Le transformateur d’Auboué
Le sabotage du transformateur électrique d’Auboué, dans la nuit du 4 au 5 février 1942, se situe dans la période où Otto Von Stülpnagel sanctionne les attentats par des avis annonçant des fusillades d’otages, accompagnées de déportations de représailles.

Le sabotage a demandé trois réunions préparatoires.

La première s’est tenue à Auboué, en décembre 1941, dans le café de Joseph Schneider, qui sera déporté à Auschwitz, le 6 juillet 1942. La seconde réunion a lieu en janvier 1942 et la troisième le 2 février, deux jours avant l’opération.
Un groupe d’action, composé Giovanni Pacci, Maurice Henry et Narcisse Ippolito, vide les containers d’huile du transformateur, servant à conduire l’électricité.
Ces résistants sont couverts par un groupe de protection formé de Franco Foriani, Henri Koziol, Gino Parentelli (1), et d’un résistant venu de Paris qui n’était peut-être pas Pierre Georges, le futur colonel Fabien, comme cela a été écrit à la Libération (2). Entre minuit et une heure du matin, de grands éclairs sillonnent le ciel au moment où se produit le court-circuit : l’usine et la ville d’Auboué et 17 mines de fer du bassin de Briey et sont plongées dans le noir. La panne dure plusieurs jours.
Hitler ordonne que 20 otages soient fusillés.  Otto von Stülpnagel reporte d’un mois leur exécution, le temps de retrouver les vrais responsables.
C’est ce qu’annonce l’avis du 24 février, signé par le Commandant de la Région militaire C du Nord-est de la France dont le siège est à Dijon.
Au cas où les coupables ne seraient pas arrêtés jusqu’au 10 mars 1942, 20 communistes seront fusillés en représailles et dans le but d’empêcher le retour de tels crimes.
Un document interne de l’administration militaire mentionne la déportation à l’Est de 50 autres personnes.
Les arrestations commencent dès le lendemain du sabotage : par vagues successives, du 5 au 7 février, puis entre le 20 et le 22, et au début de mars. Elles touchent principalement des mineurs et des ouvriers de la métallurgie, des militants connus, de la CGT, communistes pour la plupart.
Mais l’occupant ne fait pas de détail. Pour lui, militants de la CGT et communistes sont synonymes.
Ce qui n’est pourtant pas le cas d’Arsène Dautreaux, socialiste et cégétiste. Secrétaire du syndicat confédéré des métaux en 1935, vice-président de la section de Briey de la ligue des Droits de l’Homme, il avait participé à la constitution des syndicats CGT de la division d’Auboué, de la Solpa à Homécourt et en 1936, à celle du syndicat du Bâtiment d’Homécourt et de ses environs.
Il était en 1937 le trésorier de l’union locale CGT de Joeuf-Homécourt. Il est arrêté le 20 février 1942, et déporté dans le convoi du 6 juillet 1942.
A la suite des interventions de l’ambassadeur d’Italie, du gouvernement français et de Speer, ministre allemand de l’Armement qui redoute les conséquences prévisibles des exécutions d’otages sur la production du bassin minier de Briey, Hitler accepte le 2 avril 1942, de renoncer aux fusillades.
Les auteurs ont été retrouvés et arrêtés en mai et juin. Seize d’entre eux sont jugés par un tribunal militaire allemand, condamnés à mort et fusillés le 29 juillet 1942 à la Malpierre.
Les otages destinés à être déportés sont emprisonnés à la prison Charles III de Nancy, puis internés le 24 février au camp d’Ecrouves, avant d’être transférés à Compiègne au début de mars 1942, certains le 2 mars.

Claudine Cardon-Hamet (extrait de la conférence organisée par la CGT et le PCF de la vallée de l’Orne, à Homécourt le 5 juillet 1997).

  • Note 1 : Gino Parentelli, Lieutenant FTP-FFI préface l’ouvrage des frères Magrinelli en 1985.



On lira sur le sujet les pages consacrées à cette affaire dans le livre de Jean-Claude Magrinelli : « Ouvriers de Lorraine, 1936-1946 », publiée aux Éditions Kaïros à Nancy en 2018. L’affaire d’Auboué, présentée à la lumière des archives inédites trouvées, occupe une grande place du tome 2, Chapitre III, page 199 à 258.

Le sabotage, citations

  • « Antifascisme et Parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1929/1945  » (Jean-Claude et Yves Magrinelli). Imprimerie SNIC, Jarville / 1985.
  • Alfred Rossolini  « Résistance, engagement d’une cité ouvrière, Auboué 1936-1945″. Alfred Rossolini. Wotan Ed. Nancy 2016

« Mario Tinelli, aidé par Maurice Froment, Roger Henry, Joseph Schneider, Pierre Pederzoli et Gino Parentelli, met en place un réseau de résistance communiste, très bien structuré. Affilié au Front National de Lutte pour l’indépendance de la France créé en Meurthe et Moselle en mars 1941, ce réseau obéit à une règle : cloisonnement de groupes constitués de trois personnes dont un responsable ;
trois responsables sont placés à leur tour sous les ordres d’un dirigeant qui est en contact avec la direction locale
» Alfred Rossolini (Op. cité p. 21).
Le café de Joseph Schneider (licencié de l’usine d’Auboué à la suite de la grève du 30 novembre 1938, ne trouvant pas de travail dans les usines et mines, a pris ce café en gérance) sert de lieu de réunion à la Résistance et de passage des prisonniers.
Il est également prévu par Mario Tinelli et Gino Parentelli pour servir de « planque », avec les familles Foggi et Perderzoli (in Magrinelli, Op. cité p. 237).

Le café « l’International » de Joseph Schneider

Erna Schneider, ancienne responsable des Jeunes fille de France du bassin de Briey, y réceptionna en septembre 1941 le colonel André (Albert Ouzoulias) et Pierre Georges (futur colonel Fabien). C’est dans ce café, d’après les frères Magrinelli (p. 242 / 244), qu’a lieu en décembre 1941 une prise de contact avec Pierre Georges.

« une nouvelle réunion rassemble les responsables des groupes voltigeurs aubouésiens, le responsable à l’organisation du Pays-Haut et Mario Tinelli. L’objet de la réunion est de choisir une cible pour porter le plus gros coup possible à l’économie allemande dans la région. Plusieurs hypothèses se présentent : saboter le transformateur de l’usine d’Homécourt ou celui d’Auboué ou la Socoxyl Briey. C’est le sabotage du transformateur électrique de l’usine d’Auboué que l’on retient : il alimente 17 mines du Bassin de Briey. Maurice Henry, qui a travaillé à l’usine d’Auboué, en propose les modalités d’exécution : faute d’explosif, on videra les containers d’huile conductrice d’électricité pour provoquer un court-circuit et l’arrêt de la production électrique. Le 2 février, une nouvelle réunion décide
de la date du sabotage la nuit du 4 au 5 février et des équipes devant le réaliser = une équipe de protection et une équipe d’action, en tout sept personnes dont Pierre Georges.
Le 4 février, vers 22 heures, les deux groupes empruntent la rue des Pompes puis Ie raidillon caillouteux protégé d’arbres menant à la plate-forme sur laquelle se trouve le transformateur.
Le groupe d’action composé de G. Pacci, Maurice Henry et Narcisse Ippolito, tous 3 armés de revolvers, accède au grillage de protection qui entoure le transformateur. Le gardien français de l’usine est assommé, bâillonné et ligoté. Le grillage est ensuite cisaillé puis les containers vidés de leur huile. Ce sont des milliers de litres qui se répandent petit à petit sur le sol. Le groupe d’action rejoint le groupe de protection placé en observation autour du grillage, composé de quatre membres armés également : Franco Fiorani, Henri Koziol, Gino Parentelli et Pierre Georges. Les sept hommes empruntent le même chemin qu’à l’aller.
Il est 23 h. L’opération est terminée et s’est parfaitement déroulée (2). Ce n’est qu’entre minuit et 1 heure du matin que les éclairs électriques et les craquements font réagir la direction de l’usine. Il est déjà trop tard. L’usine, la mine d’Auboué et les mines d’alentour sont plongées dans le noir. La production s’arrête.
Le Préfet de Meurthe-et-Moselle écrit dans son rapport sur la situation entre le 15 janvier et le 25 février 42 : « des actes de sabotage ont été commis dans la nuit du 4 au 5 février, à la centrale électrique d’Auboué et la mine d’Auboué 
». Nous n’avons pu déterminer ni la nature ni les auteurs du second sabotage. Par cette première action d’envergure, les groupes communistes portent la guerre ouverte au cœur du complexe industriel travaillant à plein régime pour l’effort de guerre hitlérien ».

  • Note 2 : Le témoignage de Gino Parentelli, diffère sur certains points de détails des déclarations de Giovanni Pacci devant le
    Tribunal militaire allemand (écho de Nancy 17.7.42). Il admet que « l’attentat avait été suggéré par un dirigeant qui s’abrite derrière un pseudonyme », mais ne mentionne pas que Pierre Georges était présent (Magrinelli note 48). Ajoutons néanmoins que le 14 juillet 1942, Pierre Georges, sous le pseudonyme de Capitaine Henri, participe au sabotage du transformateur de l’usine Lip à Besançon, ce qui témoigne à tout le moins d’une bonne connaissance des conséquences sur l’économie de guerre allemande de ce type de sabotages.

Les représailles

« 20 otages et 50 déportés ». In « Antifascisme et Parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1929/1945  » p.246 et 247.

« Le chef des troupes d’occupation du Bezirk C (Nord-Est de la France) à Dijon fait apposer dans toutes les localités du Pays-Haut un avis daté du 24 février ordonnant qu’« au cas où les coupables… qui relèvent des milieux communistes… et qui sont aidés par des
complices qu’ils trouvent dans la population… ne seraient pas arrêtés jusqu’au 10 mars 1942, 20 communistes seront fusillés en représailles et dans le but d’empêcher le retour de tels crimes…
».

L’avis du 24 février 1942

En fait, les arrestations ont commencé à Auboué et dans le Pays-Haut, dès le 5 février 1942.
A Auboué sont successivement arrêtés du 5 au 7 février (les noms soulignés feront partie du convoi du 6 juillet 1942, déportés à Auschwitz)

Schneider Joseph, ancien responsable du syndicat C.G.T. des métaux dont le café a servi de planque.
Schneider Serge, son fils qui n’a pas 18 ans, dans la chambre duquel la police allemande a saisi des tracts communistes.
Henry Valère, ancien secrétaire du syndicat C.G.T. des mineurs, licencié en novembre 1938.
Tunési Emile, ancien membre du bureau syndical des mineurs, licencié en novembre 1938.
Froment Maurice, ouvrier mineur communiste.
Favro René, jeune accrocheur à l’usine, membre des J.C. (51).
Zani Depalmo, 50 ans, machiniste italien, qui décède à Ecrouves le 26 février.
Les deux responsables des groupes du Pays-Haut, Mario Tinelli et Gino Parentelli échappent de justesse à la police et passent dans la clandestinité. Le 20 février, la Feldgendarmerie procède à une nouvelle vague d’arrestations.
Sur 15 personnes appréhendées, 14 sont libérées, mais Charles Mary, ancien membre du bureau syndical des mineurs, est enfermé avec ses sept camarades aubouésiens (52).
La Feldgendarmerie procède à d’autres arrestations dans de nombreuses cités ouvrières du Pays-Haut.
A Mercy-le-Bas, Lallevé Arthur, 29 ans et Balestreri Raymond, 20 ans, sont arrêtés le 20 février. « Tous deux sont d’anciens membres du P.C. note le sous-préfet de Briey.
A Herserange, « Désiré Sillien, militant d’extrême gauche, a été arrêté par les allemands le 21 février comme otage à la suite de l’attentat d’Auboué ». A Thil, « Maurice Ostorero et Nicolas Pierron qui étaient communistes, ont été internés par les autorités
d’occupation »…
A Longlaville, Vito Modesti, membre du P.C. depuis 1933 est arrêté le 7 février.
A Rehon, Cipriano Bonazzoli est arrêté le 21 février.
A Villerupt, Amilcare Casagrande est arrêté le 22 février.
A Valleroy, Louis Bressolin, machiniste à la mine, ancien secrétaire du syndicat C.G.T. est arrêté dans le courant
du mois de février.
A Audun-le-Roman, Léon Toussaint, délégué C.G.T. du syndicat des cheminots, Jean Manon et Lucien Michel également cheminots, sont arrêtés. Sont-ils ces « trois communistes internés… à la suite du sabotage d’Auboué » dont fait mention un rapport du sous-préfet de Briey ?
A Saulnes, Raoul Aubertel, ouvrier mineur, est arrêté le 17 février.
A Homécourt, Jean Perrot, 17 ans, ouvrier sidérurgiste, est également arrêté.
Dans le Jarnisy, trois militants syndicaux : Giobbé Pasini, Antoine Corgiatti et Joseph Zerlia qui avaient déjà connu l’internement préventif au cours de l’année 1941 sont arrêtés le 22 février 42 par la police française et remis aux allemands ».
C’est parmi ceux-ci que seront choisis les otages.
Les hitlériens vont arrêter « 70 habitants du Bassin de Briey à la suite de cette affaire… (ils) vont être incessamment transférés au camp de Compiègne », c’est-à-dire déportés, à terme, dans les camps d’extermination nazis. Ces arrestations massives constituent l’application d’une circulaire d’Hans Speidel, officier hitlérien, attaché au chef des troupes d’occupation en France Von Stulpnagel,
datée du 21-février : « Pour répondre à l’acte de sabotage d’Auboué le 4 février 42. 70 communistes et juifs seront arrêtés en vue de déportation vers l’Est. D’autres mesures seront prises en cas de non découverte des coupables » (55). Parmi les 70 personnes arrêtées, 20 seront choisies comme otages et promises à l’exécution le 10 mars si les auteurs du sabotage n’étaient pas découverts. Les Hitlériens ont procédé systématiquement, ne laissant aucune part au hasard. Les personnes arrêtées sont pour la plupart d’anciens militants communistes ou cégétistes du Pays-Haut. Il s’agit donc bien, vu l’ampleur et la localisation des représailles, la qualité des otages, de frapper la classe ouvrière locale au coeur ; en résumé, de faire un exemple. Le préfet écrit dans son rapport du 1er
mars : « les arrestations de nombreuses personnes dans l’arrondissement de Briey ont causé, dans toute la région, une grosse émotion. Une atmosphère de terreur règne dans certaines localités ouvrières où les habitants les plus paisibles craignent d’être emmenés d’un
moment à l’autre
». Terreur, le mot n’est pas trop fort ».

Un Commentaire

  1. Bonjour Madame.
    J’ai eu l’honneur, étant l’un des organisateurs de votre conférence à Homécourt en 1997, de faire votre connaissance.
    J’ai pu reprendre mon travail fait dans les années 1980 – 1985 avec mon frère Yves, notamment grâce à l’accès à la presque totalité des archives de la période d’occupation. A la suite de quoi, j’en ai publié une synthèse en trois tomes, Ouvriers de Lorraine, 1936-1946, publiée aux Éditions Kaïros à Nancy en 2018. L’affaire d’Auboué, présentée à la lumière des archives inédites trouvées, occupe une grande place du tome 2, Chapître III, page 199 à 258. Je pense que mon apport pourra utilement enrichir votre page sur le sabotage d’Auboué.
    Avec mes sentiments les plus cordiaux.
    Jean-Claude Magrinelli

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