Matricule « 46 031 » à Auschwitz

Frédéric Rancez, Archives-Documentation de Gentilly
Frédéric Rancez à Auschwitz

 

Frédéric Rancez : né en 1903 à Puteaux (Seine) ; domicilié à Courbevoie (Seine) ; ajusteur-outilleur ; militant CGT ; communiste ; ancien commissaire des Brigades internationales ; arrêté le 11 février 1942 ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt

Frédéric Rancez est né le 10 janvier 1903 à Puteaux (ancien département de la Seine).  Frédéric Rancez habite au 24, boulevard Edgar Quinet à Courbevoie (ancien département de la Seine) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Pauline, Lucille Gidoin, 24 ans, sans profession et de Michel, Pierre Rancez, 30 ans, boulanger son époux. Ses parents habitent au 1 de la rue Pitois à Puteaux, ils se sont mariés dans cette ville le 5 juillet 1902.
Il habite au 151, grande rue à Chaville avant son mariage. Son père est décédé. Il travaille comme monteur.

Frédéric Rancez épouse Lucie Augustine Duriez le 7 juin 1924
à Suresnes. Elle est sténo dactylo, âgée de 19 ans. Elle est née le 12 avril 1905 à Puteaux et elle est domiciliée au 51, rue Danton à Suresnes.
Le couple habite au 5, rue Pitois à Puteaux, où Gabriel Rancez était domicilié avant d’habiter Chaville.

« Frédéric Rancez suivit l’école primaire. (…). Son beau-père lui expliqua en 1922 ce qu’était la révolution Russe. En 1923, il effectua six mois de service militaire à Neuschtadt (Allemagne), et fut réformé. Frédéric Rancez adhéra à la Jeunesse communiste de France en 1924, il fut trésorier du rayon des Jeunesses  communiste de Puteaux de 1931 à 1936. Il exerça son métier d’ajusteur-outilleur dans cette ville, à partir de 1926 il travailla chez Charon deux ans, puis autant à la maison Dalbouze. En 1933, il fit grève à la fabrique de réveils matin Jaz. Il participa aux manifestations des 6, 7 et 9 février 1934 contre les ligues factieuses et adhéra celle année-là au Parti communiste. Lors des grèves du Front populaire, en juin 1936, il travaillait chez Gardy à Argenteuil (Seine-et-Oise /Val-d’Oise) ». In Le Maitron.

De 1926 à 1928 Frédéric Rancez travaille aux automobiles Charron à Puteaux, puis de 1928 à 1930 aux établissements Dalbouze et Brachet (Puteaux), spécialisés dans le matériel de cimenterie.

L’Humanité du 20 mars 1935
Réveil Jaz « Modic » 1924-1937

En mars 1935, il est ouvrier à la fabrique de réveils matin Jaz (CMIH, Compagnie Industrielle de Mécanique Horlogère).

L’Humanité du 15 mars 1935

Il fait partie des 500 ouvriers lock-outés par la direction à la suite d’une grève de 3 heures « sur le tas », dans les ateliers, le 15 mars 1935, décidée en réponse à la diminution de salaires annoncée le jour même par la direction.
Aussitôt la direction ferme l’usine et prononce le lock-out, comme le font de nombreuses entreprises dans cette période, par exemple chez Chenard et Walker à Gennevilliers peu de jours avant Jaz.

Le Populaire du 25 mars 1935

La coupure de presse du « Populaire » du 25 mars relate la fête de solidarité offerte aux grévistes la veille par le comité de lock-out dans une salle prêtée par la municipalité (salle de « la boule lumineuse ») et les démarches du maire socialiste Georges Barthélémy (lire dans le Maitron sa notice et son évolution anti communiste qui l’amènera à être le rapporteur de la proposition de déchéance des députés communistes), pour aider le comité de Lock-out à obtenir des indemnités de chômage.
Le 26 mars, le comité de lock-out refuse les propositions de la direction et les piquets de grève sont toujours massivement présents devant l’usine (l’Humanité du 26 mars) au bout de 15 jours de grève (l‘Humanité du 29 mars) et appelle les chômeurs à refuser les appels d’embauches de la direction.
Le 2 avril, à 13 h 15, les lock-outés, délégués en tête ont décidé de reprendre le travail en bloc. Un grand nombre d’entre eux ont été immédiatement réembauchés, et promesse a été faite par la direction que les autres le seraient rapidement.
L’Humanité du 2 avril mentionne le fait que le comité des lock-outés non réintégrés continuera la lutte pour la défense de leurs salaires et la réintégration de tous. Il est vraisemblable que Frédéric Rancez fait partie des non réintégrés.
En effet selon le site des Réveils Jaz (publié le premier août 2020), qui consacre une page une page à Frédéric Rancez, « il est un des plus célèbres déportés du convoi du 6 juillet 1942« , sans pour autant s’étendre sur les causes de la grève et du lock-out chez Jaz, Frédéric Rancez a travaillé ensuite dans d’autres entreprises, « notamment de construction automobile, comme Renault, Citroën, Duroc, Thomson, De Dion et Unic, ces deux dernières étant implantées à Puteaux« .
Puis Frédéric Rancez exerce le métier de monteur-électricien.

Frédéric Rancez est secrétaire du Comité local CGT des Métaux à Colombes
, où il habite alors en 1936 -1937 au 24, boulevard Edgar Quinet.
« Son intérêt pour la politique lui vient de son beau-père qui, en 1922, lui explique la Révolution russe. Ses lectures sont les Cahiers du Bolchévisme, et la Correspondance Internationale. Il écrit quelques articles dans La Voix Populaire concernant les problèmes syndicaux » (ACER-AVER).

Brigadistes (montage Pierre Cardon)

Il part combattre comme volontaire en Espagne en 1938, comme un autre militant de CourbevoieGabriel Maisonneuve.

« Frédéric Rancez rejoignit l’Espagne républicaine illégalement en 1938 « pour battre le
fascisme ». Le 19 mai, soldat, il était incorporé à la XIVe Brigade internationale, 2e bataillon « vaillant-Couturier », 4è compagnie, ensuite à la 45è Division. Il adhéra au Parti communiste espagnol et au Secours rouge. En juillet 1938, il prit part à la bataille de l’Ebre, fin juillet, il fut nommé commissaire du 2è bataillon, puis commissaire aux transports et enfin délégué politique adjoint au commissaire du Bataillon de Paris
».
« Il remplit le 7 novembre 1938 un questionnaire biographique, il écrivait que son engagement en Espagne lui avait appris : « À ne pas avoir peur du feu, à me servir des armes, [et] la nécessité d’exécuter les ordres sans les discuter ». Lucien Bigouret, responsable du comité de parti de la brigade appréciait ses qualités : « délégué politique de compagnie a : « fait un grand effort pour remplir sa tâche, n’est pas arrivé à tout faire », Frédéric Rancez avait une « très bonne éducation politique », il travaillait et était « sérieux », mais « manquait un peu d’énergie ». En conclusion, il fut noté « comme un bon militant du parti, un organisateur, agitateur » (Le Maitron).
« En septembre, La « Voix populaire » indiquait que Frédéric Rancez venait d’être cité à l’ordre du jour de sa division pour s’être « présenté comme volontaire pour faire une patrouille » sur la rive « occupée par les forces étrangères au service des rebelles ». In Le Maitron

Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe. La nuit du 14 au 15 juin, de nombreuses troupes allemandes arrivent à Nanterre et Colombes.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

En 1941 Frédéric Rancez est membre de l’O.S. (première organisation de résistance armée créée par le Parti communiste clandestin), puis du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, créé en mai 1941 par le Parti communiste (témoignage oral de Roger Guérin, résistant, déporté à Oranienbourg, conseiller général communiste de Courbevoie à la Libération, recueilli par mon mari, Pierre Cardon).
Il est embauché le 7 juin 1941 comme monteur électricien aux usines Sanders à Gentilly.

Ceux de la Sanders, déportés à Auschwitz

Dénoncé comme meneur de grève par un membre de la direction de son usine, il est arrêté le 11 février 1942 à Gentilly, à son travail, par la police française, avec 8 de ses camarades. Lire dans le site : La grève de l’usine Sanders de Gentilly (9 février 1942)

Frédéric Rancez est emprisonné au Dépôt, puis à la Santé. Le Préfet le fait interner au CSS de Voves.
Le 16 avril 1942, à 5 h 50, un groupe de 60 militants « détenus par les Renseignements généraux » est transféré de la permanence du dépôt au camp de Voves (Eure et Loir), convoyés par les gendarmes de la 61è brigade. Ce camp (Frontstalag n° 202 en 1940 et 1941) était devenu le 5 janvier 1942 le Centre de séjour surveillé n° 15.
Lire dans le site : Le camp de Voves

Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. Frédéric Rancez figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique que « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ». Le directeur du camp a fait supprimer auparavant toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ».

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Frédéric Rancez est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Frédéric Rancez est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «46 031» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.

Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Frédéric Rancez meurt à Auschwitz le 2 novembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp
d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 985), consultable également sur le site du Musée d’Auschwitz, avec sa photo. La date du 20 novembre 1942 portée sur son acte de naissance et inscrite au Journal Officiel JO1996 p12849-12852 est donc erronée. Elle a été inscrite à la Libération par le Ministère des Anciens Combattants, à partir du témoignage de rescapés afin de permettre le droit à pension des familles. Elle est néanmoins très proche.

Inauguration de la plaque (FNDIRP) par des rescapés des camps

Son nom figure sur la plaque du monument aux fusillés et déportés de la ville de Courbevoie. L’inauguration en a été faite par la FNDIRP, en présence de rescapés des camps, photo ci-contre) et sur la plaque commémorative à la Mairie de Courbevoie.

 

 

 

Photo Claude Richard / Mémorial Genweb

Son nom est également honoré sur la plaque qui fut apposée dans le hall de l’usine Sanders de Gentilly, puis après sa fermeture, à l’entrée de la rue où cette usine était située.

Le souvenir des « 8 de la Sanders » est commémoré par un monument au cimetière  municipal de Gentilly.

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’AuschwitzBirkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Témoignage de Roger Guérin, ancien résistant, ancien Conseiller général communiste de Courbevoie, recueilli par Pierre Cardon, secrétaire de la section de Clichy du PCF, qui le connaissait bien. Roger Guérin était le frère de Marthe Jean, militante de Clichy qui cacha un temps Gabriel Péri. lire : JEAN Marthe née GUÉRIN Marthe, Solange dans le Maitron.
  • Recherches biographiques : courrier de Louis Bonnel (12/3/1991), ancien secrétaire CGT du syndicat des métaux en 1936 / 1937, collaborateur du Maitron.
  • Archives municipales de Courbevoie et de Gentilly.
  • Photographies des 8 de la Sanders communiquées par courrier le 9 juillet 1993 par le service Archives-Documentation de Gentilly. Montage Pierre Cardon
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Notice de Daniel Grason (version électronique 2012).
  • Biographie dans l’encyclopédie des volontaires français en Espagne (ACER) citantRGASPI (BDIC, Mfm 880/30,
    545.6.1364).

Notice biographique rédigée en novembre 2005 (mise à jour en octobre 2012, 2017 et 2019) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette biographie. Pour compléter ou corriger cette biographie, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

 

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