Témoignage d’André Montagne, « 45912 »
"L'échec de la révolte du Sonderkommando est suivi, le 27 octobre 1944, par l'évasion manquée des membres de la direction du Kampfgruppe [1].
Cinq hommes avaient pris part à l’opération : Ernst Burger et Zbysczek Raynoch, qui devaient partir en août, ainsi que trois membres polonais du mouvement de résistance, Bernard Swiercynna, Czeslaw Duzel et Piotr Piaty. La complicité de deux SS du service des transports avait été en principe acquise mais l’un d’eux, Johann Roth, joua double jeu. Il arrêta les cinq hommes et attaqua les partisans au lieu convenu pour le rendez-vous.
La Gestapo incarcéra avec eux deux autres dirigeants du Kampfgruppe : Rudolf Friemel et Ludwig Vesely. Les cinq camarades subirent des tortures terribles mais il ne fut pas possible d’obtenir d’eux le moindre renseignement. Après un premier interrogatoire, ils furent enfermés au Bunker (cellule) du trop célèbre block 11. Nos camarades (…) tentèrent de s’empoisonner[2](…). Tout fut mis en oeuvre pour les ramener à la vie, la Gestapo voulait à tout prix savoir, mais nos camarades restèrent fermes et courageux. Le dossier fut envoyé à Berlin et le verdict fut impitoyable : la pendaison publique dans le camp fut décidée. Aussi le 27 décembre, en rentrant au camp, nous avons pu constater qu’un portique était dressé en vue de la sentence finale. L’exécution n’eut pas lieu ce jour-là. (…) Le 30 décembre, l’exécution eut lieu devant les prisonniers, sur la place d’appel, face aux cuisines. (…). Ils furent alignés devant leurs cordes respectives, puis écoutèrent stoïquement l’acte d’accusation qui avait pour motif : « tentative d’évasion et organisation d’un complot dirigé contre la sécurité du camp d’Auschwitz… »[3]J’étais aux premiers rangs des détenus, – témoigne André Montagne – car le commandant du camp avait ordonné que les Reichsdeutsch fussent placés devant les potences. Ce fut un des moments les plus douloureux de ma déportation. Je connaissais personnellement certains de ces condamnés. Il suffisait de voir le visage franc et ouvert d’Ernst Burger pour voir qu’il était quelqu’un de bien. Ils firent preuve d’un courage impressionnant. Les Autrichiens crièrent des mots d’ordre où ils affirmaient, une dernière fois, leur hostilité au nazisme, leur confiance dans l’armée Rouge et leur foi dans la liberté. Les Polonais reprirent une phrase de l’hymne national polonais.[4]Le soir de l’exécution tous les camarades rentrèrent dans leurs blocks respectifs, dans un silence impressionnant. Jamais les allées du camp ne furent aussi désertes.[5] »
Ainsi décapitée – écrit Hermann Langbein – la Résistance ne put jouer de rôle décisif dans la phase finale de l’histoire d’Auschwitz.[6]
Témoignage d’Eugène Garnier, « 45.571 »
« En septembre, les combats avaient pris une importance capitale dans les Beskides, les partisans déployaient dans cette région une activité intense. Aussi, en accord avec la direction du camp, décidions-nous de remettre en état de fonctionnement nos groupes paramilitaires qui étaient restés à l’état de cadres comme l’a indiqué Abada dans son rapport.
D’autre part, nous avions pu avoir des nouvelles directes des partisans ; je ne sais de quelle manière, car, dans ce genre de travail, il y a des choses qui doivent rester secrètes. Notre camarade autrichien Ernst Burger avait le contact avec l’extérieur. Je savais aussi que l’évasion de quelques camarades était décidée et que ceux-ci devaient rejoindre les partisans. Un contact permanent et direct devait s’établir en vue de tenter un coup de force sur le camp pour aboutir à une sortie en masse. Tout cela avait été préparé dans les règles de l’art et aurait réussi si un incident fâcheux ne s’était produit.
La sortie devait se faire avec la complicité d’un chauffeur, S.S. par obligation, dont les sentiments antifascistes ne pouvaient être mis en doute. L’évasion eut lieu fin octobre ainsi que la rencontre avec deux partisans comme cela était prévu ; malheureusement un accident immobilisa la voiture et, au moment où l’on procédait à son dépannage, une patrouille de service de sécurité fit son apparition. Il sembla à ceux-ci qu’il y avait quelque chose de louche et ils découvrirent l’évasion. Le chauffeur et les deux partisans furent fusillés. Quant à Ernst Bruger, Rudolph Friemel, Ludwig Wessely et les deux Polonais Tadeck et Pionteck, ils furent amenés au bureau politique pour y être interrogés. Ces cinq camarades subirent des tortures terribles mais il ne fut pas possible d’obtenir d’eux le moindre renseignement. Après un premier interrogatoire, ils furent enfermés au Bunker (cellule) du trop célèbre block 11. Nos camarades savaient à l’avance. que, si le coup était manqué, c’était inévitablement la mort pour eux, aussi tentèrent-ils de s’empoisonner.
Les doses n’étaient pas suffisamment fortes, la mort ne se produisit pas, mais ils subirent de terribles souffrances. Tout fut mis en œuvre pour les ramener à la vie, la Gestapo voulait à tout prix savoir mais nos camarades restèrent fermes et courageux. Le dossier fut envoyé à Berlin et le verdict fut impitoyable : la
pendaison publique dans le camp fut décidée.
Aussi le 27 décembre, en rentrant au, camp, nous avons pu constater qu’un portique était dressé en vue de la
sentence finale. L’exécution n’eut pas lieu ce jour-là. Ou bien le Lagerführer Hessler n’eut pas l’audace de procéder à l’exécution ou bien des ordres furent donnés de Berlin pour y surseoir, peut-être aussi la Gestapo espérait-elle que nos camarades se décideraient à parler après cette épreuve supplémentaire : il n’en fut rien. Le 30 décembre, l’exécution eut lieu devant tous les prisonniers, sur la place d’appel, face aux cuisines. Nos camarades firent preuve d’un grand courage, ils furent alignés devant leurs cordes respectives, puis écoutèrent stoïquement l’acte d’accusation qui avait pour motif : « tentative d’évasion et organisation d’un complot dirigé contre la sécurité du camp d’Auschwitz ». Nos camarades montèrent sur le tabouret et, sans aide, passèrent la tète dans le coulant après avoir crié de toutes leurs forces : « Vive Staline, vive l’Armée Rouge, vive la Liberté, à bas la Bête Brune » .
Les deux Polonais Tadeck et Pionteck crièrent : « Vive la Pologne démocratique ». Ce qui leur valut une distribution supplémentaire de coups de cravache avant de retirer le tabouret sous leurs pieds. Le soir de l’exécution, tous les camarades rentrèrent dans leurs blocks respectifs dans un
silence impressionnant, jamais les allées du camp ne furent aussi désertes. Ainsi fut rendu un pieux hommage au sacrifice de nos cinq héros. Et vingt-huit jours plus tard, le camp était libéré par l’Armée Rouge ».
in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946), pages 182 et 183.
Voir dans le site : La Résistance et la libération d’Auschwitz : témoignage d’Eugène Garnier « 45.571 »
Notes
- Photo de la potence, Musée d’Auschwitz Dr.
- [1]Lire le récit de cette évasion par Hermann Langbein, Hommes et femmes d’Auschwitz, Ed Fayard, p. 416-417.
- [2]Czeslaw Duzel et Zbysczek Raynoch moururent des suites de leur empoisonnement
- [3]Eugène Garnier, « Organisation de la Résistance, Août 44-27 janvier 45« .
- [4]Témoignage d’André Montagne, 1990.
- [5]Eugène Garnier, p. 179.
- [6]Hermann Langbein, Hommes et femmes d’Aushwitz, Ed Fayard p. 264-265.
Extraits du livre de Claudine Cardon-Hamet, « Triangles rouges à Auschwitz », contenant des témoignages d’André Montagne. Photo de Rudolf Friemel in site Internet Dasrotwien.at