Le camp d’Aincourt

A peine au pouvoir comme "chef de l’Etat français", Pétain s’attaque à ceux qui, à ses yeux font partie de «l’Anti-France» (les Juifs, les communistes, les étrangers, les francs maçons). 

Il promulgue une loi sur la dénaturalisation des Juifs (22 juillet 1940). Puis il prépare le premier statut des Juifs, qui exclut ceux-ci de la fonction publique et des fonctions commerciales et industrielles (3 octobre 1940).
Parallèlement, il s’attache à la « lutte contre le communisme » et n’a de cesse, au fil de nombreuses conférences avec les autorités d’occupation, de convaincre celles-ci de ne pas s’opposer à la remise en vigueur du décret du 18 novembre 1939 sur l’éloignement des suspects et indésirables (1).

Marcel Peyrouton ministre de l’intérieur de Vichy

Dès septembre 1940, le ministre de l’intérieur de Vichy, Marcel Peyrouton s’alarme en effet de la recrudescence de la propagande communiste «qui continue à se développer dans la région parisienne. A Boulogne-Billancourt, aux Usines Renault, la recrudescence de cette propagande est très nette. Un tract intitulé «Peuple de France» imprimé au nom du Comité central du Parti communiste français, signé par Maurice Thorez et Jacques Duclos, a été diffusé en un grand nombre d’exemplaires dans les milieux ouvriers. Ce tract essaie de démontrer que tous les gouvernements passés, y compris le gouvernement actuel, sont responsables des malheurs de la France : «Seuls, les communistes ont lutté contre la guerre, le Parti communiste français, parti du peuple, est au service du peuple et d’une France qui veut vivre libre et indépendante». À Boulogne-Billancourt, le Comité populaire des Usines Renault s’est doublé d’un Comité des Usines de Boulogne, sous le prétexte de revendications diverses (salaires, congés payés, indemnités de toutes sortes). Le but de ce comité est de grouper le plus d’ouvriers possible, sous l’égide du Parti communiste. Chaque nuit, de nombreux papillons sont apposés sur les murs de l’usine Renault. Des tracts sont distribués aux chômeurs par le Comité populaire des chômeurs de Boulogne-Billancourt, qui exposent quelles sont leurs revendications. Des numéros spéciaux de l’«Humanité» clandestine se passent sous le manteau. Ces tracts, papillons, pamphlets et journaux attaquent avec violence le Gouvernement» (2).
La décision est prise d’interner les militants communistes connus et jugés particulièrement actifs. 

Le sanatorium d’Aincourt

Des bâtiments du sanatorium d’Aincourt à La Bucaille, par Fontenay-Saint-Père (Seine-et-Oise) sont réquisitionnés à cet effet.
Aincourt devient ainsi le premier «Camp d’Internement Administratif de la Zone Nord», puis «Centre de séjour surveillé». «Le camp d’Aincourt héberge tous les indésirables désignés par les préfets des départements de la Seine et de la Seine-et-Oise, en dehors de toute enquête et de tout jugement, au seul motif qu’ils pouvaient être dangereux pour la défense nationale » (3).
Peyrouton se félicite de l’emplacement du camp, isolé, sans transport en commun pour le desservir.
«Dès le 5 octobre, le Sanatorium d’Aincourt, actuellement vide de malades, a été aménagé pour l’internement des individus dangereux pour la sécurité publique. Ce sanatorium permet de détenir dans des conditions excellentes d’hygiène, de commodité, et de surveillance, un nombre important de détenus. L’accès du sanatorium, distant de Paris de 70 km et dont la gare la plus proche est à 12 km, est particulièrement difficile et onéreux. Son éloignement de la région parisienne et les difficultés ferroviaires permettront d’éviter un défilé continuel de parents et de camarades, source d’incidents parfois sérieux. L’isolement du camp d’internement présente toutes les garanties désirables. Le 5 octobre, les services de la Préfecture de Police ont conduit au camp d’Aincourt, 182 individus internés en vertu du décret du 18 novembre 1939. Tous ces internés sont des militants communistes, la plupart dangereux. Parmi eux se trouvent : 2 députés de la Seine (4), 15 conseillers généraux, 40 conseillers municipaux de la Seine, 2 membres importants de l’ex-C.G.T.U. La Préfecture de Police a fait connaître que d’autres individus seraient prochainement internés et il est à présumer qu’avant peu, lorsque le contingent de Seine-et-Oise aura rejoint, tous les pavillons seront utilisés»(2).

Les militants parisiens sont regroupé au Stade Jean Bouin à Paris et sont emmenés par cars à Aincourt. Le préfet de Seine-et-Oise, Marc Chevallier, exécute une rafle identique à celle de Paris dans son département. Au total, plus de 300 militants communistes, syndicalistes ou d’organisations dites «d’avant-garde», sont envoyés à Aincourt au début octobre 1940. Le pavillon des hommes de l’ancien sanatorium sur le site de la Bucaille, conçu à l’origine pour 150 malades, est rapidement surpeuplé : fin octobre, le camp d’internement compte déjà 367 hommes et 670 fin décembre. «Les internés déboisent les alentours du pavillon Bonnefoy-Sibour, l’encerclent de trois rangs de barbelés ; ils construisent aussi les guérites et les miradors de leurs gardiens» (5).Les bâtiments sont gardés par des gendarmes français et sous contrôle total des autorités de Vichy.
«Aincourt est administré avec un zèle excessif par son directeur, le commissaire Andrey, sous les ordres du non moins collaborationniste préfet de Seine-et-Oise. Celui-ci se permet d’écrire à son ministre ou à la prison allemande de Compiègne, pour que soit appliqué le régime draconien sévissant dans le camp : brimades et sanctions de toutes sortes, transfert dans des prisons ou dans d’autres camps pour « les plus dangereux d’entre eux », avec pour ceux-ci avis à la Feldkommandantur de Saint-Cloud. De sorte, les Allemands vont puiser parmi eux nombre d’otages pour la déportation ou le peloton d’exécution. Au fil des mois, l’internement reste à prédominance communiste» (5).

Lettre pétition des familles des fresnois pour obtenir un droit de visite.

Le camp est administré par le commissaire Andrey, qui multiple brimades et  sanctions à l’encontre des communistes, notamment le refus de visites.
Pour protester contre le refus de visites qui leur est opposé, les épouses, mères, fils et filles des détenus de Fresnes signent le 29 mars 1941, avec leurs noms et adresses (dont celui de Madame Conord et de leur fils) une lettre adressé au Préfet de la Seine : « Nous venons solliciter de votre haute bienveillance, l’autorisation de rendre visite à nos maris et pères, qui (sont) internés administrativement à Aincourt (Seine-et-Oise). Attendu que les prisonniers de droit commun (criminels, voleurs) ont droit à des visites, nous ne pouvons comprendre que nos maris et pères, étant des hommes honnêtes, n’y ont pas droit. Espérant que vous voudrez bien prendre notre requête en considération. Veuillez recevoir nos salutations empressées». La lettre, enregistrée le 3 avril, est barrée de la mention : Rep : impossible, à Madame Soupion qui portera cette décision à la connaissance des co-signataires.
L’écriture de Madame Soupion étant parfaitement reconnaissable, c’est à elle que le chef de cabinet du Préfet charge le 11 avril le commissaire de la circonscription de Choisy-le-Roy « d’avertir les pétitionnaires, en la personne de Mme Soupion, que le règlement intérieur du camp (ne permet pas) les visites au détenus ».

Tract aux habitants de Seine-et-Oise

Au cours des perquisitions effectuées au domicile de militants arrêtés le 21 mai 1941, dont Georges Brunet ,  la police française a trouvé 30.000 cartes à l’adresse de Brinon, 10.000 papillons et 5.000 tracts intitulés « Au secours de nos emprisonnés. Le scandale du camp d’Aincourt ou comment M. Chevalier s’érige en bourreau des travailleurs ». Il s’agit d’un tract destiné aux habitants des communes de la petite couronne parisienne en Seine-et-Oise : il fait référence à la rafle de plus de 300 militants parisiens et de Seine-et-Oise au début d’octobre 1940 décidée par le ministre de l’intérieur de Vichy, Marcel Peyrouton, qui devant la recrudescence de l’activité communiste a pris la décision de faire interner les militants communistes connus et jugés particulièrement actifs.
Le préfet de Seine-et-Oise, Marc Chevallier, a exécuté une rafle identique à celle de son homologue parisien dans son département. Il a en outre adressé des menaces aux « fauteurs de trouble » (cf. l’avis ci-dessous).

Avis du Préfet Marc Chevalier
Publication du PC clandestin de Seine Sud.

Le camp d’Aincourt est très tôt rempli.  Le préfet Ingrand représentant du ministre de l’Intérieur au sein de la délégation de Vichy auprès des Allemands à Paris, s’inquiète de la situation et envisage la « transportation » des individus les plus dangereux du camp en Afrique du nord, suivant en cela les préconisations du cabinet De Brinon(1) : le 28 décembre 1940, note du cabinet de De Brinon au chef du 2ème bureau :« Jusqu’en novembre dernier, le seul camp dont la création avait été autorisée officiellement par les Autorités allemandes, était celui du sanatorium d’Aincourt, pouvant contenir environ 500 personnes et qui était uniquement destiné à recevoir les indésirables français de la Seine et de Seine-et-Oise. (…). J’ai demandé, à plusieurs reprises, que l’on envisage le transfert, en Afrique du Nord, des individus les plus dangereux qu’un coup de main pourrait facilement délivrer en raison des faibles moyens de gardiennage et de l’armement insuffisant du personnel ».
En mars 1941, les communistes de Villejuif dénoncent ce projet dans le titre de « Front Rouge », journal du Parti communiste du « carrefour de Villejuif ».
Le 4 décembre 1940, 100 internés sont dirigés sur la centrale de Fontevraud, via la centrale de Clairvaux, puis le camp de Châteaubriant. Le 7 avril 1941, 54 internés sont transférés vers la centrale de Poissy, puis le camp de Châteaubriant.
Le 5 juin 1941, 31 internés sont dirigés sur les prisons de Gaillon et Rambouillet.
Le 6 septembre 1941, 149 internés sont dirigés sur le CSS de Rouillé, pour l’ouverture de celui-ci (VRID).
Le 6 octobre 1941, 150 internés sont transférés à Rouillé.

Le 17 octobre 1941 : « Les internés du centre d’Aincourt ont observé aujourd’hui une minute de silence à l’occasion de l’anniversaire de la révolution russe. Il n’y a pas eu d’incident » (Archives de la préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374).

Le 27 juin 1941, Quatre vingt huit internés d’Aincourt sont transférés à Compiègne (mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin). Ils ont tous été désignés par le directeur du camp avec l’aval du préfet de Seine-et-Oise.

Le 24 décembre 1941, dans un courrier titré “Déportation de 500 communistes pour mise au travail vers l’Est”, le commandement militaire de la zone A écrit que selon la Feldkommandantur de St Germain «il y a au camp d’Aincourt 125 communistes nés entre 1911 et 1922 dont on peut disposer en application des mesures de représailles décidées par le commandement militaire en France le 14 décembre 1941. Ces détenus seront d’abord soumis à un court examen médical par le médecin du camp qui jugera s’ils sont aptes physiquement à travailler. Parmi les recrues, la Feldkommandantur de St Cloud en choisira immédiatement 110 et les enregistrera sur une liste (…) Les détenus ainsi enregistrés resteront dans le camp où ils se trouvent jusqu’à ce qu’on les appelle. A l’intérieur du camp, il faudra les isoler, de même que pendant l’enregistrement, il faudra éviter toutes mesures qui pourraient provoquer une agitation parmi les détenus du camp (…)» (Document CDJC IV 198).

Le 9 février 1942, 21 internés d’Aincourt sont transférés à Compiègne (13 d’entre eux seront déportés à Auschwitz).
« Le rassemblement des éléments les plus agités et les plus déterminés du Parti communiste aux portes de Paris » pose des problèmes de sécurité au Préfet de Seine-et-Oise. Il ira même jusqu’à proposer le transfert du camp en Algérie (…) afin d’écarter de France, des
députés et des conseillers municipaux communistes de la région parisienne ».
Le Parti Communiste, qui est très implanté dans la région parisienne, inquiète les autorités qui craignent toujours une attaque du camp. Cette situation motivera la fermeture d’Aincourt et l’ouverture du centre de séjour surveillé de Voves. « Ce dernier offre des infrastructures déjà existantes pour interner des civils et sa situation géographique évite un éloignement trop important de la région parisienne tout en évitant une présence trop importante de militants communistes  » Stéphane Fourmas (6).

Au début de 1942, Vichy décide de fermer le camp des hommes, «afin que la Résistance ne soit pas tentée de libérer «ce brûlot communiste» aux portes de Paris » (5). Ils sont transférés dans d’autres camps : Châteaubriant, Voves (48 en avril, 149 le 5 mai et 91 en mai 1942), Rouillé, Clairvaux, Fontevraud, Poissy, Rambouillet, Gaillon… et Compiègne (21 le 6 février 1942, 15+9 en mai, 42 le 6 juillet 1942 (mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin). N’y subsistent que quelques hommes (26 qui seront transférés à Compiègne le 6 septembre 1942) chargés de préparer le camp pour l’internement des femmes, qui arrivent en mai 1942 venant du camp de Châteaubriant. Le camp fermera définitivement le 15 septembre 1942, pour être remplacé par un centre d’entraînement de miliciens des Groupes Mobiles de Réserve (GMR).

Plus de 1500 militants et militantes seront internés à Aincourt. Neuf d’entre eux seront fusillés à Châteaubriant le 22 octobre 1941, 5 d’entre eux sont fusillés au Mont Valérien les 15 et 16 décembre 1941 et deux en 1942. 9 autres à Rouillé en avril 1942 et la plupart déportés dans les camps de concentration nazis.

Le lien ci-contre vous permettra de voir la vidéo sur les ruines du camp d’Aincourt réalisée par M. Sidney Seremes : https://vimeo.com/169044980

  • Note 1 : Note des Renseignements généraux sur les «menées communistes» envoyée à l’amiral Darlan. Synthèse du 1er avril 1941 rappelant l’historique de la répression. In «Quaderni e documenti inediti» Angelo Tasca et Denis Pechanski.
  • Note 2 : Note de synthèse du Ministre de l’intérieur de Vichy, Marcel Peyrouton (Source : AJ41 397) @ IHTP/CNRS.
  • Note 3. N° 227 du Journal de l’Association Nationale des Familles de Fusillés et Massacrés de la Résistance Française et de leurs Amis.
  • Note 4 : Pierre Dadot (en fait député de Seine et Oise) et Fernand Grenier.
  • Note 5 : citation in blog-de-roger-colombier.over-blog.com
  • Note 6 Stéphane Fourmas, Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai  1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.

Sources

  • Site internet VRID (Vienne , Résistance, Internement, Déportation)
  • CDJC document IV-198.
  • Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin- Juin 2003 – Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités
  • Photo in «Aincourt, le camp oublié» de Roger Colombier paru aux éditions Le Temps des Cerises.
  • http://photo-hier-aujourdhui.wifeo.com/aincourt-lhistoire.php
  • Site de l’Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé (étude sur Voves).
  • «Témoignage pour Aincourt» de Fernand Devaux, in Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé et celui de Grillot André – Témoignage pour Aincourt.
  • Fernand Devaux, «45472» fut président de l’Association «Mémoire d’Aincourt» qui milite pour la réhabilitation du bâtiment en ruine, aux murs couverts de tags, afin qu’il devienne un musée du souvenir. Lire l’article dans le Parisien du 5 décembre 2009. Le camp d’Aincourt : un affront à la mémoire
  • Les « 21 militants communistes » extraits d’Aincourt le 11 février 1942 : Archives de la Préfecture de police, Cartons occupation allemande, BA 2374. 

Claudine Cardon-Hamet . En cas d’utilisation ou publication de cet article, prière de citer : « article publié dans le site  « Déportés politiques à Auschwitz : le convoi dit des 45.000 » : https://deportes-politiques-auschwitz.fr  Adresse électronique :  deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *