Albert Coispeau le 8 juillet 1942 à Auschwitz

Matricule « 45.377 » à Auschwitz

Albert Coispeau : né en 1895, à Sargé-sur-Braye (Loir-et-Cher) ; domicilié à Caen (Calvados) ; chauffeur de route SNCF ; arrêté le 7 mai 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Auschwitz-Birkenau le 5 septembre 1942. 

Albert Coispeau est né le 25 février 1895, à Sargé-sur-Braye (Loir-et-Cher). Il habite 50, route de Trouville à Caen (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Alexandrine, Clémentine Couloir, 27 ans, ménagère, née à Saint-Avit (Loir-et-Cher) le 26 décembre 1867 et d’Hippolyte Emilien Coispeau, 26 ans, journalier, son époux, né le 3 mai 1868 à Poislay (Loir-et-Cher).
Ses parents se sont mariés à Poislay le 11 décembre 1890. Son père travaille à Villedomer en Indre-et-Loire en 1906.
Avant son engagement volontaire dans l’armée, Albert Coispeau, chasseur, a plusieurs fois maille à partir avec des garde-chasse privés (amendes pour chasse prohibée, rébellion, chasse sans permis, toutes peines amnistiées après-guerre). Il habite 264, route de Paris à Palaiseau (Seine-et-Oise) au moment de son Conseil de révision.
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 65, a les
cheveux châtain clair et les yeux bleu-jaunâtre, le nez rectiligne et le visage long, un menton à fossette.
Conscrit de la classe 1915, Albert Coispeau s’est engagé volontairement. Il est incorporé le 19 décembre 1914 au 119ème Régiment d’Infanterie. Sur le Front, il passe au 129ème Régiment d’Infanterie le 8 mars 1915. Le 21 mars de la même année, il passe au 403ème Régiment d’Infanterie. Devant Ville-sur-Tourbe (Marne) il est blessé, le 26 septembre 1915 (blessure jambe et fesse droite). « Ce jour-là les troupes françaises buttent sur la deuxième ligne allemande à contre pente avec des réseaux de barbelés intacts et infranchissables car dissimulés aux vues et aux effets de l’artillerie de campagne » (deuxième bataille de champagne, in Wikipédia). Il est hospitalisé jusqu’au 10 janvier 1916. Revenu aux armées, il est « évacué malade » le lendemain et revient au Dépôt seulement le 19 septembre 1916 après son mariage.
Albert Coispeau, domicilié alors à Palaiseau, (Seine-et-Oise / Essonne) épouse Suzanne, Fernande Chapellière à Lisieux, le 4 septembre 1916. Domestique, elle est née le 22 juillet 1897 à Lisieux et habite rue du Pont Mortain (elle y est décédée en 1984).
Il est déclaré « inapte deux mois » par la Commission de Réforme de Rouen du 26 janvier 1917, prolongé à nouveau le 23 mars 1917. Il
est déclaré « apte à faire campagne » le 20 mai 1917. Il passe au 1er groupe d’Aviation le 3 novembre 1917. 
Albert Coispeau est blessé par accident le 22 novembre 1918 (plaie pénétrante main gauche, amputation de l’auriculaire et du médius). Démobilisé, il « se retire » selon le jargon militaire à Caen, au 161, rue d’Auge.
Albert Coispeau est classé « Affecté spécial » dans la Réserve de l’armée, comme volontaire « nettoyeur » aux Chemins de fer de l’Etat le 27 février 1919. Il est nommé « chauffeur de route » (décret paru au JO du 3 juin 1923,) et travaille ensuite comme « chauffeur de route » au dépôt des chemins de fer à Caen.
En juillet et décembre 1931, il habite toujours au 161, rue d’Auge à Caen. Il est alors mécanicien à la SNCF (recensement et registre militaire).
Après une bagarre, il est condamné à 25 francs d’amende (Ouest Eclair du 12 juillet 1931).
En 1935, il est nommé à un « emploi réservé » par la direction des Chemins de fer (JO du 16 mars 1935).
En 1936, il habite avec son épouse au n° 5, route de Trouville à Caen (recensement : à l’époque la rue ne comporte qu’une dizaine de maisons). Il est alors mécanicien.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch. . En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.  Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les anciens élus ou militants communistes « notoires », et procède à des perquisitions et des arrestations.

Le 50, rue de Trourville

Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.
En 1942, le couple Coispeau habite un petit pavillon au 50, route de Trouville.

Il est considéré comme militant communiste par les services de police, ce que son épouse contestera après la Libération « il n’était affilié à aucun organisme quelconque de Résistance ni à aucun parti politique, mais il ne cachait pas ses sentiments anti-allemands et pro-alliés, il écoutait aussi la radio anglaise et passait auprès des autorités allemandes pour être communiste, ce qui était inexact« .

Albert Coispeau est arrêté le 1er mai 1942 comme otage à son domicile vers 1h30 du matin (témoignage de son épouse) par un inspecteur de police français, accompagné de Feldgendarmes et de gardiens de la paix français en uniforme. Il figure en effet sur la liste de 120 otages « communistes et Juifs » établie par les autorités allemandes.
Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43ème régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht. 28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du
43ème RI.  Le 14 mai, 11 nouveaux communistes sont fusillés à Caen.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).

Le « petit Lycée » de Caen

Albert Coispeau est emmené de nuit à la Maison centrale de la Maladrerie de Caen (dite également prison de Beaulieu), entassé avec d’autres militants caennais arrêtés le même jour, au sous-sol dans des cellules exiguës.  A la demande des autorités allemandes, Albert Coispeau et ses camarades sont conduits en autocars le 3 mai au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage André Montagne).

Albert Coispeau y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.  A Compiègne, il reçoit le matricule « 5.209 ».
A la suite de l’arrestation de 27 cheminots du Calvados du 1er au 4 mai 1942 (dont 8 par tirage au sort), la Direction de la SNCF a sollicité l’intervention de l’ambassadeur de France qui écrit le 15 mai 1942 au Général commandant les forces militaires allemandes en France, soulignant l’impact de ces mesures sur le personnel cheminot très sollicité et en sous effectifs, et demandant leur révision (en vain). Albert Coispeau fait partie de la liste mentionnée, avec sa fonction : chauffeur de route à Caen (arrondissement de traction de Caen).
Ce courrier n’est pas suivi d’effets positifs.
Le 26 juin, réponse de la Sipo-SD (Gestapo) à la Generaldelegation der französicher Regierung bein Militäbefeehlsaber in
Frankreich
,
Délégation gén
érale du gouvernement français, Centre de commandement militaire en France, Place Bauveau, signée par un SS Sturnbannführer (équivalent de Major Wehmacht) :
« Der grösste Teil der verhafteten Personen ist bereits wieder entlassen. Bei felgenden Personen ist die Kommunistishe Betätigung nachgewiesen, sodacs die Enthaftung zur Zeit noch nicht in Betrachtkommen kann. Im übrigen sind einige Personnen von dem Präfekten verhaftetden. Wie hier bekannt wird, ist davon auch ein Teil bereitts wieder auf freine Fuss gesetzt worden. Der grösste Teil der verhafteten Personen ist bereits wieder entlassen. Bei felgenden Personen ist die Kommunistishe Betätigung nachgewiesen, sodacs die Enthaftung zur Zeit noch nicht in Betrachtkommen kann ». C’est une fin de non recevoir.
« La plupart des personnes arrêtées ont déjà été libérées. Mais l’activité communiste a été prouvée chez des sujets innocents (du déraillement), de sorte que leur libération n’est pas effective. Quelques personnes arrêtées par la Préfecture ont été mises en attente selon nos informations ».  

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Albert Coispeau est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45377 ». Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (1) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz. 

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Albert Coispeau meurt à Auschwitz le 5 septembre 1942, d’après les registres du camp (in Death Books from AuschwitzSterbebücher von Auschwitz / livre des morts).
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
Albert Coispeau est homologué comme Résistant, au titre de la Résistance Intérieure Française (RIF) comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 136146.

Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et d’André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom d’Albert Coispeau est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942.
Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année. 

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés. 

Sources

  • Questionnaire FNDIRP N° 5461 rempli par sa veuve.
  • Témoignage d’Eugène Baudouin, 45207, rescapé.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. LA 15760 / LA 14483/ LA 10558  (listes arrestations Calvados).
  • Archives départementales du Calvados.
  • Recherches généalogiques (état civil, recensements 1931 et 1936, registres matricules père et fils, articles de presse) effectuées par Pierre Cardon.

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2016, 2017 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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