Matricule « 45.510 » à Auschwitz

Robert Dupont le 8 juillet 1942 à Auschwitz
Robert Dupont : né en 22 juin 1912 à Dives-sur-Mer (Calvados) ; domicilié à Mondeville (Calvados) ; chauffeur de route SNCF ; communiste ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 6 octobre 1942

Robert Dupont est né au domicile de ses parents le 22 juin 1912 à Dives-sur-Mer (Calvados). Au moment de son arrestation il habite au 31, rue Voltaire à Mondeville (Calvados) d’après la fiche de renseignements remplie par sa veuve.
Il est le fils de Louise, « Rachelle », Alphonsine Dedde, 31 ans, ménagère, née le 20 décembre 1880 à Auberville (Calvados) et de Gédéon, Eugène, Henri, Raoul Dupont, 36 ans, journalier, puis ouvrier d’usine et ajusteur, son époux, né le 2 novembre 1875 à Saint-Aignan de Cramesnil (Calvados). Le couple habite 29, rue Sainte-Cécile à Dives.
Robert Dupont a un frère cadet, Gérard, Jules, né le 13 décembre 1914 à Dives.
En 1931, les deux frères habitent avec leurs parents au 29, boulevard de Rethel à Caen (limitrophe de Mondeville). Robert est ajusteur, comme son père et Gérard apprenti coiffeur chez Delaunay. En 1936, seul Robert Dupont habite avec ses parents au 29, boulevard de Rethel. Son père et lui sont ajusteurs à la Société Métallurgique de Normandie à Mondeville. Son frère habite au 54, boulevard de Rethel (coiffeur, célibataire. Il décède à Caen le 13 décembre 1936).

Publication de mariage Ouest Eclair 1/4/36

Robert Dupont épouse Rosalie, Marie Durgat le 18 avril 1936 à Mondeville. Elle est née le 24 février 1920 à Ploeren (Morbihan).
Militant communiste connu, Robert Dupont est, après 1936, embauché comme cheminot (« chauffeur autorisé » à la SNCF).
Il est secrétaire de la cellule communiste du Dépôt de la gare de Caen.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. En août 8 divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française. Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les syndicalistes, anciens élus ou militants communistes « notoires ». et procède à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.
Le couple Dupont a un enfant, Jacky, Robert, Jean qui naît le 10 octobre 1941 à Mondeville.
Selon l’attestation de Michel de Bouard (ancien responsable régional du Front National) : Robert Dupont « appartenait en 1942 au Front National (secteur Cheminots, responsable Henri Neveu), participa aux diverses activités de son groupes : distribution de tracts et de journaux clandestins et notamment de tracts dits « anti-nazis », rédigés en langue allemande, que les cheminots avaient mission de répandre dans les trains et locaux où séjournaient des Allemands,. A la suite de deux sabotages très meurtriers effectués sur la voie ferrée Paris-Cherbourg, aux environs de Caen, les Allemands firent une enquête au Dépôt des machines de Caen et identifièrent quelques cheminots qui s’étaient signalés par leur attitude résistante et à qui l’on attribuait, en particulier, la diffusion de tracts durant les heures de travail nocturne, Robert Dupont était parmi ceux-là ». 

La 231 G 558, une des machines  en service après la nationalisation sur  le réseau de l’Ouest

Robert Dupont est en effet en 1942 « chauffeur autorisé » (c’est à dire « autorisé à la conduite de toutes les machines ») à la SNCF (sur une des listes des communistes arrêtés la nuit du 1 au 2 mai 1942 et remis à la Feldkommandantur 723. Sur une des listes de la Préfecture, ses noms, prénoms et date de naissance sont cependant mentionnés avec la mention « plombier », et une autre adresse, 122, rue de Geôle à Caen.
Il s’agit manifestement d’une erreur de transcription sur le document préfectoral (comme il y en a eu par exemple pour André Montagne, rescapé), car sur une autre liste préfectorale, il est domicilié « Les Charmettes, Mondeville », qui est un des quartiers de Mondeville où se trouve la rue Voltaire, et il est indiqué comme cheminot, mention qui est confirmée par la lettre de la direction de la SNCF au Général commandant les forces militaires allemandes en France).

Robert Dupont est arrêté comme otage communiste la nuit du 1er au 2 mai 1942, vers minuit et demie écrit sa veuve : il figure sur la liste de 120 otages «communistes et Juifs» établie par les autorités allemandes.

Liste de la préfecture de Caen

Son arrestation est ordonnée en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43ème régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht. 28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du 43ème RI.  Le 14 mai, 11 nouveaux communistes sont fusillés à Caen.

Listes d’arrestations des communistes arrêtés sur désignation de l’autorité allemande  et remis à celle-ci le 3 mai 1942  (montage photo P. Cardon, à partir du document de la Préfecture de Caen / CDJC).

Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).

Robert Dupont est conduit à la gendarmerie de Mondeville, puis il est remis aux autorités allemandes (Feldkommandantur 723), le 3 mai à leur demande. Robert Dupuy et ses camarades sont conduits le 3 mai au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage André Montagne). Robert Dupuy y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.
A la suite de l’arrestation de 27 cheminots du Calvados du 1erau 4 mai 1942 (dont 8 par tirage au sort), la Direction de la SNCF a sollicité l’intervention de l’ambassadeur de France De Brinon, qui écrit le 15 mai 1942 au Général commandant les forces militaires allemandes en France, soulignant l’impact de ces mesures sur le personnel cheminot très sollicité et en sous effectifs, et demandant leur révision (en vain). Robert Dupont fait partie de la liste mentionnée.

A Compiègne Robert Dupont reçoit le matricule « 5223 ». Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».Depuis le camp de Compiègne, Robert

Dupont est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Son numéro d’immatriculation à Auschwitz ne figure pas dans le Mémorial du Musée d’Auschwitz-Birkenau. Mais la photo d’immatriculation (1) à Auschwitz du déporté portant ce numéro a été reconnue par André Montagne. Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Robert Dupont meurt à Auschwitz le 6 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 246).  
Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué. Robert Dupont est homologué comme Résistant, au titre des Forces Françaises combattantes (FFC) et comme Déporté Résistant (DIR), comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 201989.

© Luc Hingant / Rail & Mémoire

Son nom est honoré sur la plaque commémorative SNCF à Caen, sur le monument commémoratif au dépôt SNCF de Caen, et sur le monument aux morts de Mondeville.
Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de  David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi.
Le nom de Robert Dupont est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy.
Elle est honorée chaque année.

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Fiche FNDIRP remplie par Madame Dupont (N° 5495 / 8378).
  • Attestation d’Henri Neveu, responsable clandestin du Front National des cheminots de Caen.
  • Liste des « communistes arrêtés dans la nuit du 1er au 2 mai sur désignation de l’Autorité Allemande (Feldkommandantur 723) et remis à celle-ci le 3 mai 1942
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau de la division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • LA 10559, LA 14483, LA 15760 (listes d’arrestations, préfecture et ministère de l’Intérieur.
  • Recherches généalogiques (état civil, recensements Caen et Mondeville, registre matricule militaire du père) effectuées par Pierre Cardon

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2017, et 2020 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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