Matricule « 45 312 » à Auschwitz

Marcel Burel le 8 juillet 1942 à Auschwitz
Marcel Burel © Michèle Allouche
Marcel Burel : né en 1896 à Rouen (Seine-Inférieure) ; domicilié à Issy-les-Moulineaux (Seine) ; imprimeur, représentant, tôlier chez Renault ; arrêté le 18 décembre 1940, condamné à 4 mois de prison (Fresnes) ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 1er septembre 1942.

Marcel Burel est né le 8 juillet 1896 à Rouen (Seine Inférieure / Seine-Maritime). Il habite au 31, rue Jean-Jacques Rousseau à Issy-les-Moulineaux (ancien département de la Seine) au moment de son arrestation.
Marcel Burel est le fils de Victorine, Eugénie Mauger, 28 ans, tisseuse et d’Alexandre, Louis, Albert Burel, 26 ans, employé d’octroi, son époux. Ses parents habitent 27, rue de la Fonderie à Rouen.
Il travaille d’abord comme imprimeur.  Conscrit de la classe 1916, Marcel Burel est mobilisé en 1915 et arrive au 129è RI le 11 avril 1915. On  sait par son registre matricule militaire qu’il mesure 1 m 72, a les cheveux et les yeux châtain et possède un niveau d’étude N° 3 (éducation de niveau primaire supérieure).

Il passe successivement au 24è, puis au et 28è RI. Il est blessé à deux reprises : le 1er juin 1916 et le 14 juin 1918 à la ferme des Loges. Après l’armistice du 11 novembre 2018, absent à l’appel le 5 juin 1919, il est porté déserteur le 7 juin. Il rejoint volontairement son régiment le 17 juin. Pour ces quelques jours d’absence, il passe en conseil de guerre pour désertion et est condamné à 2 mois de prison avec sursis le 19 août 1919, dont il sera amnistié le 21 février 1933.
Il est démobilisé le 31 septembre 1919.

Bords de mer © Michèle Allouche

A partir du 21 avril 1923, il habite au 52, rue Jeanne d’Arc à Rouen.
Il est logé aux grands magasins Dufayel dont il est employé de commerce.

En famille © Michèle Allouche,

Par la suite, il déménage en région parisienne, où il travaille comme tôlier aux usines Renault.
D’après la liste électorale d’Issy-les-Moulineaux de 1936, il habite au 31, rue Jean-Jacques Rousseau, au 32, selon son registre matricule militaire (numéro que nous n’avons pu vérifier, car son nom ne figure pas sur les registres des recensements de 1931, ni de 1936).
Il y vit maritalement (1) avec Vertu Lecointre (elle se faisait appeler Camille, car elle détestait son prénom), née à Gaillefontaine en 1892. Elle travaillait comme femme de ménage et habitait Issy-Les-Moulineaux. Elle avait perdu son mari pendant la guerre de 1914-1918. Elle est décédée le 9 avril 1975 à Issy-Les-Moulineaux, à l’âge de 83 ans. Elle a eu une fille Simone, épouse Amara (mère de neuf enfants à élever seule) et qui a dû confier sa fille Yvette (la mère de Michèle Allouche) à sa mère Vertu Lecointe.

Marcel Burel in documentaire « La France de l’entre-deux guerres, la course à l’abîme 1929-1939 »
Marcel Burel in documentaire « La France de l’entre-deux guerres, la course à l’abîme 1929-1939 »

Madame Michèle Allouche nous a fait parvenir en mai 2024 deux photos recolorisées de cette période. Elle écrit :  « Je suis l’arrière petite fille de la compagne de Marcel Burel et lors de la diffusion récente du documentaire « La France de l’entre-deux guerres, la course à l’abîme 1929-1939 » réalisé par Romain Icard, ma mère, aujourd’hui âgée de 93 ans, a bien reconnu Marcel Burel lors des grèves chez Renault à Boulogne Billancourt. Elle avait vécu avec lui plusieurs années et a bien reconnu son visage. J’ai donc fait 2 prises de vue de ces passages où il apparait très nettement, et j’aimerais pouvoir mettre ces 2 photos recolorisées sur le site « Le convoi des otages communistes du 6 juillet 1942 ». En effet, ces photos montrent bien son combat communiste la veille des mesures prises par Léon Blum en faveur des salariés (congés payés et semaine de 40 heures). Ce serait une belle façon de rendre un dernier hommage à son combat qui lui a coûté malheureusement la vie… ».

Marcel Burel est mobilisé le 4 mars 1940 au dépôt d’Infanterie n° 31. Sa démobilisation intervient à la suite de l’armistice du 25 juin 1940.

Le 3 juin 1940, l’aérodrome d’Issy-les-Moulineaux, servant de base aux avions de l’Etat Major de l’armée française pour les liaisons, et la cartoucherie Gevelot sont bombardés par la Luftwaffe (nom de code « Opération Paula ».  Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier  détachement  allemand  occupe  la mairie de Nanterre et l’état-major  s’y  installe.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Marcel Burel est arrêté le 18 décembre 1940 pour distribution (ou pour détention) de tracts.  Il fait partie des ouvriers ayant travaillé, ou travaillant encore chez Renault qui sont arrêtés puis déportés à Auschwitz. Lire dans le site : 27 ouvriers de chez Renault déportés à Auschwitz.

Conduit au dépôt de la Préfecture, il est mis à la disposition du parquet. Le même jour, il est condamné à quatre mois de prison par la 12è chambre du tribunal correctionnel de la Seine. Il fait appel de la sentence qui est confirmée le 24 février par la cour d’appel de Paris.
Le 1er janvier 1941, Marcel Burel est écroué à Fresnes. A l’expiration de sa peine d’emprisonnement, Marcel Burel n’est pas libéré.
Consigné à la Préfecture, il est, par la suite, remis aux autorités allemandes à leur demande.
Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Marcel Burel est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Marcel Burel le 8 juillet 1942, photo authentifiée par Yvette Lecointre

Le jour de son arrivée à Auschwitz, le 8 juillet 1942, il est immatriculé avec le numéro matricule « 45 312 ».

Le numéro « 45 312 ? » qui figurait dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (Mille otages pour Auschwitz, éditions de 1997 et 2000) correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. L’ordre alphabétique et le visage du déporté correspondant à ce matricule le rendaient plausible, mais il ne pouvait être validé que par la reconnaissance, par un membre de sa famille ou un proche de la photo d’immatriculation publiée au début de cette biographie. 

La photo (2) du déporté portant le numéro matricule « 45 312 » a été reconnue en janvier 2019 par la fille de la compagne de Marcel Burel. L’enfant vivait avec sa mère et avait passé une partie de son enfance au domicile de Marcel Burel à Issy-les-Moulineaux.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

© Dessin de Franz Reisz, 1946

On ignore dans quel camp il est affecté à cette date.

Marcel Burel meurt à Auschwitz le 1er septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz.

Vertu Lecointre et sa petite- fille Yvette

A la Libération, Yvette Allouche et sa grand-mère Camille (Vertu) Lecointre allaient toutes les deux à l’hôtel Lutetia après la guerre, espérant et attendant vainement le retour de Marcel Burel.

 

  • Note 1 : La mention M (pour marié) est faite sur sa fiche au DAVCC (relevé André Montagne), mais aucune mention sur son acte de naissance. On sait maintenant qu’il vivait maritalement.
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’AuschwitzBirkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Archives en ligne de la Seine-Maritime. Etat civil et registre matricule.
  • Archives municipales d’Issy-les Moulineaux (92), liste électorale de 1936.
  • Site du Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
  • Fichier national de la Division des archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
  • Courriels de Michèle Allouche, arrière-petite-fille de la compagne de Marcel Burel (janvier 2019 / mai 2024).

Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2016,  2019, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers.  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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