Matricule « 46 139 » à Auschwitz

Marcel Thibault ©  Daniel Guillon
Marcel Thibault à Auschwitz

 

Marcel Thibault : né en 1898 à Rochefort-sur-Loire (Loire) ; domicilié à Laval (Mayenne) ; agent des lignes PTT ; cégétiste et communiste ; arrêté en février 1941, libéré pour raison de santé ; arrêté comme otage communiste le 22 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Gusen II en décembre 1944 ou après le 5 mai 1945.

Marcel Thibault est né le 22 novembre 1898 à Rochefort sur Loire (Loire). Il habite au 38, rue Saint-Jean à Laval (Mayenne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Bourgeois, 28 ans, sans profession et de Louis Thibault , 35 ans son mari.
Il est cordonnier, puis monteur aux postes.
Il obtient le CEP en 1908 puis effectue son apprentissage de cordonnier chez monsieur Goubault à Rochefort-sur-Loire.
Conscrit de la classe 1918, Marcel Thibault aurait du être mobilisé par anticipation en 1917, comme tous les jeunes hommes de sa classe. Mais il signe un engagement volontaire de 4 ans le 12 février 1917 à la Mairie d’Angers, ce qui lui permet d’être affecté dans un régiment d’artillerie.
Son registre matricule militaire indique qu’il habite à Rochefort-sur-Loire au moment du conseil de révision et y travaille comme cordonnier. Marcel Thibault mesure 1m 63, a les cheveux châtain foncé, les yeux marron, le front haut, le nez gros et le visage ovale.

Il arrive au 118è Régiment d’artillerie le 14 février. Après 6 mois d’instruction comme canonnier de deuxième classe, il est envoyé « aux armées » le 24 juin 1917. Le 118è RAL est engagé sur la Meuse, la Marne, à la bataille de Montdidier, à Verdun, dans l’Oise en 1918. Le 1er janvier 1920, Marcel Thibault est évacué sur l’hôpital de Mourmelon, et ne rejoint son unité que le 14 avril 1920.
Il est démobilisé le 12 février 1921 et se retire » à Rochefort-sur-Loire, café de la Promenade.
Pour la réserve de l’armée, il a d’abord été affecté (en cas de mobilisation dans le cadre du plan A) au 33è R.A.C., puis au 9è RA.
En 1921, il ouvre une échoppe de cordonnier à Tours, place Velpeau.
En 1921, il rencontre Henri Venon, militant syndicaliste de la Fédération des cheminots, dont il épouse la fille.
Le samedi 10 septembre 1921, à Rochefort-sur-Loire, Marcel Thibault épouse  Yvonne, Henriette Venon, née le 27 août 1901 à Tours (Indre et Loire), retoucheuse photo. Elle décède le 14 décembre 1923 à Tours.
Le couple a eu un garçon, Jacques Marcel, né en 1922.
Marcel Thibault adhère à la « Fédération internationale ouvrière », qu’il quitte en 1923 pour entrer au Parti communiste.

Marcel Thibault épouse en deuxièmes noces le jeudi 2 juillet 1925 à Richelieu (37), Albertine Honoré (née le jeudi 5 janvier 1905 à Richelieu (37) et décédée le 4 novembre 2003).
En 1926, il travaille comme ouvrier des Postes et Télégraphes à Tours. Pour l’armée, cet emploi le fait alors « passer » théoriquement dans la réserve de l’armée active, à la téléphonie militaire de la 9è région le 26 avril 1926 en tant qu’« affecté spécial » (il serait mobilisé à son poste de travail encas de conflit).
Nommé à Laval comme agent des lignes en 1927, après avoir passé différents concours, il devient chef monteur en lignes téléphoniques à Laval, puis agent principal des PTT.
En juin 1928, le couple habite Laval au 29, rue Roquet de Patience.
Catholique et communiste, il est aussi militant cégétiste.
En octobre 1933, ils déménagent au 33, rue Saint Jean, toujours à Laval. Marcel Thibault y sera domicilié jusqu’à son arrestation.

Le 33, rue Saint Jean à Laval

En 1934 Marcel Thibault est secrétaire du Comité antifasciste de Laval, regroupant organisations de gauche et syndicats, après le 6 février 1934.
« Il est candidat du Parti communiste aux municipales (mai 1935 et avril 1936) et au Conseil général (1937). En 1936, il est le secrétaire de la Section mayennaise de la Fédération Postale de la CGT  » (Le Maitron).
En 1937, secrétaire de la Section communiste de Laval, il s’occupe activement du Comité d’accueil des enfants de réfugiés espagnols.
Il est vraisemblablement rayé de l’Affectation spéciale, comme la quasi-totalité des fonctionnaires connus comme communistes au moment de la dissolution du Parti communiste. « Son appartement est perquisitionné le 28 septembre 1939 : tracts, lettres, imprimés relatifs au Parti communiste y sont trouvés » (Daniel Guillon).
Il est donc rappelé aux armées par le décret de mobilisation générale.
« Mobilisé en 1939, il finit les premières hostilités en Ardèche, à Viviers, où il est démobilisé » (acte).

Le 17 juin 1940, venue du nord-est du département, l’armée allemande entre dans Laval sans rencontrer de résistance. Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées.  Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). Des camps d’internement sont ouverts à Lassay, Ernée, Laval, et Châteaubriant.

Le 21 février 1941, Marcel Thibault est arrêté à Laval par la police française après une distribution de tracts et interné au château de Lassay. Il est suspendu de ses fonctions aux PTT dès le 22 février, puis libéré le 17 mai 1941 pour raisons de santé. 
Il est arrêté à nouveau
par la Gestapo, à Laval le 22 juin 1941 pour « distribution de tracts communistes et anti-allemands »  et il est à nouveau suspendu de ses fonctions aux Postes le lendemain.

Son arrestation a lieu dans le cadre d’une grande rafle concernant les milieux syndicaux et communistes. En effet, le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ici Laval), ils sont envoyésen vue de leur déportation comme otages, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), le Frontstalag 122 administré par la Wehrmacht.
Interrogé sur place durant 16 jours, il est transféré à la prison de Rennes le 10 juillet 1941 (acte).
Comme tous les militants arrêtés entre le 22 et le 27 juin, il est envoyé en vue de sa déportation comme otage au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), le Frontstalag 122 administré par la Wehrmacht, qui est devenu le « camp des ennemis actifs du Reich ».
Il y est transféré le 24 juillet 1941.
A Compiègne, il reçoit le matricule « 1388 » (acte), sans doute le 27 ou le 28 juillet.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Marcel Thibault est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 139 ».

Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Grâce au carnet de Roger Abada écrit au camp de Dora, on sait qu’il fait partie de la Résistance du camp.

Carnet de Roger Abada

Malade, il passe 13 mois à l’infirmerie du camp (hernie, pleurésie, paralysie d’un bras).
Il est sauvé 3 fois par ses camarades réussissant à supprimer son matricule de la liste de ceux qui doivent être gazés. Il sera ensuite standardiste dans un laboratoire de bactériologie du camp (selon un de ses camarade communistes rescapé, Willy Betz).

Lire dans le site : Les 45000 pris dans le chaos des évacuations (janvier-mai 1945) et Itinéraires des survivants du convoi à partir d’Auschwitz (1944-1945)

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".

Fiche de Mauthausen de Marcel Thibault

Le 28 août 1944 Marcel Thibault est transféré vers Flossenbürg qui ne sera qu’une étape brève. Il y reçoit le matricule  « 19 889″.
Puis il est transféré vers le camp de Mauthausen (le 20 octobre) où il arrive le 23 octobre 1944.
Il y est immatriculé sous le numéro « 108 786″.

Fiche de Gusen (25/10/1944)

Il est immédiatement envoyé, le 25 octobre) au Kommando Gusen II, où il reçoit le matricule « 112 172″.

Selon le document envoyé à sa famille le 12 novembre 1948 par le ministère des anciens combattants (acte), il serait décédé à Gusen, en décembre 1944.
Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date de son décès. L’état civil français n’ayant pas eu accès aux archives du camp a fixé celle-ci en décembre 1942 sur la base du témoignage de deux de ses compagnons de déportation.
Au Journal Officiel en 2000, il est déclaré mort en déportation à Gusen le 1er décembre 1944.
Cependant d’après Roger Pélissou (rescapé du convoi) il serait mort d’épuisement à la fin du mois d’avril ou au début de mai 1945. Et un autre camarade déporté dans ce camp a déclaré l’avoir vu vivant le 5 mai 1945 dans l’enceinte du camp de Mauthausen.
De plus un journal (« Libres« ) paru la veille de la libération du camp de Mauthausen, indique la liste des prisonniers libérés.
Dans cette liste, est mentionné «Marcel Thubault monteur aux postes à Laval».

La plaque de prisonnier de Marcel Thibault sera retrouvée sur un cadavre exhumé du cimetière américain de Mauthausen en 1955.
En 1955, à la demande du Ministère des anciens combattants, des recherches sont faites auprès de son dentiste pour identifier la dépouille et ses mâchoires, mais les archives de ce médecin ayant été détruites par les Allemands, il ne pourra répondre à la requête. Et dans sa réponse, il précise ne pas se souvenir de certains points énoncés par le médecin légiste militaire….
La dépouille est donc attribuée à Marcel Thibault en l’absence d’avis favorable ou défavorable…
Elle fera partie d’un convoi concernant le rapatriement de 1830 français à Strasbourg le 10 janvier 1956. Une cérémonie nationale aura lieu en cette ville le 15 du même mois.
Son corps sera ensuite ramené à Nantes avant son inhumation le vendredi 20 juillet 1956 à Rochefort-sur-Loire (49).

En conséquence, la date de décès indiquée dans « Triangles rouges à Auschwitz » n’est pas certaine mais son décès a vraisemblablement eu lieu, non en décembre 1944, mais après le 5 mai  1945.
Le XXè Congrès de l’UD-CGT en 1945 l »en nomme membre d’honneur.
Il est déclaré « Mort pour la France » le 15 novembre 1948. Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres
    de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Daniel Guillon (époux de la petite-fille de Marcel Thibault) : envoi le 31 mai 2010 à l’adresse de ce site d’une biographie détaillée, s’appuyant sur des documents de famille, d’une photo d’avant guerre. Elle a été complétée par mes soins à partir des documents recueillis en 1990.
  • Témoignage de M. Huet.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp. – Dossier individuel au Bureau des archives des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, Tome 42, page 136. Notes de J. Omnes.
  • Témoignages : Maurice Rideau – Roger Pelissou – Roger Abada – M. Nouaille – M. Degorce.
  • Mairie de Rochefort sur Loire (23 septembre 1993)
  • Mairie de Laval. (Acte de décès)

Notice biographique rédigée en novembre 2005 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005). Elle a été complétée en mai 2010, 2021 et 2024, grâce aux documents biographiques communiqués par Daniel Guillon (époux de la petite fille de Marcel Thibault). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com.

2 Commentaires

    1. Les registres des naissances de Tours en 1928 ne sont pas accessibles par internet. Je viens de le constater. Il m’est donc impossible de vous apporter une réponse. Il faut faire une demande auprès de la mairie de Tours et demander un extrait d’acte de naissance. Vous aurez alors la possibilité de voir s’il s’agit bien d’un fils du déporté Marcel Thibault. J’ajoute que le décès en Indochine supposerait que son fils se soit engagé dans les armées de la Libération pour poursuivre les combats de son père et qu’il ait ensuite été engagé en Indochine.
      C’est un parcours militaire tout à fait plausible, dont nous avons eu connaissance pour un fils de résistant de nos connaissance.
      Cordialement

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