Matricule « 45 939 » à Auschwitz
Pierre Orsatti : né en 1892 à Feins (Ille-et-Vilaine) ; domicilié à Puteaux (Seine) ; ajusteur- fraiseur ; arrêté en janvier 1940, évadé en juin ; arrêté le 26 juin 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 26 août 1942.
Pierre Orsatti est né le 26 avril 1892 à Feins (Ille-et-Vilaine).
Au moment de son arrestation, il habite dans un des immeubles HBM au 29, rue Cartault, à Puteaux (ancien département de la Seine / Hauts de Seine) à la même adresse que les jeunes Pierre Bourneix et René Maroteaux qui seront déportés dans le même convoi que lui.
Il est le fils d’Anna, Marie Truet, 27 ans et de Paul Orsatti, 40 ans, garde particulier à Champbellé (Feins).
Il est mécanicien de formation.
Au moment du conseil de révision de sa classe d’âge en janvier 1912, il sert comme mécanicien à bord du contre-torpilleur « Pistolet » basé à Hanoï en Cochinchine (Vietnam). Il s’est en effet engagé volontairement en 1909.
Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 67, a les cheveux noirs, les yeux gris, le front ordinaire et le visage long. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Pierre Orsatti s’est engagé dans la Marine à Lorient en 1909 selon les conditions de la loi du 28 juillet 1886 concernant les engagements volontaires
au titre de l’armée coloniale. Il est « levé » le 7 avril 1909 comme « apprenti marin ». Il est incorporé comme matelot de 2è classe au troisième
dépôt des équipages de la Flotte à Lorient le 9 décembre 1911. Il est nommé quartier-maître mécanicien le 1er juin 1912, et renvoyé dans ses foyers à la fin de son engagement, « certificat d’assez bonne conduite accordé ». Il est « rappelé à l’activité » par le décret de mobilisation générale du 2
août 1914. Ses services « contre l’Allemagne » dans la Marine sont comptés du 2 août 1914 au 14 juin 1919. Le 15 juin 1919, il est mis en congé
illimité de démobilisation par le troisième dépôt des équipages de la Flotte à Lorient et « se retire » chez ses parents au 1, rue de Nemours à Rennes.
Le 29 avril 1922, Pierre Orsatti habite au 41, rue Voltaire au Havre (Seine Inférieure / Seine Maritime). Le 8 février 1923, il a déménagé au 7, rue de la Smala (aujourd’hui Rue Béatrix-Dussane) à Paris 15è.
Le 28 juillet 1923 Pierre Orsatti épouse Reine, Armandine, Justine Dessez à Paris 15è. Fille de salle, âgée de 22 ans, elle est née le 8 janvier 1901 à Puteaux. Le jeune couple habite alors au 7, rue de la Smala à Paris 15è.
Le 1er janvier 1928, Pierre Orsatti a comme adresse pour la Réserve de l’Armée « Clos Marie, rue Voltaire » à La Seyne (Var), ce qui correspond sans doute à une « période » au titre de la Réserve de la Marine.
En juillet 1932, Pierre Orsatti est revenu en région parisienne et habite alors au 80, rue des Chênes, à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine).
En février 1932, il déménage au 2 bis rue des Pavillons à Suresnes. En septembre, 1934, il est au 2, rue Bernard-Palissy, à Paris 6è.
Le 10 mars 1936, Pierre Orsatti est classé en qualité d’ajusteur au titre de la réserve de l’armée de terre comme « affecté spécial » (au titre du tableau III) à la société française Hispano-Suiza, rue du capitaine Guynemer à Bois-Colombes.
L’usine est occupée pendant deux semaines en juin 1936. Il y côtoie un autre militant communiste : Pierre Demerlé qui sera plus tard, comme lui, déporté à Auschwitz.
En 1936 Pierre Orsatti a déménagé à Puteaux, dans les HBM du 29, rue Cartault et travaille alors chez Hotchkiss (automobiles) à l’usine de Puteaux. Le couple héberge son neveu, Dominique Luciani, né en 1919 à Rennes.
Pierre Orsatti est un des secrétaires de la section communiste de Puteaux, et militant cégétiste.
En 1938, il s’inscrit sur les listes électorales de Puteaux. Il indique ajusteur comme profession.
Il est arrêté une première fois en janvier 40 (1), et s’évade, sans doute au moment des transferts des prisons devant l’avancée allemande (2).
Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Pierre Orsatti participe dès lors « à la lutte clandestine » (in « L’Eveil » 1981).
Pierre Orsatti est arrêté une deuxième fois par la police française le 26 juin 1941 (sur dénonciation, selon Madame Marie-Louise Pairière, veuve d’un « 45 000 »).
Qu’il s’agisse ou nom d’une dénonciation, Pierre Orsatti est connu des Renseignements généraux : La liste des Renseignements généraux répertoriant les communistes internés administrativement le 26 juin 1941, mentionne pour Pierre Orsatti : « Meneur particulièrement actif ». Son arrestation a lieu dans le cadre d’une grande rafle concernant les milieux syndicaux et communistes. En effet, le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française.
D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ici l’Hôtel Matignon), ils sont envoyés en vue de leur déportation comme otages, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), le Frontstalag 122 administré par la Wehrmacht.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Pierre Orsatti est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Dans le train il jette un dernier billet sur le ballast, qui est ramassé par des cheminots et porté à son épouse. Il y écrit qu’il est dans le même wagon que Lucien Pairière et André Bisillon (témoignage de Madame Pairière).
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45939 ».
Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Pierre Orsatti meurt à Auschwitz le 23 août 1942 d’après les registres du camp (Death Books from Auschwitz, tome 3, page 889)
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
Son nom figure sur le monument aux Martyrs de la Résistance, édifié à Puteaux en mai 1970.
Une cellule du PCF de Puteaux a porté son nom.
- Note 1 : La Prison militaire de Paris (les prisons de la Santé et du Cherche-Midi) est évacuée sous escorte armée entre le 10 et le 12 juin 1940, sur ordre de Georges Mandel, ministre de l’Intérieur. Ils sont 1865 au départ de Paris. Le repli a pour but de transférer les détenus « dangereux »
de la « prison militaire de Paris » au camp de Gurs (arrondissement d’Oloron) puis à Mauzac. Pierre Orsatti et ses co-détenus sont évacués par autobus de la TCRP, le 10 juin 1940. A Orléans, les gardiens du convoi apprennent que la maison d’arrêt est bondée ; le convoi repart donc jusqu’au camp des Grouës, proche de la gare des Aubrais, où 825 prisonniers, sont débarqués (4). Prisonniers et gardiens y resteront quatre jours, du 11 au 15 juin. Le séjour au camp des Grouës est marqué par les raids incessants de l’aviation allemande qui terrorisent détenus et
gardiens. C’est pourquoi, le 15 juin, tout le monde repart. Mais cette fois, plus question d’autobus, le transfert se fera à pied et de nuit. Ils
rejoignent le lendemain à Jouy-le-Potier des camions qui les conduisent à la base aérienne 127 d’Avord, près de Bourges. Ils y retrouvent un autre groupe d’Ile de France venu du camp de Cépoy, près de Montargis (Loiret). (…). Gardiens et détenus n’y restent que quelques heures, puis repartent en autobus jusqu’à Bordeaux, Mont-de-Marsan, Orthez et Gurs. Ils arrivent au camp en deux groupes, les 21 et 23 juin. Ils y resteront plusieurs mois, jusqu’au début de l’hiver (L’histoire du camp de Gurs, in © Amicale du camp de Gurs). - Note 2 : À partir du 13 juin, le regroupement d’une partie des prisonniers de la Santé et du Cherche-Midi a lieu au camp des Grouës. « Le commandant de cette prison prend la direction de tout notre troupeau, qui reçoit la dénomination de “détachement des prisons de Paris” » précise Charles Lesca. Dès lors, le commandement est assuré par le capitaine Kersaudy. En raison de l’attaque déclenchée par l’aviation
allemande sur la gare des Aubrais, le camp est évacué au soir du 15 juin. En colonne par trois, les prisonniers se dirigent, à pied, vers le sud, en
direction de Bourges, avec pour objectif d’atteindre le camp d’aviation d’Avord (Cher). Orléans bombardé est en flammes. L’incendie rougeoie le ciel. Profitant de la confusion générale, un grand nombre de prisonniers s’évade (extraits de Jacky Tronel, « La prison militaire de Paris sur les routes de l’exode » in Arkeia n° 14). - Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la
Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Texte de la lettre du 6 juillet 42. La présence d’André Bisillon et Lucien Pairiere y est signalée.
- Plaquette mai 1981, « La Résistance à Puteaux, Juin 1940 à Août 1944 ». Témoignages vécus et recueillis par Jean Nennig,
- M. Philippe Buyle, historien (février 1991).
- Mlle Chabot, archiviste (juin 88 et février 1991).
- Témoignage d’Emile Bouchacourt, survivant « 45000 ».
- Témoignage de Madame Marie-Louise Pairiere, veuve de Lucien Pairiere, un des « 45 000 » de Puteaux, juillet 72.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Archives de la Préfecture de police de Paris, Les Lilas. Renseignements généraux et Liste des militants communistes internés le 26 juin
1941
Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2016, 2019 et 2022) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) . Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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