Matricule « 45 647 » à Auschwitz
Maurice Guy : né en 1900 à Montchauvet (Seine-et-Oise) ; domicilié à Asnières ; élu communiste à Gennevilliers ; arrêté le 5 octobre 1940 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 18 septembre 1942
Maurice Guy est né le 18 septembre 1900 à Montchauvet (Seine-et-Oise, aujourd’hui Yvelines).
Il est le fils de Marie Descaves, 18 ans, et de Léopold Guy, journalier.
Il habite au 70, rue du Mesnil à Asnières (Seine, aujourd’hui Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.
Selon son registre matricule militaire il a les cheveux châtain et les yeux marron, le front moyen et le nez droit, la bouche moyenne, les lèvres minces, le menton rond et le visage ovale.
Il travaille comme mécanicien au moment du conseil de révision et habite à Puteaux (Seine / Hauts-de-Seine) au 72, avenue Jean Jaurès.
Il a un niveau d’instruction « n° 3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1920, il a été ajourné en 1918 pour « faiblesse ».
Il est déclaré « bon pour le service » en 1920 et est appelé au service militaire le 6 octobre 1920. Incorporé le 7 octobre au 44è Régiment d’infanterie, après ses classes (instruction militaire), il « passe » le 24 mai 1921 au 46è Régiment de tirailleurs algériens.
Avec son régiment il participe à la campagne militaire de Syrie (du 25 mai 1921 au 13 juillet 1922).
Le 1er mai 1922, Maurice Guy écrit à ses parents. Sa lettre, qui commente la photo ci-dessous constate l’évacuation du matériel militaire du Sandjak d’Alexandrette, et s’inquiète avec humour de son maintien à Alexandrette (il est bientôt libérable).
«Voilà une preuve de l’évacuation. Rapatriement des chars d’assaut. Quant aux hommes, c’est une autre affaire. Il n’est pas besoin d’être tôlard ni rengagé pour me faire rester ici. Mais au contraire d’être emprunt de bonne conduite et de servir la France à la dernière limite de mon temps, suivant le bon vouloir de la Nation et de ses électeurs. Je suis ici par la volonté du peuple et n’en sortirai que par le bon vouloir de ses exploitants ».
Il est libéré du service militaire le 26 septembre 1922 et passe dans la réserve de l’armée active le 1eroctobre.
Il « se retire » à Montchauvet selon l’expression militaire.
Maurice Guy est membre du Parti communiste depuis 1922.
En avril 1923, il habite à l’hôtel Magner, 25, rue du moulin de la Tour à Gennevilliers (Seine / Hauts-de-Seine).
Il se marie le 1er mars 1924 à Gennevilliers avec Marie Adrienne Truffy, «parfumeuse».
Le couple aura un enfant, James, qui naît le 13 août 1929 à Gennevilliers. Ajusteur outilleur de profession, Maurice Guy est licencié pour avoir dirigé plusieurs grèves.
Faute de pouvoir être embauché dans la métallurgie (il est sur les listes noires patronales), il devient chauffeur de taxi, puis il est embauché comme concierge à Gennevilliers.
En septembre 1926, il est condamné pour « violences à agents le 14 juillet 1926 » à 4 mois de prison (il s’agit d’échauffourées entre la police et des militants manifestant sur les Champs-Elysées contre la guerre du Rif pendant le défilé militaire, rapportées par l’Humanité du 15 juillet. La police procède à 104 arrestations).
Le nom de Maurice Guy est cité parmi les militants arrêtés (souligné en rouge, ci-contre).
Maurice Guy est responsable du syndicat CGT des métaux, puis de celui des conducteurs de taxis.
Il est animateur des Œuvres sociales à la mairie de Gennevilliers.
En 1931, il est membre de la délégation des travailleurs étrangers qui participent aux fêtes du 1er mai en URSS.
Maurice Guy est élu aux élections municipales le 14 octobre 1934 en huitième position (sur 26) de la liste dirigée par Jean Grandel en 1934. Il est réélu le 5 mai 1935 (Le Maitron).
Le 22 septembre 1937, il est condamné à 100 F d’amende avec sursis « pour ouverture illégale de débit de boisson sans autorisation » par le tribunal correctionnel de Bourges (il s’agit vraisemblablement de l’ouverture d’une buvette à une fête du Parti communiste ou dans le cadre des œuvres sociales de Gennevilliers ou encore du centre de santé de Vouzeron (Cher) qui est un centre de santé, propriété de l’USTM-CGT (le syndicat CGT des métallurgistes de la région parisienne.
En décembre 1937, il est domicilié au 6, avenue Chandon à Gennevilliers.
La famille Guy a conservé des objets (une assiette et un cendrier) provenant du centre de santé de Vouzeron). Il est vraisemblable que Maurice Guy y a fait un séjour soit pour raisons de santé, soit en tant qu’encadrant.
En septembre 1939, Maurice Guy habite 70, rue du Mesnil à Asnières (Seine / Hauts-de-Seine).
Le 12 octobre 1939, il est « rappelé à l’activité militaire » par le décret de mobilisation générale et affecté au dépôt de guerre d’Infanterie n° 213 (1ère compagnie de passage). Maurice Guy est classé « service auxiliaire », inapte à l’Infanterie pour « pachypleurite apicale », mais apte aux COA (Sections de commis et ouvriers militaires d’administration), par la commission de réforme de Versailles du 20 octobre 1939.
La commission de réforme du 9 novembre le classe réformé temporaire n°2 pour « état pulmonaire suspect… ».
Maurice Guy est déchu de ses mandats électifs par le Conseil de préfecture le 9 février 1940, « pour appartenance au Parti communiste ».
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Le 5 octobre 1940, il est arrêté par la police française dans la grande rafle organisée, avec l’accord de l’occupant, par le gouvernement de Pétain à l’encontre des principaux responsables communistes d’avant-guerre de la Seine(élus, cadres du parti et de la CGT). Il est interné avec ses camarades, au camp de «Séjour surveillé» d’Aincourt, près de Mantes (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui dans le Val d’Oise), ouvert spécialement, en octobre 1940 pour y enfermer les communistes arrêtés.
Lire dans le site Le camp d’Aincourt.
Sur la liste « des militants communistes « concentrés » le 5 octobre 1940» envoyée à sa demande par les renseignements généraux au directeur du camp, figurent des mentions caractérisant les motifs de leur internement (C 331/7). Pour Maurice Guy on lit : « Ex conseiller municipal communiste de Gennevilliers. Militant actif de la propagandiste clandestine ».<
Maurice Guy est ensuite emprisonné à la maison centrale de Fontevraud, puis à celle Clairvaux.
Lire dans le site : La Maison centrale de Clairvaux
Sur la photo ci-contre, légendée de sa main, il pose dans la cour 2 bis, du quartier 2 à Clairvaux avec deux autres internés : Jean Pierre Timbaud, déjà interné avec lui à Fontevraud et le docteur Maurice Ténine. On remarquera la tenue des 3 internés de Clairvaux, avec le bourgeron et les sabots. Ses deux camarades, qui seront également transférés comme lui au camp de Choisel (Châteaubriant) y seront fusillés.
Jean-Pierre Timbaud, secrétaire général du syndicat des métallurgiste parisiens est transféré de Clairvaux au camp de Choisel le 14 mai 1941. Il est fusillé dans la clairière de Châteaubriant avec Maurice Ténine (élu communiste, résistant en tant que médecin au sein de l’OS) et 25 autres otages le 22 octobre 1941. On raconte que Jean-Pierre Timbaud est mort en criant : « Vive le Parti communiste allemand ! ».
Léon Blum, lors du procès de Riom, a dit qu’il chantait La Marseillaise.
Maurice Guy et ses deux camarades sont internés au camp français de Choisel (Châteaubriant) le 22 mai 1941. Il y reçoit le matricule n° 638.
Dans le camp, affecté au P1, le camp des politiques, il est vraisemblable qu’il ait été dans la baraque B 10 où ses deux co-détenus de Clairvaux se retrouvent.
Il a fait parvenir à son épouse une série de photos et de négatifs prises au camp de Choisel. Ces documents ont été remis à son petit fils par sa grand-mère Suzanne. Certaines photos dont deux sont légendées de sa main (ci-contre), sont identiques à la collection de D. Tamanini publiées par l’Amicale de Châteaubriant.
Dans la mesure où Maurice Guy a également transmis à sa famille des négatifs représentant une fête à Choisel à l’été 1941, dont je n’ai pas trouvé trace dans d’autres sources documentaires, on peut penser que c’est lui qui a pris toutes ces photos.
On trouvera ces photos avec leurs légendes dans un article du site : Camp de Choisel, les photos de Maurice Guy, et hommages aux fusillés et internés de Châteaubriant.
Maurice Guy est ensuite remis aux autorités allemandes à leur demande et le 7 février 1942, celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) avec Louis Goudailler et Joseph Biffe.
Depuis le camp de Compiègne, il est déporté à destination d’Auschwitz.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Selon la « Voix Populaire » de 1946, il lance depuis le train une lettre à sa femme. Cette lettre est postée depuis Strasbourg, vraisemblablement par un cheminot qui l’a ramassée sur le ballast.
Depuis le camp de Compiègne, Maurice Guy est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Maurice Guy est immatriculé à Auschwitz le 8 juillet 1942. Sa photo d’immatriculation à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Maurice Guy meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, selon les registres du camp, à la suite d’une «sélection» des «inaptes au travail» destinés à être éliminés dans les chambres à gaz de Birkenau.
Dans les années d’après-guerre, l’état civil français, n’ayant pas eu accès aux archives d’Auschwitz emportées par les armées soviétiques, a fixé la date de son décès au 31 décembre 1942 sur la base des déclarations de deux de ses compagnons de déportation.
Le 2 mars 1944, Vichy refuse à son épouse la carte du combattant (il a pourtant fait la campagne de Syrie en 1921 et 1922 !).
A la Libération, son décès, comme celui de cinq autres ex-conseillers municipaux, étant ignoré en France, son nom est proposé par le Comité de Libération pour la composition du conseil municipal provisoire de Gennevilliers (délégation spéciale) par arrêté préfectoral du 20 octobre 1944).
Maurice Guy est homologué (GR 16 P 281665) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) et des Déportés et Internés Résistants (DIR) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Une avenue, un parking public et un stade de Gennevilliers rappellent sa mémoire.
Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué.
Son nom est gravé sur la plaque commémorative « à la mémoire des conseillers municipaux morts pour que vive la France« . Sa courte biographie conservée aux archives municipales le dépeint « simple, vif, plein d’entrain, militant tout au service de la classe ouvrière et de son Parti «
- Note 1 : Au moment de l’effondrement de la République espagnole, qui provoque la « Retirada », d’importantes arrivées de réfugiés espagnols ont lieu sur le territoire français. Entre le 30 janvier et le 9 février 1939, 3002 réfugiés espagnols fuyant devant les troupes de Franco, arrivent dans le Cher au château de Vouzeron, qui est prêté par le syndicat CGT « par solidarité pour héberger ces camarades infortunés ».
- Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz–Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Archives municipales de Gennevilliers (Liste de déportés, noms de rues, biographies).
- Plaque commémorative en Mairie (photo Jacques Fath)
- Fichier national du Bureau des archives des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Correspondances avec M. Louis Oury, écrivain, à partir de ses recherches à Châteaubriant (avril et mai 1991).
- Liste – incomplète – par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943 le décès des détenus immatriculés).
- Plaque dédiée « A la mémoire des Conseillers municipaux morts pour la France ».
- Le Maitron, Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier, tome 31, page 172. Maitron en ligne, renseignements
recueillis par Michèle Rault et Nathalie Viet-Depaule. - Les archives municipales de Gennevilliers conversent une photographie qui a permis d’identifier sa photo d’immatriculation à Auschwitz.
- Courriel de son petit-fils, M. Olivier Guy (septembre et octobre 2016) qui m’a transmis de nombreuses photos par internet (Syrie, Clairvaux, Choisel).
- Registre matricule militaire n° 1014.
Notice biographique (complétée en 2016, 2019 et 2021), réalisée initialement pour l’exposition sur les «45000» de Gennevilliers 2005, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, Paris 2005. Prière de mentionner les références (auteur et coordonnées du blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com