de Tergnier.

Dès le 14 mai 1940, de Montcornet à Hirson, de Crécy-sur-Serre à Wassigny, les chars allemands bousculent tout sur leur chemin, non sans combats héroïques d’unités françaises, avant de toucher le Vermandois, le Chaunois, les confins du Laonnois et du Soissonnais puis le Sud du département jusqu’au 13 juin. Les blindés allemands de Gudérian sont devant Laon le 15 mai 1940. La Nordost Linie ou ligne noire (également appelée ligne du Führer), qui passe au sud de Laon est créée le 7 juillet 1940 et fonctionne le 20 juillet. Les « zones réservées » ainsi délimitées sont destinés à devenir des zones de peuplement allemand. Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris. L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ».
Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

En septembre 1940, trois anciens militants communistes de Tergnier Paul CailleMarcel Gouillard et Anselme Arsa (cheminot communiste, lieutenant-colonel FFI à la Libération) réorganisent le Parti communiste clandestin en créant un triangle de direction. « Une grande part de l’activité déployée était dévolue à la diffusion de propagande communiste » (in Le Maitron,  notice de Fernand Bouyssou.
Pendant l’Occupation, Charles Lépine devient membre du groupe de jeunes créé par Roger Debarre, composé de jeunes communistes et de sympathisants « avec l’objectif surtout d’aider au passage de réfugiés du Nord de la France (aqueduc du canal de St Quentin), d’aider les jeunes à partir vers l’armée du Général De Gaulle ou à passer en zone libre – sabotage des lignes électriques et des voies de chemin de fer – distributions de tracts appelant les Français à résister à l’occupant, étude et construction d’un poste émetteur » (témoignage de Roger Debarre, rescapé d’Auschwitz).

La nuit qui précède le 1er mai 1942, le groupe opère différentes actions de propagande à Quessy-centre : inscriptions sur la route pour appeler à la Résistance, oriflammes accrochés dans les fils électriques, distribution de tracts. « Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, la brigade de gendarmerie fut « alertée sur une distribution de tracts ». Une patrouille surprit Charles Lépine et Jean Toussaint, « porteurs de banderoles rouges ornées de la faucille et du marteau [ainsi que] de pots de peinture rouge. Les gendarmes récupèrent des tracts sur la voie publique et sept banderoles à Quessy et Fargniers. Une perquisition eut lieu chez Toussaint… » (Le Maitron).
Le 1er mai 1942 Charles Lépine est arrêté en flagrant-délit avec Jean Toussaint. Fernand Bouyssou, Roger Debarre  et d’autres militants sont arrêtés le même jour. Charles Lépine est tabassé par les gendarmes français de 23 heures à 6 heures du matin.

Le 2 mai 1942, Charles Lepine,  Jean Toussaint, Fernand Bouyssou, et Roger Debarre sont transférés à la prison d’Amiens. Le 6 mai, la cour spéciale de la ville condamne Fernand Bouyssou à trois ans d’emprisonnement et à 1200 francs d’amende, Roger Debarre, Charles Lépine et Jean Toussaint à un an d’emprisonnement et à 1200 francs d’amende chacun. Ils sont incarcérés à la prison d’Amiens le 21 mai 1942.
Puis ils sont remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci les internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le 22 mai 1942, en vue de sa déportation comme otage. A Compiègne, Charles Lépine reçoit le numéro matricule 5817, bâtiment C5, chambre 8.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Charles Lépine est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 248 » (selon la liste par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau).
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date

Dessin de Franz Reisz, 1946

Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date de son décès à Auschwitz qui est néanmoins antérieure au 18 mars 1943. A cette date on connaît en effet les noms des survivants d’Auschwitz I et ceux des 24 survivants de Birkenau (sur environ 600 hommes), dont 17 reviennent à Auschwitz I et Charles Lepine n’est pas parmi eux.

A la libération le jugement déclaratif de décès porte la mention « disparu le 15 mai 1945″. La mention désormais portée sur son état civil est tout aussi erronée : «décédé en juin 1942 à Auschwitz (Pologne) ». Or Charles Lépine est déporté de Compiègne à Auschwitz le 6 juillet 1942 ! L’arrêté ministériel du 9 août 1994 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès et paru au Journal Officiel du 29 septembre 1994 ne l’a pas corrigée.

SNCF Ternier, photo Didier Mahu 2010

Charles Lépine a été déclaré «Mort pour la France».
Il est homologué comme Résistant (au titre des Forces française de l’Intérieur (FFI) et comme Déporté Résistant (DIR), comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. Service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 364024.
Le titre de «Déporté résistant» lui a été attribué.
Le nom de Charles Lépine est honoré sur la plaque commémorative de la SNCF et celle des ateliers SNCF.

Sources

  • Témoignage Roger Debarre (cassette audio avril 1972).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau indiquant généralement la date de décès au camp.
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique rédigée en janvier 2011, complétée en 2020 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 »« , éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à
deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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