Matricule « 45 420 » à Auschwitz

François Dallet : né en 1898 à Saint Martial-le-Vieux (Creuse) ; domicilié à Levallois-Perret (Seine) ; cultivateur, chauffeur de taxi ; communiste ; arrêté le 16 décembre 1940, condamné à 8 mois de prison (Santé, Fresnes) ; interné aux camps de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 7 août 1942.

François Dallet est né le 2 septembre 1898 à Saint Martial-le-Vieux (Creuse) au lieu-dit Vintéjoux,
où vivent ses parents et grands-parents.
François Dallet habite au 16,ter rue Collange à Levallois-Perret (ancien département de la Seine / Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.
I
l est le fils de Victorine, Marie Gouyon, 22 ans, cultivatrice et d’Antoine Dallet, 30 ans, cocher, son époux.
Il a une sœur cadette, Yvonne, née en 1901.
Lors du conseil de révision, François Dallet habite à Saint Martial-le-Vieux. Il y travaille comme cultivateur.  Son registre matricule militaire indique
qu’il mesure 1m 67, a les cheveux châtain foncé, les yeux gris, le front fuyant, le nez rectiligne et le visage ovale. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1918, il est mobilisé par anticipation en mai 1917, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre.  Il est incorporé au 138è régiment d’infanterie le 3 mai 1917. Il passe au 107è régiment d’infanterie en décembre 1917, puis au 160è régiment d’infanterie le 30 avril 1919 et au 60è régiment d’infanterie le 26 août 1919, puis au COA (commis et ouvriers de l’armée).

Médaille 14/18

Ses services armés seront comptabilisés du 3 mai 1917 au 23 octobre 1919. François Dallet sera hospitalisé à plusieurs reprises au cours de ses années de guerre : oreillons et rougeole (1917), congestion pulmonaire (1918), bronchite (1919).
Il est démobilisé le 29 mai 1920.  Il est titulaire de la médaille commémorative française de la Grande guerre.

Taxi G7 des années 30

En juillet 1927, il est « chauffeur d’auto » à la compagnie de taxis « G7 » rue Baudin à Levallois et habite alors au 124, rue du Président Wilson à Levallois.
Il s’inscrit sur les listes électorales de la ville en 1928.
Fin 1928, il est secrétaire du 7è rayon de la région parisienne du Parti communiste

Selon un rapport des Renseignements généraux, François Dallet participe au titre de secrétaire du 7è rayon – le 8 novembre 1929 – au meeting organisé par le Parti communiste dans la salle du passage Reflut, à Clichy, à l’occasion de la célébration du 12è anniversaire de la Révolution russe. (…). Le président de séance, Alexandre Antonini, secrétaire de la section de Clichy, qui est allé en URSS en 1927, fait allusion dans son introduction à certains élus municipaux qui n’ont pas voulu se soumettre à la discipline du Parti. Les partisans de Charles Auffray présents en nombre le conspuent (voir sur cet épisode la notice biographique de celui-ci, Maire de Clichy, qui va quitter le Parti communiste et fonder le Parti d’unité prolétarienne (PUP). AUFFRAY Charles [AUFFRAY Adrien, Charles].
François Dallet prend la parole et vante d’abord lui aussi les progrès obtenus en URSS grâce à la Révolution. Puis lui aussi évoque l’indiscipline d’élus de  Clichy et  l’attitude du maire Charles Auffray, qui a refusé des salles municipales à des représentant du PC, à calomnié des militants et vient de fonder un journal, Le Prolétaire de Clichy, où des articles violents sont dirigés contre certains d’entre eux : « Agir ainsi, c’est marcher vers la social-démocratie et devenir esclaves de la bourgeoisie ». Dallet descend de la tribune applaudi par ses partisans et conspué par les amis d’Auffray,

En 1934 il a déménagé pour être encore plus proche du dépôt de la G7, à l’hôtel du 16 ter rue Collange, logement n° 11 (aujourd’hui « Crystal Hôtel »). En 1936, il est mentionné comme « chauffeur » à la CPA Levallois (« Compagnie Française des Automobiles de Place » appelée plus tard « G7 »), sur le registre de recensement de Levallois. De nombreux chauffeurs y sont également logés (travaillant aussi chez Auto-place).

Le 12 février 1940, François Dallet est mobilisé au dépôt d’infanterie n° 133, où sont mobilisés d’autres militants communistes originaires de l’Allier et de la Creuse (Raymond Perigaud, cheminot interné en 1943 à la prison allemande de la « Mal-coiffée », André Perronnet, déporté en 1943 à Buchenwald, Henri Borde, déporté en 1943 à Mauthausen).

Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier  détachement  allemand  occupe  la mairie de Nanterre et l’état-major  s’y  installe.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Le 16 décembre 1940, François Dallet est arrêté en même temps que Louis Allaire, un autre levalloisien, pour diffusion de tracts communistes (1). Le rapport journalier de la Brigade Spéciale des RG (BS1) fait état de 4 tracts communistes pliés dans le journal « Paris Soir », envoyés en
Bretagne à sa mère par Louis Allaire. Les inspecteurs saisissent 23 tracts au domicile de Louis Allaire. 

Registre journalier de la BS1

Cette arrestation est effectuée par la Brigade spéciale des Renseignements généraux
en collaboration avec le commissariat de Levallois. Ce qui sous entend une surveillance et une filature préalable. On sait par la le registre journalier de la BS ci-contre, que Louis Allaire a reconnu les faits constatés par les inspecteurs. La formulation employée ne permet pas néanmoins de dire comment la BS sait que les tracts lui ont été donnés par François Dallet et que celui-ci les détenait de S… (nous avions occulté le nom : il s’agit de Léon Salagnac qui sera arrêté le 25 janvier 1941, futur maire de Malakoff en 1944).
Accusé « d’activités communistes », François Dallet est inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939.
Il est incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé. Condamné à 8 mois de prison, il est écroué à Fresnes le 2 mai 1941.
A la date d’expiration normale de sa peine d’emprisonnement, il est envoyé au Dépôt de la Préfecture.

Camp de Rouillé. On notera l’erreur sur sa date de naissance

Et en application en application de la loi du 3 septembre 1940 (2), le préfet de police de Paris ordonne son internement administratif au « Centre de Séjour Surveillé » de Rouillé (3) le 25 juin 1941.
Lire dans le site : le-camp-de-Rouillé ‎
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au directeur du camp de Rouillé une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne, le Frontstalag 122. Le nom de François Dallet (n° 55) y figure, comme ceux de ses deux camarades clichois, d’Eugène Guillaume et René Petitjean.
C’est avec un groupe d’environ 160 internés (4) qu’il arrive à Compiègne le 22 mai 1942.
La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, François Dallet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

 François Dallet est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8juillet 1942 sous le numéro «45.420» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

François Dallet meurt à Auschwitz le 7 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 204 et © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau).

  • Note 1 : Selon le témoignage de madame Faurie, veuve de Paul Faurie (FNDIRP, 10 février 1987) il y a cinq autres chauffeurs de taxi parmi les « 45000 » de Levallois, dont son mari. On sait également qu’après les grèves de 1938, plusieurs militants licenciés, se font embaucher à la G7 comme chauffeurs de taxi. Une tradition qui perdurera. Le maire communiste de Levallois, Parfait Jans, ajusteur de métier, fut embauché comme taxi à la G7 après avoir été licencié dans les années 1960.
  • Note 2 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes. 
  • Note 3 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. Il a été fermé en juin 1944. In site de l’Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé.
  • Note 4 : Dix-neuf internés de cette liste de 187 noms ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps, ou sont hospitalisés. Trois se sont évadés. Cinq d’entre eux ont été fusillés.

Sources

  • Liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne en mai 1942. Archives du Centre de documentation juive contemporaine : XLI-42).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau des archives des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Archives en ligne de la Creuse : état civil et registres matricules militaires .
  • Archives de la Préfecture de police de police de Paris.
  • Recensements de Levallois

Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2016,  2019, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers.  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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