Victor Dieulesaint : né à Nantes en 1895, où il habite au moment de son arrestation; zingueur puis manutentionnaire à la Manufacture des tabacs ; marié; mutualiste, militant Cgt, communiste ; arrêté le 23 juin 1941; déporté à Auschwitz, où il meurt le 3 octobre 1942

Victor Dieulesaint est né au domicile de ses parents le 6 août 1895 route de Paris à Nantes, 2è canton (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique), où il habite au 52, rue des Chambelles au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Alexandrine, Louise, Marie, Vallée, 19 ans, blanchisseuse et de Victor, Louis, Marie, Dieulesaint, 28 ans, couvreur, son époux. 
Lors du conseil de révision, Victor Dieulesaint habite à Nantes, avec sa mère (son père est décédé) au 5, place de la petite Hollande, puis au 15, rue Coulmiers.

La « Manu » à Nantes

Il  travaille comme couvreur zingueur.  Très tôt, vers 1919, il sera embauché comme manutentionnaire à la « Manu » (Manufacture des tabacs). 

Le 15 mai 1914 à Nantes, deuxième canton, Victor Dieulesaint épouse Henriette, Mélanie, Françoise Delay (1894-1986).
Mineure, fille de boulanger, elle travaille comme  lingère.
Elle est née le 10 mars 1894 au Havre.
Le couple a un enfant, Louis, qui naît à Nantes l’année du mariage.

Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 58, a les cheveux bruns, les yeux gris, le front et le nez moyens et le visage ovale. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1915, mais soutien de famille, il est recensé avec la classe 1917 et déclaré « bon pour le service armé). Il est toutefois mobilisé par anticipation le 8 septembre 1915 en application du décret de mobilisation générale. Il est incorporé au 64è régiment d’infanterie. En 1916, il est évacué du front pour maladie. Lors de la bataille de la Somme, dans les ruines du village d’Estrées et ce qui fut le bois de Déniécourt, il est grièvement blessé par 2 éclats d’obus différents le 3 septembre 1916 (plaie dans la région pariétale occipitale). Deux fois trépané, il est hospitalisé jusqu’au 12 février 1917. Le 17 février, il est alors classé « service auxiliaire » par la commission de réforme d’Ancenis (Loire-Inférieure).

Croix de guerre avec palmes

Le 29 mars 1917, il « passe » au 65è régiment d’infanterie : la commission de réforme de Nantes du 24 mai le maintient « service auxiliaire ». Le 7 mai 1918, il est proposé pour une réforme temporaire n°1 « avec gratification » pour « double perte de substance osseuse crâne). Le 6 novembre 1918 il est officiellement « réformé temporaire n° 1 » et  il habite alors au 15, rue de Coulmiers à Nantes, tout proche de la Manufacture des tabacs, où il va travailler comme manutentionnaire (au n° 15 existe toujours un « bistro de la Manu »).
Cité à l’ordre du jour du corps d’armée le 26 mai 1920, il reçoit la croix de guerre avec palme : « Bon soldat, dévoué et courageux. A été blessé très grièvement en se portant à l’attaque le 3 septembre 1916 à Estrée ».
Il habite à sa libération au 2, rue de la Havane à Nantes.

En 1920 il devient titulaire d’un emploi réservé aux militaires pères de deux enfants, comme ouvrier du cadre de fabrication (J.O. du 20 septembre 1920). A cette date, la famille habite au 2, rue de la Havane à Nantes.
En 1926, le couple s’est installé Chemin des Chambelles (aujourd’hui rue des Chambelles).

Victor Dieulesaint adhère à la CGT et au Parti communiste
, au sein duquel son frère, cheminot, est un militant très actif.
La commission de réforme de janvier 1930 lui accorde une pension de 70 % (addition des différentes imputations) et reconnait qu’il souffre du syndrome subjectif des trépanés (crises nerveuses à base d’énervement). En 1931, la famille habite au 52, rue des Chambelles (avec son épouse Henriette, leur fils Louis, la mère et la grand-mère de Victor Dieulesaint).
Un décret du 31 février 1932 lui octroie la médaille militaire avec traitement.

Victor Dieulesaint est très investi dans la solidarité ouvrière et la Mutualité.
En 1934, il est administrateur de la Société de secours mutuels des ouvriers de la Manufacture des Tabacs de Nantes. A ce titre, il reçoit du Président de la République la « mention honorifique » récompensant les services rendus à la Mutualité (JO du 15 février 1934).
La commission de réforme de Nantes le reconnait « Réformé Définitif n°1 à 75 % » en novembre 1937 et le 19 septembre 1940.
En 1936, les parents habitent seuls. Son épouse est cigarière.

Nantes, juin 1940, véhicules d’officiers allemands devant la chapelle de l’Oratoire © D. Bloyet

Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Nantes est occupée le 19 juin 1940 à midi.  La Kommandantur juge lesprit de collaboration » (Zusammenarbeit)de la mairie SFIO insuffisant et exige chaque jour 20 otages… Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Victor Dieulesaint est arrêté le 23 juin 1941 à son travail, à la Manufacture des Tabacs, par les Allemands (qui lui demandent s’il a travaillé à la SNCF, le confondant sans doute avec son frère).

Il est regroupé avec d’autres militants, dont Antoine Molinié, au camp du Champ de Mars à Nantes.
Cette arrestation a lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom « d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.
D’abord incarcéré à la prison du Champ de Mars de Nantes, il est transféré au camp allemand de Compiègne (Frontstalag 122) le 13 juillet 1941. Il y reçoit le matricule « 1248 ».

Liste allemande des otages nantais fusillables (il est tabakarbeiter, ouvrier dans manufacture de tabac)

Il y devient un otage « fusillable » : le 20 avril 1942, son nom est inscrit sur une des 2 listes de 36 et 20 otages envoyés par les services des districts militaires d’Angers et Dijon au Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF), après l’attentat contre le train militaire 906 à Caen et suite au télégramme du MBF daté du 18/04/1942. Le Lieutenant-Général à Angers suggère de fusiller les otages dans l’ordre indiqué (extraits XLV-33 /C.D.J.C).

Les noms de cinq militants d’autres départements, qui seront déportés à Auschwitz, figurent également sur ces 2 listes (André Flageollet, Jacques Hirtz, Alain Le Lay, René Pailolle, André Seigneur). 17 militants de Loire-Inférieure internés à Compiègne sont déclarés otages «fusillables ». 10 d’entre eux seront déportés à Auschwitz : Alphonse Braud, Eugène Charles, Victor Dieulesaint, Paul Filoleau, André Forget, Louis JouvinAndré Lermite, Antoine Molinié, Gustave Raballand, et Jean Raynaud. Les sept autres internés déjà à Compiègne sont Maurice Briand (déporté à Sachsenhausen / décédé en 1943), Roger Gaborit (déporté à Buchenwald / rescapé), Jules Lambert (déporté par le convoi du 24 janvier 1944), François Lens (déporté à Sachsenhausen / décédé lors de l’évacuation en 1945), Jean-Baptiste Nau (déporté à Buchenwald où il décède), Raoul Roussel (mutilé de guerre). L’Abwehr-Angers confirme cette liste, dans un courrier du 19 mars 1942 (n° 6021/42 II C3).

Depuis le camp de Compiègne, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Victor Dieulesaint est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.  

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

A Auschwitz, selon le témoignage de rescapés, il travaille sur les chantiers. Mais son numéro d’immatriculation n’est pas connu. Le numéro « 45 477 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Victor Dieulesaint meurt le 3 octobre 1942 d’après les registres du camp.
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.

Sources

  • Témoignages de Gustave Raballand et d’Eugène Charles.
  • Questionnaire rempli par sa belle-fille, Madame veuve Jeanne Dieulesaint, le 19 novembre 1990 et conversation téléphonique avec Claudine Cardon-Hamet en novembre 1990.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés). 
  • Liste des 17 otages nantais (transmise par M. Louis Oury).
  • © Etat civil et Registres matricules militaires de Loire-Atlantique.
Dédicaces de « triangles rouges » après la conférence

Notice biographique réalisée en avril 2002 (complétée en 2009, 2015, 2017, 2021 et 2024) pour la deuxième exposition de l’AFMD de Nantes, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005.  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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