1939-1941 : des clubs sportifs servent de couvertures aux réunions de jeunes résistants communistes

Le 12 octobre 1941, à La Belle Epine (Thiais), quelques joueurs du club sportif omnisports du 14è. Gabriel Ponty est au centre avec le ballon. René Deslandes est au premier rang, deuxième en partant de la gauche. © Andrée Ponty et André Deslandes. Le terrain de La Belle épine avait été mis à la disposition des Clubs par la ville de Villejuif (voir notice de Georges Le Bigot)
Avec l'interdiction du Parti communiste et des organisations de jeunesse qui lui étaient proches (le 26 septembre 1939) par le gouvernement Daladier, la répression policière vise l’activité clandestine et les rassemblements des anciens militants. Quelques jeunes communistes décident alors d'utiliser leurs clubs sportifs pour se rencontrer sans attirer l’attention (1). Ce mode de "couverture" va s'amplifier avec l'occupation allemande et la répression vichyste. Parmi ces sportifs, plusieurs seront déportés à Auschwitz.

Des clubs sportifs municipaux créés lors du Front populaire ou des clubs travaillistes, affiliés à la FSGT, vont ainsi servir de lieux de rassemblements. Les entrainements après le travail et les rencontres en championnat le samedi ou le dimanche, offrent en effet la possibilité de se réunir au grand jour. Certains, comme RIVET Roger à Vierzon, ont même réussi à solliciter des rencontres amicales par voie de presse, ce qui permet impunément de rencontrer des militants d’autres villes !

ERSL Levallouis, André Duret

Nous avons des témoignages de ce mode de couverture à Levallois avec l’ERSL d’André Duret, qui va affilier son L’club à la FSGT-USGT qui collabore avec les Allemands (il utilise même la machine à écrire du club pour taper les stencils de la Jeunesse communiste clandestine, ce qui lui sera fatal), à

L’US Fresnes Paul Denizou et Léon Conord (à droite)

Fresnes avec Léon Conord et Paul Denizou qui entraînent les minimes du foot’, à Créteil avec René Besse et Paul Hervy, à Dijon à l’USOD créé par la municipalité de Front populaire avec Paul Charton, en Meurthe-et-Moselle avec les antifascistes italiens qui avaient créé bien avant-guerre des clubs FSGT face aux clubs largement sponsorisés par l’Italie fasciste, dans le cadre de la conception mussolinienne des  « Fasci all’estero », à Chémery (Loir-et-Cher) avec l’US Chémery où joue Clotaire Paumier licencié à la FFFA.
C’est pour deux clubs FSGT de Paris que nous avons trouvé le plus d’informations.

L’Union sportive du 14è arrondissement : du Club « Jean Jaurès » au club « Borotra »

Gaby Ponty

Gabriel Ponty est un footballeur de bon niveau à l’Union sportive du 14è à Paris, affiliée avant-guerre à la FSGT. Il est également secrétaire du cercle des jeunesses communistes du 14è. Il va utiliser les entrainements du club comme couverture des activités politiques de la JC clandestine. Mais il dispute vraiment les rencontres du championnat avec un autre militant, René Deslandes, lui aussi membre du club.

Carte de l’Union Sportive du 14è de René Deslandes

Après l’Armistice et la mise au pas du mouvement sportif par Vichy, René Deslandes va affilier leur ancien club « Jean Jaurès », au « groupement Borotra » (célèbre tennisman, ministre de Pétain) et à la FSGT-USGT collaborationniste, afin de continuer les regroupements clandestins. Le nouveau club sportif omnisports du 14è va permettre ainsi aux jeunes communistes de se réunir en toute légalité. Et de préparer plusieurs actions contre des installations allemandes. Fernand Leriche, instituteur résistant, qui était avant-guerre membre du bureau des JC du 14è, écrit (citation du Maitron) : « mars 1941 : les jeunes de l’Union Athlétique du 14è, font la chasse aux armes, participent à des sabotages, à des destructions de véhicules : Porte d’Auteuil, incendie de trois camions et d’une automitrailleuse« . Il cite Pierre Lejop, qui selon les Renseignements généraux qui l’arrêtent le 15 mars 1941 : « contrôlait les comités populaires de jeunes chômeurs des 6è, 12è, 13è, 14è et 15è arrondissements « .

Les six joueurs du Club Jean Jaurès déportés à Auschwitz
Fusillés le 16 mai 1942 au Mont Valérien

Aucun des jeunes du 14è licenciés au club ne sera arrêté lors de ces réunions- couvertures. Mais neuf d’entre eux le seront à partir d’avril 1941, soit en flagrant délit de distributions de tracts, soit à la suite de dénonciations de voisinage et de filatures policières. Deux sont fusillés (André Aubouet, et Raymond Tardif, membres des Bataillons de la jeunesse, qui condamnés dans le cadre du Procès de la Maison de la Chimie), six autres sont déportés à Auschwitz, où tous décèdent : Gabriel Ponty, René Deslandes, Pierre Lejop, Albert Faugeron, Jean Hugues, Jean Nicolaï.
Le jeune Georges Amable né en 1923 est tué alors qu’il venait de s’évader du train qui l’emmenait à Buchenwald.

L’Union sportive ouvrière du 11è, couverture des  » Bataillons de la Jeunesse  »

Le Matin du 14 novembre 1941

Fin août 1940, Gilbert Brustlein, un des dirigeants des Bataillons de la Jeunesse, qui participera en août et octobre 1941 avec Pierre Georges aux premiers attentats contre des officiers allemands, est « mis en relation avec des membres des Jeunesses communistes par l’intermédiaire de l’Union sportive ouvrière du 11è, club omnisport affilié à la FSGT, qui camouflait leurs activités » (Le Maitron).

Déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942

Parmi les jeunes du club, il y a Henri Chlevitzki, responsable des « JC » de la rue de Montreuil qui le connait bien (ils habitent la même rue, lui au n° 95 et Gilbert Brustlein au n° 1, chez sa mère). Il y a aussi Yvan Hanlet (marié avec Juliette Zalkinow, sœur de Fernand Zalkinow, le « second » de Gilbert Brustlein).
Tous deux arrêtés en novembre 1941 sont déportés à Auschwitz, où ils meurent. Henri a 27 ans et Yvan 20 ans. Son frère Robert est fusillé le 9 mars 1942.
Gilbert Brustlein rejoint Londres à l’été 1942 et la « France Libre ».

Note 1 : Le 7 octobre 1939 la direction parisienne de la fédération FSGT exige de ses clubs qu’ils répudient le pacte germano-soviétique. La plupart de ceux-ci se déclarent non compétents, et sont alors exclus de la FSGT.  Mais rares sont les clubs qui rejoignent alors la FSGT-USGT qui collabore avec les Allemands. Beaucoup de ces ex-clubs FSGT changent alors de nom. Et la plupart seront dissous par arrêtés préfectoraux en avril 1940. Certains adhéreront alors à une fédération officielle, le club devenant une couverture permettant à des militants clandestins de se réunir en toute légalité, comme à Levallois ou à Paris 14è.

Pierre Cardon, à partir de plusieurs notices biographiques des 1170 déportés politiques à Auschwitz le 6 juillet 1942, publiées sur le site de Claudine Cardon-Hamet, historienne : https://deportes-politiques-auschwitz.fr.
Pour compléter ou commenter cet article, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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