Matricule « 45 661 » à Auschwitz
Raymond Hervé : né en 1908 à Trélazé (Maine-et -Loire) ; domicilié à Lorient-Keryado (Morbihan) ; gazier ; militant CGT, communiste ; arrêté le 12 août 1941 , interné à Châteaubriant ; arrêté le octobre 1941 condamné à 5 mois ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 7 septembre 1942.
Raymond Hervé est né le 22 juillet 1908 à Trélazé (Maine-et -Loire). Il habite au 14, rue de Belgique à Lorient-Keryado (Morbihan).
Il est le fils de Claudine Neuder, 26 ans et de Charles Hervé, 29 ans son époux. A notre connaissance, il a une sœur, Rose, et un frère Lucien.
Le 20 septembre 1930 à Trélazé, il épouse « Adelphine », Jeanne, Marie Le Mené, dite Jeannette. Elle est née le 22 septembre 1910 à Quiberon (Morbihan), décédée en 1975 à Lorient.
Le couple aura quatre enfants, âgés de 2 à 11 ans au moment de l’arrestation de Raymond (dont Charles, Raymonde née en 1930, Jeanne née en 1939 épouse Le Guennec et Marcelle épouse Moisan).
Raymond Hervé travaille comme ouvrier plombier à l’usine à gaz de Lorient.
Membre du Parti communiste, il est aussi militant de la CGT.
L’armée allemande arrive à Lorient le 21 juin 1940 et l’amiral Karl Dönitz y installe la 2e flottille de U-boots (sous-marins). Les interdits (Verboten) sont publiés, les réquisitions commencent. Menaces ouvertes de répression sanglante en cas de tentatives de résistance. Des listes d’otages sont exigées des municipalités dès le 22 juin « pour chaque allemand assassiné, dix otages seront fusillés ». « Des notables, mais surtout des communistes arrêtés en 1939-1940 » (Christian Bougeard in « Annales de Bretagne »).
Raymond Hervé est devenu un militant actif du Parti communiste clandestin.
Il est arrêté‚ une première fois le 12 août 1941, sur le cours de Chazelles à Lorient, par la police française, à la suite d’un sabotage commis dans son entreprise.Sur le site © « Les amis de la Résistance du Morbihan » cet épisode est raconté ainsi : « Début août 1941, des ouvriers de l’entreprise protestaient contre des sanctions infligées à certains d’entre eux pour négligence dans le travail. Certains adressaient même une pétition au sous-Préfet pour protester contre ces mesures considérées comme injustifiées. Le 8 août, un ouvrier plaçait en court-circuit le moteur de secours de la salle des machines et le mettait hors d’état de fonctionner, acte de sabotage qui était renouvelé le 10 août. La direction de l’usine se plaignait auprès de la police qui entre le 12 et le 14 août 1941, arrêtaient deux ouvriers Raymond Hervé et Robert Dhuy, connus pour leur appartenance au Parti communiste ».
Le surlendemain, il est interné administrativement au camp de Choisel à Châteaubriand à la section P du camp.
Il en est libéré le 2 octobre 1941. Pas pour longtemps…
Raymond Hervé est à nouveau arrêté le 12 octobre 1941 à son domicile par des gendarmes français et allemands à la demande de Marnitz, chef du Sipo S.D (Sicherheitspolizei, « Police de sûreté », abrégée Sipo, est la Police de sûreté allemande) ,pour le Morbihan et le Finistère, qui le remettent aux allemands. Il est emprisonné à Lorient, puis à Vannes.
Raymond Hervé y est jugé le 4 novembre 1941 par un tribunal militaire allemand pour reconstitution d’une cellule communiste à l’usine à gaz, ainsi que 4 autres militants. Raymond Hervé est condamné à 5 mois de prison qu’il effectue à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, les quatre autres militants sont condamnés à quatre mois.
Sa fille se souvient que sa famille a pu lui rendre visite une fois. Vers la fin de sa peine, il est transféré à la prison de St-Brieuc, le 1er avril 1942. Sa fille Marcelle écrit « Le 4 avril 1942, il aurait dû retrouver la liberté. Alors que nous l’attendions à la gare routière de Lorient, il était arrivé à Compiègne » (In Le patriote Résistant, 1991).
Mais au lieu d’être libéré, il est maintenu en détention allemande et interné en vue de sa déportation comme otage au camp allemand de Compiègne, le Frontstalag 122, (il y reçoit le matricule « 3.843 »).
Le 3 avril, il écrit à sa femme et lui conseille la prudence : « Me voilà libéré d’une prison pour entrer dans une autre. Je suis cette fois parti bien loin de vous ; me voilà maintenant interné dans un camp de concentration de Compiègne. (…) Fais attention à ce que tu écris. (…) Parle de moi souvent de moi aux gosses ». Il lui recommande de s’installer à Quiberon avec ses enfants pour y « être davantage en sûreté qu’à Lorient« . « Ayant de la famille à Landaul, maman s’installe avec ses 4 enfants et le peu de meubles qu’elle avait pu faire venir de Lorient. Coïncidence ou volonté, toute la famille Le Duy s’installe à la gare de Landaul, dans une grande baraque » (Marcelle Moisan, 1982).
Raymond Hervé est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le 4 avril 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Il reçoit le matricule « 3843 », et il est affecté au bâtiment A3, chambre 7, puis au bâtiment A7, chambre 13 (lettre du 24 juin).
Le 9 mai, son épouse est informée par courrier que sa demande de visite est refusée au motif que le prisonnier n’est pas en camp depuis assez longtemps et qu’elle pourra renouveler sa demande dans quatre mois.
Son épouse, qui habite toujours à Keryado, écrit à De Brinon, ambassadeur de France, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés auprès des autorités allemandes. Celui-ci lui fait répondre par son cabinet le 5 juin 1942 qu’il a transmis sa lettre à Bousquet, secrétaire général pour la Police « qui vous répondra directement« … Sa fille Madame Moisan n’a pas trouvé de réponse dans les papiers de sa mère.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Raymond Hervé est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Le 6 juillet, Raymond Hervé jette une lettre pour sa femme depuis le train, au niveau de Châlons-sur-Marne. Il y écrit « Me voila parti loin de vous, où je n’en sais trop rien. Nous prenons la direction de l’Allemagne », nous sommes environ plus d’un millier. Un peu fatigué, tu sais cela n’est pas facile d’écrire dans un wagon à bestiaux. Embrasse bien fort nos enfants pour moi, car maintenant je ne sais pas quand je pourrais le faire moi-même, hélas. Enfin, vivement que cette maudite guerre soit finie. Ma petite Jeannette, écris moi de longues lettres lorsque tu auras mon adresse. Bien le bonjour chez Rosa, Caro, Madeleine… et chez Louisette. Tu me diras aussi si tu as reçu mon colis que je t’ai envoyé du camp. Je termine, car ce n’est pas facile d’écrire. Je t’embrasse bien fort, ainsi que les enfants. Ton petit Raymond« . « Papa a dû trouver un petit interstice et a jeté cette lettre, qu’une personne inconnue a eu la touchante attention de timbrer et poster » (Marcelle Moisan).
Lire dans le site : Les lettres jetées du train
Raymond Hervé est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45661 », selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (1) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le blog le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale »
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du
convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Raymond Hervé meurt à Auschwitz le 23 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz / Sterbebücher von Auschwitz (registre des morts) Tome 2 page 446). Il a été homologué « Déporté politique ». Il a été déclaré « Mort pour la France« .
Son frère, Lucien, infirmier à l’Hôpital Bichat, entre dans la Résistance en 1942 au Maquis « Félicité », dépendant du Maquis Surcouf de Pont-Audemer. Il est arrêté, affreusement torturé et fusillé le 24 août 1944 avec deux de ses camarades.
Sources
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Lettres de sa veuve (1972) et de sa fille, Marcelle Moisan (février et novembre 1991), qui fournissent plusieurs photocopies de documents de l’époque : certificat de présence à Châteaubriant (18 août 1941) et à Compiègne (avril 1942).
- Lettre de Compiègne, lettre jetée du convoi et datée de Châlons-sur-Marne
- Attestation d’appartenance au Front National (janvier1950).
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz »,ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Mail de M. Bruno Leroux (2020), petit-fils de Rose, sœur de Raymond Hervé.
Notice biographique rédigée en avril 2001 pour l’exposition de l’association « Mémoire Vive » sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), complétée en 2013, 2018, 2020 et 2021 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com