Matricule « 45.335 » à Auschwitz
Antoine Carrier : né en 1888 au village du Poutey à Beauronne (Dordogne) ; domicilié à Villeparisis (Seine-et-Marne); cultivateur, tailleur, manœuvre ; communiste ; arrêté comme otage communiste le 20 octobre 1941; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 26 septembre 1942.
Antoine Carrier est né le 30 août 1888 au village du Poutey à Beauronne (Dordogne). Il habite 2, rue Pasteur à Villeparisis (Seine-et-Marne), au moment de son arrestation.
Antoine Carrier est le fils d’Anna Malbet dite Lia et de Jean Carrier, 28 ans , sabotier, son époux.
Il est tailleur de profession.
Selon sa fiche matricule militaire, Antoine Carrier mesure 1m 62 a les cheveux châtain foncé et les yeux bleus clairs, le front moyen, le nez rectiligne et grand, les lèvres minces et le lobe des oreilles collé, le visage long. Il a une légère cicatrice à la joue gauche.
Il travaille à Saint-Michel (canton de Mussidan) comme cultivateur au moment du conseil de révision. Il a un niveau d’instruction « n° 2 » pour l’armée (sait lire et écrire).
Conscrit de la classe 1909, il est appelé au service militaire et incorporé au 63è régiment d’infanterie à la caserne Beaupuy à Limoges le 1er octobre 1909. Le 24 septembre 1911, il est « renvoyé dans la disponibilité », « certificat de bonne conduite accordé » et passe dans la réserve de l’armée active
au régiment d’infanterie de Limoges. Il « se retire » à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), au sud de Limoges.
Le 2 novembre 1912, il a déménagé au 137, avenue Gambetta, à Angoulême (Charente).
Le 27 janvier 1914, Antoine Carrier épouse Édith, Alphonsine Maupin à la mairie d’Angoulème. Le couple a un garçon, Raymond.
Le 14 avril 1914, le couple a emménagé au 2, rue de la Clarté, à Périgueux (Dordogne).
Le décret de mobilisation générale du 1er août 1914, rappelle Antoine Carrier « à l’activité » militaire. Il est mobilisé au 63è régiment
d’infanterie à Limoges et arrive au corps le 3 août. Son régiment est envoyé « aux armées » à partir du 9 août. Jusqu’au 19 juin 1915 Antoine Carrier va participer aux combats (campagne d’Argonne, 1ère bataille de la Marne, Reims, Remenauville. Du 20 juin 1915 au 12 février 1916, il est renvoyé « à l’intérieur » au dépôt du 63è RI. Le 12 février 1916, il est réformé temporaire de 2è catégorie par la commission de réforme de Limoges pour « albuminurie constatée ». Le 9 mai 1916, l’armée inscrit comme domiciliation : 70, rue de Périgueux, à Angoulême. Il est maintenu « réformé temporaire » par la commission de réforme d’Angoulême le 23 mai 1916 (le terme « temporaire » applique la loi Dalbiez du 17 août 1915 qui fait la chasse aux « embusqués »). Il est classé « service armé, à hospitaliser en observation » le 3 janvier 1917 (CR de Limoges) et affecté au 63è RI. Le 13 février 1917, il arrive au centre spécial de réforme de Limoges. Le 25 avril 1917 celui-ci le classe « service auxiliaire, inapte aux armées », pour « néphrite ancienne, mais très améliorée, traces sensibles mais indosables d’albumine… ». Le 26 mai 1917 Antoine Carrier arrive au 63è régiment d’infanterie. Il est détaché à la Poudrerie nationale d’Angoulême le 14 août.
Le 16 août, il « passe » au 107ème R.I. Il est alors détaché à la Compagnie des produits chimiques de Grand-Quevilly (Seine-Inférieure) le 16 juin 1918, et « passe » le même jour au 39è Régiment d’infanterie. Le 14 septembre de la même année il est détaché à la Fonderie nationale de Ruelle à Ruelle (Charente). Le 8 octobre, il « passe » au 107è R.I. et le 14 février 1919, au 37è R.I. Le 12 juillet 1919, il est envoyé en congé illimité de démobilisation (rattaché au dépôt du 79è RI.
La commission de réforme de Bergerac en 1922 le maintient « service auxiliaire » sans pension d’invalidité.
Le couple Carrier divorce en 1927 ; le garçon reste avec sa mère.
Antoine Carrier est affecté pour la réserve de l’armée à la Poudrière de Bergerac en 1932 où il travaille alors. Il est rayé des contrôles de la Poudrière en 1934 et de fait classé « sans affectation ». Il est « dégagé d’obligations militaires » le 15 octobre 1937. Il habite ensuite au 21, rue Pasteur à Villeparisis en région parisienne. « Antoine Carrier “monte” à Paris où il apprend le métier de tailleur en confection. Il rencontre Armandine (“Didine”), née Limberger le 30 juin 1895, veuve de Louis Deffontaine, mort des suites de son engagement sur le front en 1914-1918, duquel elle a eu un garçon, Roger, né en 1915. Ils se mettent en ménage et font construire une maison dans un lotissement au 21, rue Pasteur à Villeparisis.
Le couple a un garçon, Claude (“Doudou”), né le 9 juillet 1932. Dans un atelier au fond de son jardin, Antoine Carrier exerce son métier de tailleur pour le magasin Lorys, tailleur chemisier, rue Auber à Paris. Il emploie jusqu’à trois ouvrières. Militant communiste, il est secrétaire de la section de Villeparisis, où il est plus connu sous le prénom de Marcel» (in Souvenirs d’un Villeparisien).
Il est donc bien connu comme communiste par les services de police, et son nom figurera sur une liste de communistes susceptibles d’être choisis comme otages, avec la mention «ancien responsable communiste». Cette liste datée du 25 août 1941 émane de préfecture de Melun (In document XLIV- 59-60, Saint Germain 24 décembre 1941).
Le 13 juin, des éléments de l’armée allemande atteignent le canal de l’Ourcq au sud de Mitry-Mory. Il sont surpris par des nids de résistance militaire. Jusqu’à 19 heures, l’entrée de Villeparisis est le théâtre d’âpres combats. Rendues furieuses par cette résistance de militaires français, les troupes allemandes s’en prennent à la population civile. 15 otages, habitants de Villepinte, Mitry-Mory et Villeparisis sont fusillés. Fontainebleau est occupé le 16 juin 1940. Une Kreiskommandantur, située boulevard Jean Rose à Meaux, va exercer son autorité sur l’arrondissement de 1940 à 1943. Le 14 juin, l’armée allemande était entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
« Sous l’occupation, n’ayant plus de débouché pour sa production textile, Antoine Carrier se fait embaucher comme manœuvre dans une entreprise de travaux publics, la société La Route, située à Pomponne. Devant la tournure inquiétante des événements, le couple se marie le 20 août 1940 » (in Souvenirs d’un Villeparisien).
Antoine Carrier est arrêté le 20 octobre 1941 à son domicile par la police française et la Felgendarmerie en même temps qu’Albert Bonvalet et Gabriel Rey, qui seront également déportés à Auschwitz. Les 19 et 20 octobre 1941, de nombreux élus ou militants communistes du département sont arrêtés. Parmi eux, 44 seront déportés à Auschwitz. Lire dans le site la rafle des communistes en Seine-et-Marne, octobre 1941.
A la demande des autorités allemandes, Antoine Carrier et ses camarades de Seine-et-Marne sont transférés par car au camp de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122), le 20 octobre 1941.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Antoine Carrier est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 335 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (1) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance
intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Le matricule sera tatoué sur les avant-bras gauches des déportés quelques mois plus tard. Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Antoine Carrier meurt à Auschwitz le 26 septembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz ; in Death Books from Auschwitz, Tome 2, page 158).
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.
Antoine Carrier est homologué au titre de la Résistance Intérieure Française (RIF, Front national) comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. Service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 108789.
Il est homologué « Déporté politique » (carte n° 1175/6458 délivrée à sa veuve le 17 mai 1963).
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 15-11-1987).
- Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Archives en ligne de Dordogne.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau indiquant généralement la date de décès au camp.
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense). « Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948« , établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- « La Résistance en Seine et Marne« , Claude Cherrier et René Roy, (Presses du Village).
- Courriel du 17 juillet 2011 de Josette Besson, petite fille d’Antoine Carrier, qui me communique les photos et informations envoyées par son père à l’association « Mémoire vive« , ainsi que le témoignage de celui-ci à propos de Gabriel Rey.
- Souvenirs d’un Villeparisien (site internet Villeparisis Histoire).
- Registres matricules militaires de Dordogne.
Notice biographique installée en 2011, complétée en 2017 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) . Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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