Matricule « 45 385 » à Auschwitz

Robert Collignon : né en 1902 à Voillecomte (Haute-Marne) ; domicilié à Eurville (Haute-Marne) au moment de son arrestation ; chauffeur routier ; trésorier de la cellule communiste d'Eurville ; arrêté comme otage communiste le 22 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt.

Robert Collignon est né le 21 novembre 1902 à Voillecomte (Haute-Marne).
Il habite 22, rue Picard à Eurville (Haute-Marne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Emelie, Clémentine Fromont, 30 ans, sans profession et de Jules, Joseph , Alfred Collignon, 38 ans, manouvrier, son époux.
Au domicile de la famille vivent – au recensement de 1906 – outre ses parents – sa grand-mère maternelle, Adelphine Thérot, manouvrière et ses trois frères aînés : Henri, né en 1892, Maurice, né en 1897 et Roger, né en 1900. La famille n’habite plus le bourg lors du recensement de 1911.
Conscrit de la classe 1922, Robert Collignon doit effectuer un service militaire de 3 ans, mais celui-ci est ramené à 18 mois par la loi du 1er avril 1923.

Robert Collignon épouse Marcelle,
Marie, Alida, Célestine Didier le 9 juillet 1930  à Eurville.
Le couple a trois enfants qui naissent à Eurville : Liliane, en 1932, Jean et Jacques, en 1935.
Il est chauffeur-routier, et gère le dépôt Shell à Eurville.
Membre du Parti communiste, il est trésorier de la cellule d’Eurville.  Adhérent du « Secours Rouge », il a collecté des vêtements pour les enfants espagnols durant la guerre civile.
Mobilisé à la déclaration de guerre, il effectue son service au camp de Cintegabelle (Haute-Garonne).

Le 10 mai 1940, la Luftwaffe bombarde le terrain d’aviation de Saint-Dizier et la ville de Joinville. Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Saint-Dizier. Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 15 tout le département de la Haute-Marne est occupé.  Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. La Haute-Marne est coupée en deux : l’est devient « zone interdite », destinée au repeuplement allemand comme le veulent les nazis, ou à la création d’un Pays Thiois ou Grande Flamande (comme le revendiquait le mouvement irrédentiste flamand), l’ouest se transforme en territoire de stationnement des troupes de la Wehrmacht. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Robert Collignon est démobilisé en septembre 1940 dans l’Ariège. Il n’aurait plus été communiste, selon sa fille, qui pense, après en avoir parlé avec le curé du village, que son père était choqué d’avoir à « saboter » et à « agir contre la France au nom de l’Internationnale ». «Mon père connaissait une filière de la Résistance vers l’Espagne, et attendait pour passer en Angleterre ».

Robert Collignon est arrêté le 22 juin 1941
, « un dimanche soir, aux environs de 19 h, alors qu’il se reposait dans le jardin, après une journée passée au bois à faire des piquets pour les tomatesse souvient sa fille LilianneAu nombre de 4 ou 5, les Allemands étaient venus en camion et armés. Deux d’entre eux sont entrés et l’ont suivi partout dans la maison alors que ma mère lui préparait quelques affaires. J’avais 8 ans et demi et je ne savais pas que ce jour-là, le monde s’écroulait pour moi.. »
Cette arrestation a lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom « d’Aktion Theoderich », les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française.
D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (la prison de Chaumont pour la Haute-Marne), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.

A Compiègne, matricule 122- ZI- 587 (ZI = Zivil Interniert, interné civil)

Il est dirigé le jour même sur le camp allemand de Compiègne (le Frontstalag 122)il reçoit le n° matricule 587.
« Puis ce fut l’attente. les nouvelles étaient rares. Je vous joins la photocopie de la lettre inachevée que mon père a pu nous faire parvenir, lors d’un arrêt vers Revigny, par une personne qu’il connaissait. Lettre jointe à un petit paquet contenant la chaîne dont il parle dans sa lettre (faite dans un bout de bois de son lit) ».
Robert Collignon parvient à jeter, depuis le wagon à bestiaux qui le transporte, une boîte contenant lettre, chaîne sculptée et couteau. Sur le message griffonné, il dit à sa famille : «Nous avons quitté Compiègne ce matin… et partons sûrement travailler en Allemagne… Peut-être passerons-nous Eurville… La libération, faut plus y compter
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Robert Collignon est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Lettre du train jetée par Robert Collignon (photo montage du recto-verso, Pierre Cardon)

Dans le convoi, il réussit lors d’un arrêt vers Revigny, à faire passer une lettre et un petit paquet à sa femme (document ci-joint). Il lui annonce l’envoi de « quelques affaires, et d’une chaîne, faite avec un bout de planche de son lit« . Il l’avertit de son départ probable pour l’Allemagne, et indique la présence dans le train « de tous les copains de Joinville, et des Collas père et fils, de Savonnière« .
 » Robert Collignon parvient à jeter, depuis le wagon à bestiaux qui le transporte, une boîte contenant lettre, chaîne sculptée et couteau. Sur le message griffonné, il dit à sa famille : «Nous avons quitté Compiègne ce matin… et partons sûrement travailler en Allemagne… Peut-être passerons-nous Eurville… La libération, faut plus y compter.» In Facebook © Club Mémoires 52.

Robert Collignon le 8 juillet 1942

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 386 ».
La photo du déporté portant ce numéro matricule a été identifié en comparaison avec un portrait civil, (C.f. site de l’association « Mémoire vive »), ce que sa fille, âgée de 8 ans et demi au moment de son arrestation n’avait pu me confirmer en 1990.

cette photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Aucun document des archives SS préservées de la destruction, ne permet de connaître la date du décès de Robert Collignon à Auschwitz.
Par un jugement déclaratif de décès du 14 mars 1947, le ministère des Anciens Combattants établissait la date de sa mort « en 1943, mois inconnu ». L’arrêté du 9 novembre 1987 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès paru au Journal Officiel du 24 décembre 1987, reprend cette même date « décédé en 1943 à Auschwitz ».
Robert Collignon a été déclaré « Mort pour la France » le 19 mai 1947.
Robert Collignon est homologué « Déporté politique » le 26 mars 1954.
Il est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Son nom est honoré sur le monument aux Morts d’Eurville.

Sources

  • Lettre de sa fille, Madame Lilianne Klein (juin 1990)
  • Photocopie de la lettre du convoi.
  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par sa fille Mme Lilianne Klein (juin 1990).
  • Blog du club Mémoires 52, association de recherches historiques consacrées au département de la Haute-Marne, créée, en 1991, par Jean-Marie Chirol (1929-2002).
  • Photo tirée de « 36 communistes ou sympathisants Hauts-Marnais arrêtés comme otages le 22 juin 1941 et photographiés à leur arrivée au camp de Compiègne, le 27 juin 1941 ». In © Club Mémoire 52
  • Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), SHD-Ministère de la Défense, Caen.

Notice biographique rédigée en novembre 2010, complétée en 2015, 2018, 2021 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942«  Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *