Matricule « 45 343 » à Auschwitz
Emile Cavigioli : né en 1903 à Lausanne (Suisse) ; domicilié à Albert (Somme) ; maçon, riveur ; communiste ; passeur ; arrêté comme communiste le 25 octobre 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 19 septembre 1942.
Emile Cavigioli (et non Caviglioli comme orthographié quelquefois) est né le 3 septembre 1903 à Lausanne (Suisse).
Il habite au 31, rue de Corbie à Albert (Somme) au moment de son arrestation.
Il épousé Germaine, Louise, Camille Pourchel. Elle est née le 22 septembre 1901 à Authuille (Somme / décédée le 28 janvier 1983 à Albert). Le couple a deux enfants (Yvette et Yves).
Il a un frère, Lucien, né le 6 janvier 1915 à Briga (province de Novarre, Piémont, Italie) (1).
En 1926, le couple Cavigioli et Yvette habitent au 16, rue de Corbie, à Albert.
Émile Caviglioli travaille comme maçon, chez Puci et Compagnie.
En 1931, ils habitent au 6, rue de Corbie et Emile travaille désormais comme maçon aux usines «aéroplanes Henri Potez» à Meaulte (près d’Albert). Henri Potez y a créé en 1924, la plus grande usine aéronautique du monde, sur 2,5 hectares. 3200 employés en 1930. C’est de là que sortira le Potez 25, avion mythique qui fera les beaux jours de l’Aéropostale.
En 1936, Émile Caviglioli travaille comme riveur chez Potez. L’usine est nationalisée en 1937 et devient la SNCAN (Société Nationale de Construction Aéronautique du Nord).
Emile Cavigioli est naturalisé français en janvier 1939 (en vertu du décret du 10 août 1927) décret paru au J.O. du 8 janvier 1939, page 522.
La « drôle de guerre » prend fin le 10 mai 1940 avec l’attaque allemande aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. Le 20 mai, les Allemands de la 1ère Panzerdivision occupent Albert. L’ancien aérodrome d’Albert-Bray est alors utilisé par la Luftwaffe. L’armistice est signé le 22 juin 1940. Les conditions d’occupation sont très dures. La ville d’Albert fait partie des villes de la « zone interdite ».
Dès l’été 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures sont opérationnelles à l’automne 1940. En novembre 1941 des tracts communistes sont diffusés dans les rues d’Albert et le 30 décembre 1941, un contremaître allemand est tué. En mai 1942, les communistes d’Albert fabriquent et diffusent clandestinement un journal : « L’Exploité albertin ». Six Albertins seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 : Cavigioli Émile, Dessein Florimond, Fletcher John.
Emile Cavigioli est requis par les Allemands pour la reconstruction des ponts de la Somme entre Corbie et Péronne. Sa fille Yvette écrit : « En 1940, après l’exode, les familles regagnent Albert. Pour franchir la première ligne de démarcation, il fallait un « Ausweis ». (1) Pour y échapper, le seul moyen pour gagner Paris et ensuite la France libre était de pouvoir traverser la Somme (le fleuve) en barque dans les endroits isolés. Mon père requis par les Allemands pour la reconstruction des ponts de la Somme entre Corbie et Péronne a ainsi pu faire évader des prisonniers de guerre en instance de départ pour les stalags allemands (dans l’anonymat complet). Pour ma part, j’ai connu deux prisonniers employés dans la boulangerie de notre rue, un peu plus âgés que nous et avec qui nous avions sympathisé. Leur évasion a été réussie« .
Emile Cavigioli – grâce à cette réquisition pour la reconstruction des ponts sur la Somme – permet ainsi l’évasion de prisonniers de guerre en instance de départ pour les Stalag. Il leur fait traverser la Somme en barque dans des endroits isolés, afin qu’ils rejoignent Paris.
Le 21 décembre 1940, son nom (orthographié « Cavignoli ») figure sur une liste du commissariat spécial d’Amiens (Somme) d’ancien militants communistes dont l‘internement administratif pourra être effectué à la suite de distributions de tracts.
Il est arrêté le 25 octobre 1941. Remis aux autorités allemandes à leur demande, avec six « personnes de l’arrondissement de Péronne arrêtées par l’autorité allemande », le 25 octobre, celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) le 28 octobre 1941. Il y reçoit le matricule « 2052 », au bâtiment A2.
« Le 7 novembre 1941, nous avons reçu l’avis d’internement au Stalag 122 de Royallieu. Ma mère a reçu un droit de visite à Royallieu au printemps 1942. Malheureusement mon frère et moi sommes restés à la grille. Un petit signe de la main, de loin, et ce fut notre dernier adieu à notre père« . (Yvette Wery).
Fin 1941, plusieurs familles de la Somme (des villes d’Albert, Belloy, Friville, Mers, Oust-Marest) ont sollicité François Brinon, délégué général du gouvernement français pour les territoires occupés, afin de connaître le sort de leurs proches arrêtés entre les 20 et 25 octobre 1941 et internés à Compiègne entre les 23 et 28 octobre, et demander leur libération. Brinon a questionné le préfet de la Somme qui lui répond le 26 décembre 1941 pour ceux d’Albert (Dessin, Villa et Cavigioli) « ces personnes, en raison des renseignements défavorables recueillis au cours de l’enquête (ex-militants communistes), n’ont pas fait l’objet d’une demande de libération à la Feldkommandantur 580 d’Amiens ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Emile Cavigioli est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
« Le 15 juillet 1942, nous avons reçu une carte verte nous informant de son transfert et qu’il fallait attendre pour avoir des nouvelles. Or quelques temps auparavant ma mère avait reçu un colis contenant des objets, nous laissant craindre le pire, mais une lettre jetée d’un train donnait à une autre famille la liste des Albertins présents dans ce train. Ensuite aucune nouvelle… » Yvette Wery.
Lire dans le site : Les lettres jetées du train.
Emile Cavigioli est enregistré à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 343 », selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Emile Cavigioli meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942. Il convient de souligner que cent quarante-huit «45 000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18 et 19 septembre 1942, ainsi qu’un nombre important d’autres détenus du camp enregistrés à ces mêmes dates. D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste «sélection» interne des «inaptes au travail», opérée dans les blocks d’infirmerie.
Emile Cavigioli est déclaré « Mort pour la France » le 9 janvier 1950.
Le titre de « Déporté politique » lui est attribué le 6 octobre 1954 (n° 1102 12976).
En 1975, M. Cavigioli, « inspecteur de l’enseignement, est venu trouver Louis Eudier, lui indiquant que son père avait fait partie du convoi des 45 000. Mais Eudier n’a pas pris les renseignements utiles pour nos recherches » note Roger Arnould sur une fiche de travail
- Note 1 : Albert fait partie d’une des zone réservées dans laquelle les habitants ayant fuit l’arrivée des Allemands ne pouvaient se réinstaller après le 1er novembre 1940 (s’ils étaient des réfugiés français). La ligne de démarcation est hermétiquement fermée après cette date. Elle s’assouplit en mai 1941 et le 18 décembre 1941 tous les réfugiés peuvent revenir de fait dans leur foyer. Cependant, l’interdiction de franchissement de la ligne est maintenue de jure dans les autres cas jusqu’au 1er mars 1943.
Note 2 : Son frère Lucien est déporté depuis le camp de Royallieu le 2 juillet 1944, surnommé « le train de la mort » en raison du nombre très élevé de décès survenus durant le voyage (Christian Bernadac était parvenu à identifier 536 morts durant le transport, chiffre repris par l’Amicale de Dachau). Avec 2152 hommes de 18 nationalités dont 2018 français, c’est le convoi qui compte le plus de déportés. Lucien Cavigioli est déporté aux camps de Flossenburg et de Dachau, d’où il est libéré le 6 janvier 1945.
Sources
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943 le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Témoignage de Louis Eudier, rescapé du convoi..
- Lettre et témoignage de sa fille Madame Yvette Wery, qui a identifié la photo d’immatriculation auprès de Claudine Cardon-Hamet (février et mars 2010).
- Recensements Albert 1926, 1931 et 1936, AD 80.
Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2015, 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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